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Membre du Jury de l’édition 2025 du Festival de Gerardmer, Jeremy Clapin est le réalisateur du très bon J’ai Perdu Mon Corps (pour lequel nous avions déjà discuté au Festival d’Annecy) sorti en 2019. Puis il a pris tout le monde à contrepied en sortant un film-live étonnant, Pendant ce Temps sur Terre, porté par Megan Northam. Nous l’avons rencontré entre deux projections de la sélection officielle.
Le Jury présidé par Vimala Pons a récompensé In a Violent Nature du Grand Prix. Exhuma de Jang Jae-hyeon et Rumours de Guy Maddin, Evan et Galen Johnson repartent, ex-aequo, avec le Prix du Jury. L’interview a été réalisée avant la proclamation du palmarès.
Est-ce que tu as vu des choses qui t’ont plu ?
Tu commences par une question piège ! J’ai un devoir de réserve. Plus sérieusement, on voit des choses très variées, avec des cultures de l’étrange différentes, à la fois universelles mais spécifiques au pays dont les films sont issus. Avec derrière des mythologies différentes, c’est très enrichissant.
Et qu’en est-il des films d’ici ? Plus précisément, quel regard portes tu sur le cinéma de genre Français ?
En France, on arrive à renouveler le genre, le fantastique. Nous on a longtemps singé les Etats-Unis. Maintenant on fait des choses qui nous ressemblent un peu plus. Souvent induit par un manque de moyens mais qui nous oblige à chercher et trouver des solutions, notamment créatives. On s’en sort pas mal : les barrières tombent et ce cinéma intéresse au delà des codes du genre.
Au cinéma, tu as eu l’opportunité de travailler en animation 2d et en prise de vue réelle. L’un est connu pour son contrôle et son temps de production long, l’autre pour son chaos et sa capture dans l’instant. Comment as tu vécu ces changements de méthode, liés aux médiums ?
J’ai toujours voulu faire du cinéma au delà du médium. J’ai commencé par l’animation aux arts déco. Sans doute car j’étais à l’aise avec le dessin et à bosser tout seul. Alors qu’en équipe, un peu moins. Le choix s’est fait comme ça, mais après on évolue : on apprend à travailler avec équipe, commence à apprécier la chose. Ensuite l’envie de faire du live revenait mais il fallait la bonne opportunité. Le succès du premier film (d’animation) m’a permis de prendre le contrepieds pour le suivant, et faire autre chose avec le prise de vue réelle.
En terme de méthode, je voulais pas faire de la prise de vue comme je faisais de l’animation. Si je fais du live, c’est parce que j’ai un désir de chaos contrôlé, d’inviter de l’humain dans la fabrication du film. De travailler avec les acteurs, les décors, la météo et l’aléatoire dans tout ça.
Comme je sais que je n’arrivais pas avec une expérience folle, j’ai amené quelques skills de l’animation, comme le découpage. J’ai storyboardé tout le film en amont. J’avais donc une base qui me rassurait pour me lâcher derrière.
En parlant d’acteurs, et de construction de personnages, tu passes de marionnettistes à un échange vivant avec un comédien. Est-ce que tu t’es senti à l’aise avec ce changement ? Comment s’est passé la collaboration avec tes acteurs ?C’est le casting qui est déterminant. C’est là qu’on définit ce que sera le personnage, et comment il va se comporter. Quoi qu’on fasse, on pourra pas faire faire exactement ce qu’on veut à l’acteur. Mais c’est bien que ça soit comme ça : c’est bien qu’il puisse faire des propositions, incarner le personnage à travers son ADN. Une rencontre avec le personnage écrit et le sien.
Moi j’étais ravi avec Megan Northam, parce qu’elle porte le film. Elle est sur tous les plans et le film lui dois tout.
J’ai besoin de me projeter dans un film avant qu’il soit fait, à la fois dans l’écriture et quand je storyboarde. Il y a donc toute une partie de « posing » faite en amont, mais qui reste temporaire. Après, c’est la rencontre avec la comédienne qui permet d’avancer. Il faut qu’il ou elle comprenne pour ne pas agir comme des robots. Il y a donc un temps d’explication de la scene, très important pour moi.
Tu es l’auteur de tes deux films. Pour les projets à venir, est-ce que c’est l’écriture qui va influencer le choix du médium ? Ou à l’inverse, c’est lui qui dirige l’écriture qui suit ?
C’est un peu des deux. En ce moment j’ai envie de live et d’animation. Quand l’idée vient, j’essaye de trouver un sens, si elles vont aller vers le live ou l’animation.
Je pense aussi qu’on peut faire tout ce qu’on veut en animation. Elle a toujours besoin de se justifier mais en réalité on peut tout reproduire, il suffit de trouver un axe d’écriture un peu différent. Ne pas chercher à lutter à forces égales avec la prise de vue réelle, où l’incarnation des acteurs est très forte dans le réalisme et l’immersion. En animation on peut pas combattre ça, faut chercher un autre biais pour raconter l’histoire.
Néanmoins, dans ma façon de travailler, les deux se sont rapprochés : le découpage, la manière de raconter l’histoire. Mon cinéma a été plus cartoon au début puis s’est rapproché de la prise de vue réelle. J’ai Perdu Mon Corps, techniquement, est proche d’un film live.
Les deux films ont en commun le travail du son. La voix dans l’oreille de l’héroïne de Pendant ce Temps, l’interphone de J’ai Perdu Mon Corps. C’est volontaire ?
Il y a une part d’inconscient certainement. Peut être que quelque part, ça permet de se concentrer sur un seul personnage. D’amener le spectateur dans cette écoute, proche du personnage.
J’ai toujours réfléchi au son, un bon son ça peut sauver un film d’animation. On peut être vite paresseux sur le sujet en prise de vue réelle alors qu’en animation on doit choisir ses sons. C’est donc une interrogation permanente pour fabriquer la réalité. On part de zéro, on amène ce qu’il faut alors qu’en live on n’a plus tendance à effacer.
Est-ce que tu as tiré des leçons d’un médium à utiliser dans un autre ? Des pratiques qui mériteraient d’êtres transmises entre les deux pratiques ?
L’animation permet beaucoup de choses. Mon type d’animation est emprunt de prise de vue réelle et de réalisme. Il y a forcément des points communs entre les deux. A l’inverse, d’autres ont des styles tellement étranges, un langage à part qui ne trouve pas d’équivalent en live.
Passer de l’un à l’autre permet de m’enrichir, ça m’amène des réflexions différentes. En live, on est devant la physicalité d’une scène : on va devoir la faire exister, sur un plateau, dans une continuité, au moins pour expliquer au comédien la mécanique. On est encombrés par le fait de devoir répéter pour que l’équipe comprenne.
En animation, il n’y a pas de continuité, c’est la succession des plans fabriqués qui va la produire. En dehors de ces plans là, il n’y a rien qui existe.
C’était perturbant pour moi, de pas dire « cut » trop vite juste parce que j’avais un plan. Il fallait que je laisse la continuité se dérouler et peut-être que j’essaye de capturer d’autres choses auxquelles je n’avais pas pensé.
Ça m’a plu de penser plus globalement une séquence. Je pense que c’est ça que je vais ramener en animation : à moins concevoir de manière morcelée, de fabriquer avec une idée plus globale de la scène, et en économisant un peu les angles de caméra.
Pour fini, un mot sur ton prochain projet ?
Je ne peux pas trop en parler mais je travaille sur un film d’animation, une co-production franco-américaine avec Mattson Tomlin, le scénariste du dernier Batman. Je n’en dis pas grand chose parce qu’à l’heure actuelle on ne sait jamais jusqu’où va le projet mais on a commencé le développement et on recherche des partenaires.
J’ai aussi commencé à écrire un film d’animation. Et j’ai une histoire en live action mais j’ai besoin de rencontrer des scénaristes, car aujourd’hui je ne peux plus travailler seul. Pour que les projets avancent en parallèle, faut que je change ma méthode. Et je suis très excité par cette prochaine phase.