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Journal de l’Etrange Festival, édition 30e anniversaire

L’Etrange Festival s’est clôturé ce dimanche, récompensant Kill (actuellement en salles) du Grand Prix Nouveau Genre. Le public lui a préféré La jeune femme à l’aiguille, de Magnus Von Horn. L’édition anniversaire a battu tous les records, avec plus de trente mille entrées. Nous avons passé ces dix jours dans les salles.

Amis de l’Etrange… Joyeux anniversaire !
Le festival fête sa 30ème édition cette année, ce qui ne rajeunit personne vu que nous couvrons la manifestation sur CloneWeb depuis 15 ans !
Et si on s’attendait à ce que la programmation soit aux petits oignons pour être à la hauteur de l’évènement, c’était sans compter sur le goût de la surprise pour ses organisateurs avec une liste de films sortant une fois encore des sentiers battus.

Alors certes, il y a eu bien des cartes blanches et des invités, pour piocher dans 30 ans d’histoire du cinéma bizarre, entourant la sortie d’un ouvrage chez Carlotta qui retrace toute l’histoire du festival, avec la programmation de toutes ses éditions, les temps forts, et pas mal d’interviews de cinéastes importants et amis de la chose, qui reviennent sur la carrière d’autres de leurs camarades.
L’ouvrage est une mine d’or si vous cherchez une bonne liste de films hautement perchés, et est évidemment préfacé par le parrain de toujours du festival, Alejandro Jodorowsky.

L’artiste franco-chilien était une fois encore de la fête pour présenter en première mondiale le director’s cut de Tusk, curieux film pour enfants réalisé en 1980 en Inde, qui raconte l’amitié entre une anglaise née dans une colonie et un éléphant, qui vont ensemble détricoter l’impérialisme britannique, le tout culminant dans des scènes où l’animal va déglinguer un magasin tenu par un colon, quand sa camarade humaine provoque un scandale lors d’une réception chic en arrivant en tenue traditionnelle locale. Sorti au cinéma dans une durée de 2h, le film était renié par son auteur qui s’en est vite senti dépossédé, l’ayant fait pour voir les conditions de travail sur une production « de divertissement ». Son montage dure seulement 1h10, ce qui se sent grandement dans un 3ème acte assez décousu, et l’ensemble reste une curiosité un peu bricolée, mais sauvée par les couleurs éclatantes des paysages indiens, et la simple mise en image d’un éléphant punk qui lutte à grand coups de corne et de mysticisme contre l’envahisseur occidental !

Pour continuer dans les films bariolés et à la conception difficile, Flying Lotus a choisi dans sa carte blanche l’incroyable Le Voleur et le Cordonnier, film maudit de son auteur Richard Williams.
Un génie de l’animation ayant fait ses armes dans la publicité et qui essaiera de monter pendant des décennies son chef d’œuvre du genre, à coup de financements explosés, de délais dépassés, d’un perfectionnisme impossible à satisfaire, et d’une industrie qui perdra patience.
Nos amis de chez Premiere ont très bien résumé l’affaire complète du long-métrage en 2015 pour sa présentation à Annecy, et toujours est-il qu’on a pu découvrir la fameuse copie de travail « A Moment in Time », la version la plus proche des désirs de son auteur fou, restaurée par l’Académie des Oscars, excusez du peu ! Une comédie burlesque qui repoussait les limites de son médium au-delà du raisonnable, certains passages semblant être en 3D alors que c’était juste de l’animation traditionnelle à plat poussée à son paroxysme, avec un jeu délirant sur les silhouettes et les mouvements qui suffit pour caractériser pleinement ses personnages. Cette version déglinguée d’Aladdin a en plus le mérite d’avoir la voix de Vincent Price (LE Vincent Price !) pour doubler le méchant du film, un mélange entre Jafar et le Génie, et malgré la présence d’animatiques pas terminés et de planches de story boards pour combler les trous, cette œuvre culte dans la profession reste un hallucinant défilé comique, bourrés de gags slapsticks hilarants, qui a cartonné dans la salle 500 du Forum des Images. On croise les doigts pour que cette version trouve un jour une sortie plus officielle, car elle le mérite pleinement.

Restons dans l’animation, car elle nous a offert certains des plus beaux moments de cette édition, à commencer par Duel à Monte Carlo Del Norte ou Slide en VO, le nouveau pétage de câble de Bill Plympton. Le dessinateur et réalisateur américain est connu pour son style artisanal, avec ses crayonnés apparents et bricolés, qu’il réutilise ici dans un western barjo où un village peu soucieux de la forêt qui l’entoure veut transformer la zone en hôtel de luxe pour accueillir un tournage Hollywoodien. Un cowboy courageux et atypique va débarquer là-dedans et donner le prétexte à un tourbillon comique incessant, convoquant autant burlesque là-encore que l’absurde, le musical ou évidemment Tex Avery et consorts, dans une version bluesy et rock’n roll.
Capitalisme, patriarcat, avidité et consumérisme aveugle : tout y passe, l’armada foutraque de Plympton n’ayant d’égal que la sincérité de sa démarche, et un timing comique impeccable.

Une bonne tranche de rire qui diffère grandement de Mémoires d’un Escargot, le nouveau film de l’australien Adam Elliot, le papa de Mary & Max. Il aura fallu presque 15 ans au réalisateur pour nous offrir un nouveau long-métrage, et il n’a rien perdu de sa patte avec une nouvelle histoire mélancolique en stop-motion, contant la vie d’une jeune fille séparée de son frère jumeau dans sa tendre enfance après le décès de leurs parents.
Familles d’accueils différentes, parcours de vie brisés et reconstruction difficile, on est toujours en terrain conquis, avec une tranche de vie d’une grande tristesse, dans laquelle le cinéaste parvient pourtant à souligner les petites choses qui en font la beauté. Le taux d’humidité des glandes lacrymales des spectateurs a explosé à en croire leurs visages à la fin de la projection, et je vous renvoie à Marc qui en parlait déjà à Annecy.

Toujours dans l’animation, on pouvait aussi voir Sanatorium Under the Sign of the Hourglass, derrière film en date, et peut-être œuvre somme, des frères Quay. Habitués de l’Etrange, les deux frangins à l’univers onirique lugubre ont de leur propre aveu mis 3500 heures d’animation dans un film à la stop-motion tordue, bigarrée et ponctuée de scènes avec des acteurs bien réels, pour une plongée dans les dernières souvenirs de personnes décédées, au détour d’une machine bien étrange…
Bon, on n’essaiera pas de vous résumer plus que ça le long-métrage, qui brouille en permanence la frontière entre réel et imaginaire, dans une esthétique ténébreuse et spectrale qui préfère l’onirisme au rationnel, la poésie au narratif, le geste à la raison. Pas toujours facile de s’y retrouver, on en convient, d’autant qu’il est facile de rester de marbre face à des images faites de briques et de broques, dont la beauté ne parlera pas à tout le monde pour sûr. C’était en tout cas une très bonne introduction en tant que film d’ouverture pour donner le ton, et offrir une séance hors du temps, comme on en voit nulle part ailleurs !

Hallucinations animées toujours, avec Rock Bottom de Maria Trénor. L’album éponyme de Robert Wyatt a été composé en 1974, après un accident qui a retiré au batteur l’usage de ses jambes.
Produit par Nick Mason de Pink Floyd, l’album a depuis sa petite réputation chez les amateurs de rock progressif et psychédélique. La réalisatrice Maria Trénor s’est inspiré de ce fait divers pour le porter à l’écran et conter l’histoire d’amour tumultueuse de l’auteur avec Alfreda Benge, revisitant la fin de la période hippie et le choc avec le mur du réel, dans une relation passionnelle faite de drogues, d’excès et d’hallucinations, bien aidées par l’animation s’approchant de la rotoscopie pour embarquer les personnages dans des visions extraordinaires sur la musique d’origine, l’album ayant été remasterisé pour l’occasion. Sans doute un peu trop long et répétitif, le film n’en reste pas moins un bel hommage à l’auteur qui l’a inspiré, et pose de jolies images sur la bande son de cette vie fracturée qui continuera de plus belle.

L’animation, enfin, se fait aussi en Inde, comme en témoignait Schirkoa : In Lies We Trust, adaptation en long-métrage d’un court métrage du même nom par Ishan Shukla, qui reprend son concept d’origine : un monde dystopique où l’humanité a trouvé comment régler les soucis de différence en mettant un carton sur la tête de tous les citoyens… Super l’ambiance.
Avec une 3D colorée et aux détails un peu bâclés, donnant parfois l’impression d’être devant un moteur de jeu vidéo, le réalisateur indien mène pourtant à bien une quête de vérité dans un monde où on ne peut plus croire personne, où la norme devient oppression, sans pour autant abolir les privilèges… Tout un programme bien proche de notre réalité, dont les faiblesses de production et de rendu sont compensées par la force du concept et l’intelligence d’un scénario qui va au bout de son concept. Étonnement, le film bénéficie d’un doublage deluxe, avec Goldshifteh Farahani, Asia Argento ou encore Gaspar Noé (!) dans ses voix, ce qui aidera sûrement sa sortie prochaine en salle, où vous aurez sûrement envie de suivre la suite de la carrière d’un cinéaste prometteur.

Revenons dans le cinéma live, mais gardons nos boîtes, car cette 30ème édition était aussi l’occasion de retrouver Sogo Ishii, le réalisateur japonais punk connu notamment pour son déjanté Electric Dragon 80.000 V. Sous ses airs de troublion rock’n roll, Ishii s’était attiré l’amitié de Kôbô Abe, un romancier réputé au Japon qui a refusé durant toute sa vie de céder les droits de son roman The Box Man.
Mais il céda les droits à Ishii peu avant sa mort, et il aura fallu 30 ans au réalisateur pour mener à bien ce projet après plusieurs faux départs, signant le film sous son nouveau nom Gakuryû Ishii, témoignant de l’évolution de sa carrière et de son assagissement.
Bon, assagissement est un bien grand mot, comme en témoigne l’intro absolument phénoménal de son nouveau film, qui nous plonge direct dans l’esprit paranoïaque et solitaire de cet homme qui vit dans une boîte en carton avec laquelle il se déplace tel un Solid Snake moderne, et dans laquelle il vit la plupart de son temps. Observant le monde planqué derrière une petite fente, il déballe sa philosophie tel un Tyler Durden clochard, exposant son rapport aux autres, à soi-même, et au mode de vie contemporain, dont il se sent étranger. Le film ne va pas réussir à garder l’énergie de ses débuts et se perdre quelques peu avec une multitude de personnages, dont un homme riche qui veut absolument remplacer l’homme boîte par cupidité, mais le scénario multiplie les pistes philosophiques permises par un tel concept, en renvoyant à notre espace mental, aux limites de nos échanges entre êtres, à la solitude qui nous guette en permanence, à l’importance de l’environnement dans notre évolution personnelle, à notre place dans la société ou encore à notre façon de la regarder à travers un rectangle, qui peut-être aussi bien la métaphore d’un téléphone ou d’un écran de cinéma… Jonglant entre scènes improbables (la simple vision de cet homme courant comme il peut avec son carton sur le dos est hilarante) et fulgurances (quand la lumière du monde extérieur transforme l’intérieur de la boîte en caverne de Platon !), The Box Man passe au-delà de ses longueurs et errances narratives tant il sait utiliser son concept à bon escient et offrir des pistes de lecture saisissantes et riches, dans une œuvre résolument singulière.

Le Japon s’est d’ailleurs montré plutôt inspiré cette année une fois encore, avec tout d’abord Gold Boy, le récit chatoyant d’un jeune adulte qui pousse ses parents d’une falaise pour récupérer l’empire familiale ! Et c’était sans compter sur 3 gamins qui prenaient des photos sur la plage en dessous à ce moment-là, et qui vont essayer de faire chanter notre meurtrier…
Un thriller dramatique qui va se faire le plaisir de pulvériser l’innocence sur la cupidité du monde réel, en assumant pleinement une noirceur croissante dans un film qui n’a pas froid aux yeux, et dont la plongée dans les ténèbres est d’une violence sourde et saisissante, malgré une fabrication un peu fauchée.

Japon toujours avec House of Sayuri, le nouveau long-métrage de Kôji Shiraishi, un mercenaire du cinéma d’exploitation horrifique comme en témoigne les 9 épisodes de la saga found footage Senritsu Kaiki File Super Kowa Too ! qu’il a réalisé, les 3 Paranormal Phenomenon (tout est dans le titre) ou encore Sadako vs. Kayako, qui confrontait les petites filles iconiques de The Grudge et de Ring.
Vu le CV du bonhomme, il y avait de croire craindre le pire devant cette histoire d’une famille qui emménage dans une maison hantée, et qui aligne mollement les poncifs du genre pendant sa première demi-heure, en prenant cependant le soin de déglinguer quasiment tout le monde !
Mais c’était sans compter sur un twist absolument inattendu et improbable, quand la grand-mère grabataire de la famille reprend du poil de la bête, enfile des fringues de hippie et se remémore ses talents en arts martiaux, pour embarquer son petit fils dans une croisade contre les fantômes, en prônant la joie de vivre et le bien-être ! On réalise alors que ce Sayuri est une revisite astucieuse du genre, qui porte un point de vue sur le deuil et la façon de le traverser étonnamment positif, et qui se permet en plus d’offrir en fin de parcours une backstory percutante à son fantôme principal.
Tant pis si le résultat est cheap et fait avec 3 balles 50, la surprise est trop belle, et House of Sayuri s’inscrit dans cette longue tradition à l’Etrange Festival de longs métrages qui démarrent très mal et qui remontent la pente ardemment, pour être au final tout à fait recommandables.

Terminons notre modeste tour d’horizon de cette 30ème édition par la tornade pop du festival, le film qui a fait décoller le public par sa fraîcheur et son énergie, j’ai nommé Escape from the 21th Century.
On y suit 3 adolescents qui vont suite à un accident se découvrir la capacité de voyager 20 ans dans le futur en éternuant ! Sauf qu’une fois dans le futur, leur destin présumé s’en trouve tout chamboulé, notamment pour le beau gosse de la bande, fou amoureux de sa douce, qui dans le futur s’est retrouvée dans les bras du pote un peu loser. Une situation qui risque de faire exploser l’amitié de nos 3 héros, qui vont multiplier les allers retours entre présent et futur pour comprendre comment ils en sont arrivés là, et qu’est-ce qui a bien pu déconner dans leur vie, tout en essayant de sauver le monde au passage devant la tronche pas réjouissante de l’avenir !
Malgré sa durée raisonnable d’1h38, le film de Yang Li est un rouleau compresseur d’une générosité sans nom, qui s’avère presque épuisant par sa force de proposition permanente, chaque plan bénéficiant au moins d’une idée visuelle ludique et amusante. Changement de ratio entre les époques, hybridation permanente avec par exemple de l’animation en surimpression pour palier la violence de certaines scènes, gags en arrière-plan et autres jeux de perspective…
Le réalisateur a du s’arracher les cheveux pour proposer un tel dynamisme qui ne semble jamais faiblir, tel un Edgar Wright ou Joseph Kahn en surrégime, et tant pis si cela nuit à un scénario dont la lisibilité et la force de certains enjeux sont parfois noyés par cette décharge sensitive et informative permanente. Escape from the 21th Century a les défauts de ses qualités et peut s’avérer épuisant, mais il reste surtout une proposition d’une générosité folle, et fait franchement plaisir à voir.

D’une certaine façon, il synthétisait la variété et la richesse d’une manifestation toujours aussi curieuse, qui nous aura offert encore bien des séances marquantes cette année, déjà toutes référencées dans l’ouvrage anniversaire de Carlotta.
En attendant, on en est sortis repus, et on va reprendre contact avec le monde réel, en attendant impatiemment de remettre le couvert l’année prochaine. Une fois encore : joyeux anniversaire l’Etrange Festival !

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