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Critique : Kill
Si le cinéma indien a su capter notre attention durant la dernière décennie, c’est pour son sens du spectacle souvent loufoque et grandiloquent, qui repousse en permanence le champ des possibles et s’éclate dans tous les délires, pourvu qu’on puisse les mettre sur grand écran.
En s’inspirant grandement de leurs confrères américains, les cinéastes de Bollywood, Tollywood et Kollywood (!) se rapprochent pourtant petit à petit des codes occidentaux, en témoigne par exemple les récents Pathaan ou Tiger 3 qui piochent abondamment dans les sagas Fast & Furious et Mission Impossible. Mais il y a un point que le cinéma indien d’action a toujours quelque peu rechigné : la violence. Loin des standards asiatiques, les effusions de sang n’ont jamais été en odeur de sainteté là-bas, au même titre que les arts martiaux, et l’arrivée soudaine de Kill semble chambouler tout ça, le film étant labellisé comme le « The Raid indien » depuis sa présentation à Toronto en 2023.
Un label honnête, ou une énième esbrouffe ?
Durant sa première demi-heure, Kill rappelle grandement ses origines tant il compile des codes Bollywoodiens à la chaîne. Alors non, personne ne se met à danser ou à chanter avec trois tonnes de figurants derrière, mais il est d’abord question d’une histoire d’amour chamboulée.
Après trois mois de mission sans contact avec l’extérieur, un membre des commandos anti-terroristes rentre de mission et apprend soudain que sa douce et tendre a été embarquée dans un mariage arrangé en son absence. Essayant de changer les plans en vitesse, le héros embarque dans le même train que sa dulcinée accompagnée de toute sa famille, les deux tourtereaux réfléchissant sur le tas à une stratégie pour se sortir de ce bourbier…
SAUF QUE ! Le bourbier en question va réellement en devenir un lorsque le train est pris en otage par un groupe de bandits aux objectifs mystérieux…
Entre la présentation du couple, à grand renforts de regards langoureux au ralenti ou dialogues un peu niais, et des premiers combats somme toute regardables mais étonnement sages et propres, Kill semble augurer un film d’action honnête, très ancré dans la culture des 90’s à l’époque où les high-concepts florissaient à Hollywood (qui a dit Speed ?), mais sans rien de particulier à l’écran outre son pays d’origine.
Et pourtant, il suffit d’une soudaine montée en pression des enjeux, et d’une violence qui éclate sans prévenir, pour que le film prenne tout à coup une toute nouvelle dimension, ce dont il est parfaitement conscient puisqu’il en profite pour envoyer le carton titre à ce moment (au bout de 30 minutes oui oui) histoire de bien souligner sa note d’intention.
Effusions de sang en pagaille, membres du corps humain tordus, articulations pétées et j’en passe : effectivement, l’ambition du réalisateur Nikhil Nagesh Bhat et de ses équipes est bel et bien de passer la seconde et d’offrir un spectacle brutal, ce qui s’impose comme une petite révolution au sein de son industrie. D’autant que cette démarche est loin d’être gratuite, et s’articule autour d’une réflexion sur la violence pour le moins stupéfiante tant elle s’incarne en accord avec les enjeux du film et sa narration. À mesure que les blessés et les morts s’accumulent dans ce train (qui ne s’arrête pas pour une justification tout à fait valable et anticipée par ses auteurs), cette chaine de wagons se transforme en cocotte-minute dont la pression semble contaminer tous ses occupants.
Le postulat de base est simple : la violence engendre la violence.
Et les pertes dans les deux camps, ainsi que la montée en puissance des mises à mort, de plus en plus graphiques et percutantes, ne vont avoir de cesse de faire péter un câble à tout ce beau monde, qui n’en finit plus de se détester et de vouloir déglinguer l’adversaire.
Évidemment, le film démarre sur un postulat manichéen (les méchants terroristes qui viennent embêter tout ce beau monde) mais va le twister au fur et à mesure, jouant par ailleurs avec le regard et les attentes du spectateur.
Surentrainé, le héros va faire passer un sale quart d’heure à ses adversaires, mais la situation va donc s’envenimer, pour totalement dégénérer. Outre le spectacle de base, qui pioche abondamment dans le style indonésien popularisé par le film de Gareth Evans, lui-même influencé par le cinéma hong-kongais avec à portée de main un tas d’accessoires qui vont finir comme armes, l’idée est d’ausculter l’humain dos au mur, lorsqu’il doit lui-même utiliser la force pour s’en défaire.
Si le film n’est pas avare en retournements et péripéties pour mettre en difficulté notre héros, il n’en garde pas moins ce postulat en ligne de mire, qu’il cultive à un degré assez dingue, notamment lorsque des innocents meurent dans le train, et que d’autres se mettent eux-aussi à tuer en réponse à l’aggresseur ! L’idée la plus forte, dans le fond, est de voir la transformation du personnage principal, qui devient lui-même un monstre à mesure qu’il cartonne ses assaillants de manière toujours plus expéditive. Lui qui est censé représenter l’ordre et la morale, surtout vu son métier et son statut dans la société indienne, semble devenir lui-aussi un rouage du problème.
Certains auront tôt fait de répondre que la mise à mort d’entrée de jeu des coupables aurait sûrement limiter la casse, mais le film préfère montrer cette mécanique infernale et la fine frontière qui fait vriller un être civilisé dans la sauvagerie, notamment lorsqu’il filme une gamine qui semble prendre du plaisir à voir un homme se faire pulvériser par un autre !
Bref, sous ses apparences d’actionner bourrin un peu basique, Kill parvient à surprendre son monde et à mettre en scène une logique destructrice qu’il assume de bout en bout, ce qui est d’autant plus incroyable compte tenu de son pays de production, l’Inde n’étant jamais très chaude pour contester ses figures locales. Et c’est pourtant bien ce que le film fait, en montrant un représentant des forces de l’ordre poussé dans ses derniers retranchements, et dont la méthode d’action semble quelque part inefficace face à l’ampleur de la situation. On pourra reprocher pas mal de choses au film, entre sa photographie quelconque, quelques rebondissements grossiers, certains passages un peu sur-découpés, une mise en bouche lente, et une fabrication dans l’ensemble honnête, à défaut d’être transcendante. Mais sa radicalité aussi bien thématique que narrative, et la hargne qui le porte, suffisent largement à le faire sortir du lot, d’abord dans son pays natal, et sur la scène internationale.
Dans ces conditions, on vous recommande de monter à bord du train infernal de Kill, d’autant que voir un tel film au cinéma fait plaisir, et qu’il faut supporter son distributeur pour une telle opportunité. Maintenant, soyez prévenus : le voyage risque de faire mal !
Kill, de Nikhil Nagesh Bhat – Sortie en salles le 11 septembre 2024
Le film sera présenté à l’Etrange Festival le 3 septembre 2024