Amis de l’Étrange…
Après avoir fêté le 30ème anniversaire de l’Étrange Festival l’an dernier, la manifestation la plus curieuse et gourmande de Paris ouvrait traditionnellement la rentrée au Forum des Images pour lancer la saison sur les chapeaux de roues.
Et nous y étions bien évidemment, pour 12 jours de propositions cinématographiques d’un autre monde !
Il y avait bien évidemment la rencontre entre la Chine et l’Italie avec La Citta Proibita, que l’on a déjà couvert dans une longue critique et qui est reparti avec le Grand Prix Nouveau Genre et celui du public, un all-in pour le film de Gabriele Mainetti qui est le premier réalisateur à rafler deux fois la mise à l’Etrange Festival, après l’avoir déjà fait pour Lo chiamavano Jeeg Robot en 2016.
Du côté de la France, les ambitions étaient toutes autres comme l’a prouvé avec brio Flush, premier film de Grégory Morin qui s’est dit pour ses 50 ans qu’il réaliserait bien un long-métrage !
Avec son ami David Neiss, ils ont ainsi imaginé un piège diabolique pour le personnage campé par Jonathan Lambert, à savoir un pauvre type qui s’apprête à passer une soirée dont il se souviendra et pour cause, puisqu’il va finir la tête encastrée dans les toilettes crasseuses d’un bar miteux, et que nous allons l‘accompagner dans son calvaire durant 1h10 !
Oui, oui, 1h10 (quasiment) avec un mec la tête coincée dans des chiottes !
Avec une production minuscule étalée sur des années, Flush parvient à dépasser complètement les limites de son huis-clos en renouvelant son concept en permanence avec plein de petites idées rigolotes et rarement enviables, mais réussissant déjà à faire passer la pillule de son pitch peu probable et en proposant une galerie de personnages tous mal lunés, avec une inventivité comico-horrifique d’une méchanceté réjouissante.
Jonathan Lambert mène la barque avec brio, en montrant comme rarement ses capacités de comédien fou furieux, et il faut saluer l’équilibre que le film trouve entre les genres, puisque Flush propose bel et bien des passages horrifiques, où le corps de notre anti-héros subit bien des atrocités et se mutile au fur et à mesure de la soirée en essayant de se sortir de ce piège répugnant.
Le travail sur le maquillage mené notamment par David Scherer est d’un réalisme saisissant, et le film n’est pas avare en scènes qui font trèèèèss mal, mais c’est là où la malice de son exécution éclate, en réussissant à trouver des contre-points comiques dévastateurs, la salle étant régulièrement morte de rire devant ces aventures décidément autres.
Pour l’instant sans distributeur, on souhaite le meilleur à Flush, qui fait preuve d’une mise en scène inventive tout du long, dégoûte autant qu’il fait rire et s’avère juste être une très bonne comédie ultra noire, avec le potentiel pour devenir culte à l’avenir.
Du rire en pagaille, il y en avait aussi du côté de l’Australie avec le tout aussi réjouissant Lesbian Space Princess, dont le titre évocateur en dit déjà pas mal.
Produit avec une équipe ultra réduite de 6 personnes pour l’animation, ce dessin animé nous propulse dans Clitopolis, la capitale de l’espace gay, où une jeune princesse ayant peur d’à peu près tout va soudain devoir s’aventurer dans le reste du cosmos pour sauver son amante des griffes des mAliens, une bande d’extraterrestres masculinistes ! Et ce long périple haut en couleurs va lui offrir un tas de rencontres improbables, tel le variant queer de Rick & Morty, avec un hilarant vaisseau spatial ayant comme programme de bord une intelligence artificielle réac, une chanteuse de folk coincée sur une lune ou encore une boîte sado-masochiste interstellaire.
Les répliques qui font mouche fusent, l’étendard LGBTQI+ est total, et le tout s’avère être un gros bonbon fluo pop, aussi fun que militant, sans temps mort et toujours bien senti, à qui l’on souhaite aussi une belle vie, pourvu qu’un distributeur français se penche aussi sur son cas, d’autant que le film d’Emma Hough Hobbs et Leela Varghese avait déjà fait sensation lors de son passage au dernier festival d’Annecy en juin.
Animation toujours, avec un détour par le Japon pour Tamala 2030 – A Punk Cat in Dark, avec sa petite chatte trop mignonne en guise d’héroïne, sorte d’Hello Kitty à la fois candide et cynique (!), qui donne vite le ton lorsqu’elle introduit le film en déclarant que ça va encore être une journée de merde !
Sous ses apparences kawaïïïïïïïïï à l’extrême, ce personnage est pourtant capable de défoncer des portes en faisant des high-kicks, et on va la suivre dans une enquête improbable autour de 7 chats bien distants géographiquement et qui ont pourtant disparus au même moment !
Le tout dans une société futuriste qui frôle avec le post-apo, dans des mégalopoles tentaculaires où la pauvreté touche la majorité de la population, le tout sous une pluie permanente ou une chaleur écrasante.
On résume donc : un film de SF politique avec pour héroïne une chatte trop mimi mais capable des saillies dévastatrices avec sa douce voix. Tout pour faire le meilleur film du monde, non ?!
Hélas, mille fois hélas, c’était sans compter sur le tempérament tout autre de “T.O.L”, le nom donné au duo de réalisateurs derrière le film, qui était déjà le premier film Tamala 2010 sorti en 2002, et qui compte en faire une trilogie. L’une des raisons envisageables pour un tel délai entre les deux films et leur difficulté à monter un tel projet tient peut-être dans une narration ultra alambiquée, qui a tendance à répéter 15 fois (et ce n’est même pas une exagération) les tenants de l’intrigue, jouant allégrement sur la patience du spectateur pour parfois volontairement l’assommer dans des dialogues interminables, avant de partir dans des phases plus psychédéliques ou des sous-intrigues sans utilité réel au récit, pourvu qu’on gonfle l’univers dans tous les sens avec tout ce qui leur passe par la tête.
La direction artistique a fière allure, et l’ensemble propose souvent des idées réjouissantes, ou des plans iconiques, mais le tout est souvent plombé et tiré vers le bas par un rythme léthargique et un script ultra pompeux, qui semble se satisfaire de troller le spectateur à multiples reprises.
C’est d’autant plus dommage que ce Tamala 2030 est un vrai film punk dans son ADN, avec une clairvoyance sur le monde moderne qui fait froid dans le dos, mais son refus obstiné d’être facile à suivre le rend malheureusement peu divertissant et par moment ennuyeux au possible, alors qu’on ne demandait qu’à l’aimer. Le résultat a le mérite d’être singulier, vous en conviendrez, et c’est d’autant plus rageant quand on voit son potentiel qui ne demande qu’à être mieux employé.
Retour en France pour la suite, mais dans celle du passé et par le prisme de l’Angleterre avec Theatre of Horrors : The Sordid Story of Paris’ Grand Guignol !
Ce documentaire de David Gregory propose de revenir, archives et témoignages à l’appui, sur l’histoire extraordinaire d’un des lieux les plus populaires de la scène théâtrale parisienne entre 1896 et 1963 : le théâtre du Grand-Guignol. Et pourtant, il semble qu’il ait été volontairement ignoré d’un bon paquet d’ouvrages historiques sérieux sur la question, pour la simple et bonne raison que ce fameux théâtre était spécialisé dans la présentation de spectacles sordides, avec mises à morts sanguinolentes et histoires horrifiques finissant souvent mal. Naissant d’un désir de réalisme avec un mouvement naturaliste qui adaptait entre autres les nouvelles de Maupassant pour montrer des histoires des petits gens avec leurs tristes fins, cet établissement raffinera son style au fil des ans pour proposer des pièces toujours plus spectaculaires et grandiloquentes, avec ses propres stars, gagnant une popularité colossale jusqu’à la période de l’occupation, la suite étant beaucoup plus ténue jusqu’à sa fermeture.
Si la forme du documentaire est en soit très classique, l’ensemble est ultra documenté et assez passionnant tant il retrace une histoire du fantastique et de l’horrifique typiquement française, avec aussi bien les détails croquignolets de l’époque, dont les débuts avec l’utilisation de vrai sang d’animal sur scène et les conséquences hygiéniques pour la ruelle du théâtre, ou plus largement sur l’influence bien plus international que dans nos contrées, le film montrant les ramifications contemporaines et l’importance notable du lieu dans le cinéma anglo saxon et américain.
On sort de là en rêvant d’assister à une représentation de l’époque, le tout nous rappelant à quel point la France a pu être pionnière dans le domaine même si elle a malheureusement mis de côté cet héritage, dont vient d’ailleurs le mot grand-guignolesque, qui désigne donc bel et bien un spectacle macabre et gore ! Difficile d’ailleurs de ne pas se plaindre qu’un tel documentaire ait été fait par nos voisins anglais, mais l’important est que le résultat soit à la hauteur du lieu, et tous les amateurs du genre devraient d’ores et déjà mettre ce nom de côté pour se ruer dessus lors d’une sortie prochaine.
Dans les bizarreries totales de cette édition, on a aussi retrouvé ce bon vieux Ben Wheatley, un enfant du festival s’il en convient, les habitués de la manifestation l’ayant découvert avec Kill List en 2011 (cela ne nous rajeunit pas.) Bon, depuis le réalisateur british s’était un peu perdu, entre un remake d’un Hitchcock pour Netflix ou bien Jason Statham qui tape des requins géants dans The Meg 2, et c’est peu dire qu’on ne s’attendait pas vraiment à le revoir dans les couloirs de l’Étrange.
C’est sûrement ce qu’il s’est lui-même dit, et le revoilà donc avec Bulk, un micro-budget expérimental où il est question d’agence secrète, de voyage dimensionnel et de retour dans le temps.
On ne va pas faire comme si on avait tout compris à ce contrepied total à ses récentes oeuvres, qui ressemble parfois à un film étudiant dans lequel Sam Riley se retrouve pris dans des conversations sans queue ni tête dans des décors vides en noir & blanc.
Alors il y a bien ça et là des collages, maquettes, et autres tentatives esthétiques farfelues tout comme le film se refuse à une structure linéaire, mais il faut bien avouer qu’on n’a pas tout compris à Bulk, qui trouve vite les limites de son exercice, et qui s’avère plus être un énorme sas de décompression pour le metteur en scène, visiblement loin d’être en extase suite à sa récente expérience de méga-blockbuster international. Les conditions de production de son nouveau film sont plus intéressantes que le résultat, pas franchement passionnant, mais le tout rappelle clairement que Whitley est un artiste un peu à part, et qu’on aimerait bien le retrouver sur un projet conciliant moyens et artistique dans une symbiose totale.