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Un Dimanche, Une Critique : La Porte du Paradis

Ce dimanche, comme le précédent d’ailleurs, est un peu particulier. En effet la rubrique a pour but de vous faire (re)découvrir des films en fonction de ce que nous avons l’occasion de voir nous-même pour le plaisir. Mais il y a de plus en plus de belles ressorties en salles à coté desquelles il serait dommage de passer.

Plus de trente ans après la sortie de sa première version, Carlotta Films sort donc au cinéma La Porte du Paradis de Michael Cimino dans sa version longue restaurée, et ce quelques semaines seulement après avoir ressorti le Django de Sergio Corbucci, celui-là même qui a servi d’inspiration à Quentin Tarantino.

Nous avons eu la chance de voir le film de Cimino mettant en scène Kris Kristofferson, Christopher Walken ou encore John Hurt. Et c’est une fresque à ne manquer sous aucun prétexte le 27 février prochain.

 

Le film qui a été présenté la semaine dernière au Nouveau Latina, dans le marais, a une histoire toute particulière. C’est tout d’abord l’histoire d’un cinéaste talentueux, Michael Cimino, qui vient, en 1980, date de sortie de Heaven’s Gate, de triompher avec The Deer Hunter (qui évoque les ravages de la Guerre du Vietnam). Il y mettait en scène, excusez du peu, Robert De Niro, Meryl Streep, John Savage, John Cazale et (déjà) Christopher Walken. Avec cinq Oscars (dont celui du meilleur film), Michael Cimino est au sommet de sa gloire : encensé par la critique et apprécié du grand public, on lui promet une suite de carrière heureuse…

Heaven’s Gate a donc la lourde responsabilité de succéder à ce franche réussite. Et pour doubler la mise, Cimino n’a pas fait dans la dentelle. 44 millions de dollars de budget (considérable pour l’époque), et l’ambition de reconstituer tout un pan de l’Histoire des Etats-Unis avec comme toile de fond le choc, à la fin du XIXème siècle, entre les riches farmers américains, organisés sous la forme d’un puissant lobby, et les nouveaux immigrés venus d’Europe de l’Est en quête de quelques terres des Grandes Plaines pour assurer leur subsistance et celle de leur marmaille. Bien évidemment, comme il faut toujours une bonne romance pour animer ce genre d’environnement, le film met en scène une passion impossible entre deux amants déchirés par les tourments d’un conflit très marxiste dans l’idée de la lutte des classes, la fin de l’appropriation des terres et des biens par les riches, etc…
A mi-chemin entre la grande fresque historique et le western, Heaven’s Gate intervient en 1980 dans un contexte hollywoodien qui n’est plus tellement favorable à ce genre de films. Pourtant, doté d’un budget pharaonique, l’œuvre de Michael Cimino se devait de rencontrer un vaste public pour se rentabiliser. Mais, trop Old School pour les spectateurs lambda et trop mégalo et polémique pour la critique, le film va connaitre un échec si monumental qu’il va entraîner dans sa ruine sa boite de production, la United Artists.

Originellement sorti en 1980 avec une durée de 219 minutes, le film a subi un remontage qui devait en partie sauver les premières semaines d’une exploitation catastrophique. Heaven’s Gate a donc été élagué de 60 minutes, mais n’a pas fonctionné à sa ressortie en 1981. La première version ayant été perdue, Michael Cimino, qui a supervisé le remontage et la remasterisation de son film, a du faire avec les négatifs de l’œuvre originale.

Et malheureusement, on retrouve cette donnée dans le rendu final : l’image est d’une qualité inégale, tantôt sublime (la séquence de patins à roulette et musique traditionnelle dans la salle occupée par les immigrés est d’une beauté saisissante), tantôt parasitée par des tâches, traits de lumière claire, qui vieillissent en enlaidissent le tout. Pourtant, dans sa version originale et l’apparat que permet le format 70mm, le film devait être d’une grande beauté, tant la réalisation tend vers l’épique et le sensationnel. Les batailles entre les deux camps durent 10 ou 20 minutes, la recherche des plans les plus larges possibles pour la meilleure saisie possible des paysages est constante, les décors impressionnent par leur réalisme et leur gigantisme… Pas étonnant qu’Heaven’s Gate connaisse aujourd’hui une deuxième vie : il synthétise à merveille le grand cinéma épique qui s’exalte à travers les grandes fresques, romances et aventures. C’est sans doute dans ce sens que l’on peut dire qu’il y a, dans Heaven’s Gate, un je ne sais quoi de David Lean ou de John Ford. Difficile en effet d’imaginer devant ces images remplie d’une esthétique typée 50’s ou 60’s que le film est sorti en 1980.

Dans son propos, Heaven’s Gate diffuse de l’aigre-doux vis-à-vis de la construction des Etats-Unis en tant que nation. En s’attaquant à cette Amérique flamboyante, riche, prospère, et fondatrice que représentent les propriétaires terriens et en prenant la défense de ces immigrés miséreux et persécutés qui formaient à l’époque un prolétariat, Michael Cimino ne pouvait que se heurter aux garde-fous des symboles d’un pays qui ne supportait pas la moindre critique, introspection, surtout lorsqu’elle venait de l’intérieur. C’est avec des phrases telles que « ils ne peuvent pas tout de même tous les tuer, ce ne sont pas des Indiens », sorties de la bouche d’un personnage, ancien d’Harvard symbolisant donc l’élite du pays, que Michael Cimino a été considéré par la critique comme un véritable paria antipatriotique, pour avoir jeté l’opprobre sur les fondations des Etats-Unis. La clairvoyance et l’honnêteté de Michael Cimino l’auront donc amené à traverser le désert pendant de nombreuses années. Il n’en reste pas moins que son propos, aussi dérangeant soit-il pour les patriotes fanatiques, reste ici d’une immense pertinence.

Le plaidoyer de Michael Cimino en faveur des minorités oppressées se trouve renforcé par un casting au diapason : autour de Kris Kristofferson, qui joue un sheriff chargé de protéger sa population d’immigrés face au lobby des riches fermiers qui ont lancé une chasse à l’homme, gravite des personnages aussi cohérents que convaincants : Isabelle Huppert (la maîtresse dont il est fou amoureux), Jeff Bridges (l’homme de main dévoué), et Christopher Walken (le rival sur tous les plans : politiques et sentimentaux)… A noter également cette construction théâtrale du scénario, qui prend tout le temps qu’il faut pour développer la présentation des personnages et de l’intrigue, les péripéties, les rebondissements et la résolution finale. Du point de vue de la construction, Heaven’s Gate est un modèle de précision.

En 3h40, Heaven’s Gate déploie donc son souffle dévastateur en montrant avec génie et gigantisme un aspect polémique de l’Histoire des Etats-Unis. La réalisation, la performance des acteurs et le propos d’une grande subtilité emportent tout avec eux, mais surtout l’adhésion et l’émotion du spectateur.

 

La Porte du Paradis – Sortie 22 mai 1981 – Ressortie le 27 février 2013 (version restaurée)
Réalisé par Michael Cimino
Avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt
Deux anciens élèves de Harvard se retrouvent en 1890 dans le Wyoming. Averill est shérif fédéral tandis que Billy Irvine, rongé par l’alcool, est membre d’une association de gros éleveurs en lutte contre les petits immigrants venus pour la plupart d’Europe centrale. Averill s’oppose à l’intervention de l’association sur le district et tente de convaincre son amie Ella, une prostituée d’origine francaise, de quitter le pays.

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