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Critique : Akira
Lorsque CloneWeb m’a demandé d’écrire sur Akira à l’occasion de la ressortie du film en salle, je me suis dit que c’était une gageure : il existe déjà moults sites, articles et livres sur le sujet alors que dire de plus ? Inutile d’en rajouter sur la genèse du projet, la réalisation admirable, les prouesses techniques, le budget hors norme, les séquences iconiques…
Alors comment parler de ce film ? eh bien, humblement, en donnant mon point de vue et en parlant de ma relation avec lui. Et cela se résume en une phrase simple : Ce film, c’est l’adolescence.
L’adolescence au travers de ses héros évidemment, même si elle se limite au point de vue masculin. On est en présence de garçons bourrés d’énergie et de sentiments exacerbés : colère, violence, frime, rébellion, amitié… tout est poussé à l’extrême. La relation entre les deux protagonistes principaux, Kaneda et Tetsuo passe par ces hauts et ces bas propres à l’adolescence. Difficile de dire s’ils sont attachants par exemple, difficile de dire qui a raison entre les deux. Mais on avance coûte que coûte avec eux, ils sont deux forces inexorables qui finiront par s’affronter. Et c’est là une des problématiques de l’adolescence : on est obligé de grandir, même si on ne le veut pas. Des changements s’opèrent, physiquement et mentalement, et parfois c’est douloureux (Tetsuo), ou bien parfois on prend ça à la rigolade (Kaneda), mais quoiqu’il arrive, il faut traverser la période pour devenir adulte.
Justement, les adultes, parlons-en : pas un seul d’entre eux ne dit la vérité. Tous les protagonistes adultes du film sont des manipulateurs ou jouent un double jeu, parfois pour le bien de la société mais dans la majorité des cas, pour leur intérêt personnel. Pas étonnant que les ados soient enclins à la rébellion !
Autres personnages très intéressants (et très marquants visuellement) : les enfants. Il n’y a pas d’enfant dans Akira. On y trouve des mutants que l’on a maintenu dans des corps d’enfants mais qui ont tout de même vieilli (et verdi) prématurément à cause de l’usage de leurs pouvoirs. Ces êtres sont à la fois les plus sages (ils prédisent l’avenir) et les plus immatures (ils tremblent à la vue de sang) du film, fusionnant deux périodes de la vie qui justement enjambent l’adolescence. Ils savent et comprennent beaucoup de choses (eux aussi sont des manipulateurs) mais ne peuvent rien faire à l’inverse de Tetsuo et Kaneda qui ne comprennent pas tout mais sont dans l’action (le déplacement, la vitesse, le combat). L’adolescence est donc une période nécessaire pour pouvoir devenir (s’accomplir ?) un individu complet.
L’adolescence, on la retrouve aussi dans le film en tant qu’objet.
Je m’explique : l’animation japonaise en tant qu’industrie existe depuis les années 1960 et très tôt elle a exporté des productions vers l’étranger (principalement des séries télévisées comme Astro boy, Speed racer ou Le roi Léo). Mais malgré son succès dans tout l’Occident, elle n’a jamais vraiment été prise au sérieux par la critique et le grand public (sans doute son animation saccadée et son public enfantin y sont pour quelque chose). Ainsi, alors qu’au Japon durant les années 1970-80, les productions s’amélioraient, gagnant en maturité et en qualité technique, en Europe et aux États-Unis on se contentait d’importer des séries ou des films essentiellement destinés à la jeunesse et l’on n’hésitait pas à couper certaines scènes, modifier les dialogues ou réinterpréter les intentions des acteurs de doublages, souvent pour donner un effet comique.
Lorsque Katsuhiro Otomo entame Akira en manga, on est en 1982. La série est immédiatement un énorme succès critique et public. Parallèlement à sa série, Otomo collabore à certaines productions animées des années 80 (comme Harmageddon) et il voit donc la qualité et les possibilités offertes par ce médium (pour la faire courte, les années 80 voient naître les studios Ghibli et Gainax, les séries Gundam et Macross qui portent la japanimation à un niveau supérieur).
Lorsqu’on lui propose d’adapter Akira en anime, il hésite puis accepte à condition d’avoir le contrôle total sur la production. Il va réussir à fédérer autour de lui un groupe d’investisseurs qui vont lui donner le plus gros budget pour un film d’animation à l’époque et il va tout faire pour être pris au sérieux, pour montrer au monde le potentiel, la qualité, le talent des animateurs et scénaristes japonais. Un peu comme un adolescent (certes extrêmement doué) qui veut prouver de quoi il est capable alors qu’il a toujours été déconsidéré ou pris à la légère. Et le film fut une claque. Mondiale. Ce film plein de rage et de fureur montrait enfin que l’animation n’est pas un genre mais un moyen. Bien sûr il a fallu passer par une histoire violente, sombre, pessimiste mais l’adolescence n’est-elle pas une période de crise ?
Et puis, pour conclure, je parlerai de mon adolescence car le film est sorti en France lorsque j’avais 18 ans (oui bon, j’avoue que 18 ans, c’est plutôt la fin de la période mais bon). Et pour moi qui fut biberonné à Goldorak, Candy, Albator et autres Cobra, je peux vous dire que ce film était à la fois une surprise et ce que j’attendais de voir depuis des années. Certes, on trouvait dans les vidéoclubs (pour les plus jeunes, j’explique, c’était des endroits où on pouvait louer des cassettes vidéo, un peu comme la VOD sur internet sauf que là, il fallait sortir de sa maison et tenir de vrais objets dans sa main), dans les vidéoclubs disais-je, certains longs métrages d’animation japonaise qui permettaient de découvrir des intrigues ou des ambiances plus sombres que les séries télé. Mais alors là… rien à voir. Akira, c’était le niveau au-dessus, l’apogée.
Le film est immédiatement devenu un classique. Et aujourd’hui qu’il ressort, que l’on peut voir sur grand écran ces DESSINS, oui de vrais dessins faits à la main et peints sur des celluloïds (en quantité astronomique, cherchez sur wikipedia), cela ne fait que rajouter à ce classicisme, dans une ère d’images numériques, il y a paradoxalement un côté « humain » dans ces images. J’évoque ici la beauté plastique mais un des avantages de cette ressortie sur grand écran, c’est indéniablement le son : on en prend plein les oreilles et on vibre à chaque coup de tambour.
Bref, vous l’aurez compris, Akira est LA ressortie de cette fin de vacances. Et finir les vacances en se rappelant ou en voyant ce que c’est que l’adolescence, c’est une bienvenue coïncidence (oui car les ados n’aiment pas la fin des vacances et, oui, je fais des rimes toutes pétées).
Akira, de Katsuhiro Ôtomo – Sortie initiale le 8 mai 1991, reprise le 19 août 2020