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Spécial Wacho : Analyse Séquentielle de Speed Racer

Dernier volet du week-end spécial Wachowski en attendant de revenir sur l’évènement ciné de la semaine à venir : la sortie de Cloud Atlas.

Après Arkaron sur Matrix, Jean-Victor a choisi d’évoquer Speed Racer d’abord à travers son univers visuel et aujourd’hui à travers l’analyse d’une séquence. Contrairement au sujet sur Matrix qui met en avant plusieurs séquences, on évoque ici un très court passage du film, particulièrement révélateur du boulot fourni en terme de montage et de photographie.

Ou comment 30 secondes d’un film peuvent être discrètement révolutionnaires.

Le point le plus remarquable et sur lequel Speed Racer diffère complètement de n’importe quel blockbuster ou film en général est sa narration.
Les quinze premières minutes sont édifiantes à ce niveau-là, et parviennent à montrer une course complète du personnage principal tout en le présentant lui, sa famille, sa petite amie, en exposant les angoisses de chacun, leur passé, leur attachement respectif à la course et le projet général de l’œuvre.
Cette réussite, et la fluidité qui tient tout le récit, sont dues à une invention originale qui provient du mélange inédit entre montage, compositing et photographie.
Une sorte d’hybride que le superviseur des effets spéciaux John Gaeta a surnommé « editography », comme mélange de « editing » (montage) et « cinematography » (photographie).
Zach Staenberg, monteur de toujours des Wachowski, explique leur vision durant la pré-production : « Ils étaient intéressés à l’idée d’utiliser le compositing d’une façon encore jamais vue auparavant. »
Leur point de vue se basait sur le fait que chaque élément allait être filmé séparément et avec une netteté absolue. Cela leur permettait par la suite de composer les images et les scènes au montage de n’importe quelle manière.
Par conséquent, le montage du film allait prendre une toute autre dimension.
Certes, il est normal de tricher avec des plans au montage d’ordinaire, mais quand chaque élément de l’image est modifiable, le nombre de possibilités explose.
Staenberg raconte : « Les Wachowski nous expliquèrent qu’au terme du tournage, le nombre de plans complètement finis serait minime, et qu’il était impossible de déterminer la somme de montage à faire, excepté qu’elle serait deux, trois, voir cinq fois supérieure à un film classique ».

Étant donné la disponibilité de tous les éléments visuels avec une netteté parfaite, c’était au montage qu’étaient déterminées les parties floues du plan, et la mise en place des premiers éléments de composition en termes de profondeur et de parallaxe.
« Sur un film classique, où vous possédez les plans tels qu’ils sortent de la caméra, vous avez quatre à cinq mois pour assimiler tout ce matériel et l’affiner. Avec Speed Racer, Larry & Andy étaient encore en train de concevoir les plans quelques semaines avant que tout soit fini »
Poussé par les réalisateurs à expérimenter et réfléchir au-delà des conventions cinématographiques habituelles, l’équipe du film en est venu à repenser la perspective.
« Nous rejetions les règles de la perspective de la Renaissance, pour créer un monde à la spatialisation baroque avec des distances focales différentes pour chaque personnage.
Cela offrait un vrai défi de cinéma : nous devions redéfinir la perspective, ce qui est fait habituellement avec la caméra, et redéfinir le temps, ce que fait le montage.
Nous devions faire ressentir les différences entre les deux sans se sentir rejeter ».
Cette méthode prend tout son sens durant les scènes de course, que ce soit la première qui introduit le dispositif avant de le coupler à d’autres effets (dont la Ghost Car) ou celle de la course de Fuji Helexicon, dont nous allons voir l’introduction plus en détails.

Cette séquence démarre pendant le rendez-vous entre Speed et Royalton au milieu du film, dans lequel le véreux millionnaire révèle sa vraie nature au héros après avoir vu son offre refusée humblement par celui-ci, qui finit la discussion en lui rendant la combinaison Royalton pour marquer son indépendance et affirmer son amour de la course.
Royalton commence alors à le menacer dans un gros plan de face qui part en travelling circulaire gauche autour du personnage.
Alors que le mouvement de caméra est plutôt lent autour de Royalton, l’arrière-plan bouge plus vite qu’il ne devrait et s’accélère progressivement pour finalement tourner en boucle (on y voir à plusieurs reprises la même fenêtre et le même mur marqué d’un W, permettant de comprendre qu’il s’agit en fait de la bulle de décor qui tourne sur elle-même). Tandis que la caméra sur Royalton arrive à son profil, le décor va tellement vite qu’on en distingue uniquement les lignes de vitesse, un crescendo souligné par l’irruption musique de Michael Giacchino.
Aussi, le côté droit du visage de Royalton est dans l’ombre, et la caméra se focalise sur cette partie en l’accentuant pour souligner la noirceur du personnage.
Quand Royalton est complètement de profil sur le tiers gauche, la dominante colorée des lignes de vitesse, jusqu’alors violette, tourne progressivement au bleu tandis que le visage de Speed Racer habillé de sa combinaison et de son casque de course arrive de profil sur le côté droit de l’écran, pour occuper le tiers droit de l’image.
La caméra sur lui va alors opérer le mouvement que l’on vient de voir sur Royalton, un travelling circulaire gauche, qui va progressivement revenir face au personnage tout en chassant Royalton du cadre de la manière dont Speed était apparu.
On notera en passant qu’avec cette transition, la voix de Royalton s’efface progressivement et le spectateur a juste le temps d’entendre comme fin de phrase « Tu vas aller à Fuji, et tu vas tout faire pour prouver que ce que je vais te dire là est un mensonge… »
On aperçoit alors le siège et le cockpit de la Mach 6 (la version circuits à grande vitesse de la Mach 5) et les lignes de vitesse disparaissent pour laisser place à la route noire et bleue du circuit de Fuji.
Une fois la caméra devant le regard du héros, celle-ci opère alors un impressionnant mouvement en travelling arrière pour révéler la voiture en pleine série de vrilles durant la course, le plan faisant face au « tube » formé par les deux pans de route en vrille à 360°.
Le plan, impossible à faire autrement que numérique, ne s’arrête pas là, puisque la caméra continue de reculer pour nous montrer que la vue du tube est une image projetée sur l’écran d’un ballon dirigeable qui survole le lieu de la course. C’est enfin à ce moment-là, que l’on assiste à une coupe en cut.

Pourtant, le montage vient en réalité de combiner six plans différents :
-Le mouvement de caméra circulaire sur le visage de Royalton
-La bulle de décor du bureau
-La bulle du décor du circuit
-Le mouvement de caméra circulaire sur Speed Racer
-Le mouvement de caméra numérique au coeur du tube
-Le mouvement de caméra numérique sur le dirigeable et l’île de Fuji.

Pourtant devant le fait accompli, nous sommes obligés de prendre l’ensemble pour un seul et unique plan tant la continuité visuelle est maintenue du début à la fin.
Le montage vient d’allier des éléments très différents (plans sur plateau, bulles intégrées, plan avec de l’image de synthèse 3D, plan avec superposition de calques plats 2D) sans que l’on s’en rende compte, et d’assurer la transition avec une fluidité parfaite puisque nous comprenons immédiatement ce qu’il se passe.
D’abord sur un plan purement visuel, le changement d’espace diégétique entre le bureau de Royalton et le circuit de Fuji.
Toujours par l’image, nous pouvons aussi voir changement d’espace temporel puisque nous venons de nous projeter dans le futur, du rendez-vous chez Royalton à la course de Fuji dont nous avons déjà connaissance puisqu’elle a été citée à plusieurs reprises auparavant dans le film, tandis que le plan suivant montre les 2 commentateurs sportifs nous rappeler le cours des événements au cas où.
Enfin, la composition de ce plan nous indique ce dont il retourne en termes d’enjeux puisqu’en mettant en face à face de part et d’autre de l’image Royalton et Speed durant la transition, nous comprenons que le héros ne conduit pas seulement pour gagner une simple course. Fuji Helexicon, qui remplace Royalton dans le champ de vision de Speed, devient une excroissance de l’homme d’affaires et par conséquent gagner Fuji Helexicon, c’est battre Royalton.
En un plan de 25 secondes, nous changeons de lieu, de temps et les enjeux sont fixés et ce grâce uniquement à l’Editography. Pas mal pour de « la bouillie numérique ».

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1 commentaire

  • par NonooStar
    Posté jeudi 22 janvier 2015 14 h 45 min 0Likes

    « Fuji Helexicon, qui remplace Royalton dans le champ de vision de Speed, devient une excroissance de l’homme d’affaires et par conséquent gagner Fuji Helexicon, c’est battre Royalton. »

    On peut même aller plus loin. La transition du plan sur le circuit qui devient une image du circuit sur un écran rappelle la révélation de Royalton : la course est « staged », c’est-à-dire mise en scène, truquée, planifiée.

    Une symbolique qui rejoint celle des écrans de télé dans la trilogie Matrix… notamment ceux de l’Architecte et celui, qu’il faut dès lors interpréter à rebours, de Morpheus quand il montre à Neo les premières images du monde réel.

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