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On en a parlé dans le numéro de Happy Hour consacré à la sortie de Evangelion 3.0+1.0 : la série et les films de Hideaki Anno ont marqué les adolescents, qui ont trouvé des personnages auxquels s’identifier. Pour évoquer d’avantage la conclusion de la saga, CloneWeb accueille donc Pierre, 17 ans, pour son premier papier. Attention, la chronique qui suit contient des spoilers.
Fable sur la quête du bonheur, Neon Genesis Evangelion a et fascine toujours autant les esprits après plus de 25 ans d’existence. Et cette année, après 9 ans d’attente, ce 13 août sortait enfin le dernier volet de la quadrilogie Rebuild of Evangelion, mettant enfin un point final à ce monument. Cette série de films qui avait comme projet de redéfinir Evangelion, commencée en 2007, avait plus ou moins divisé les fans, notamment avec le 3e film, Evangelion 3.33. Pourtant, avec l’avènement d’Evangelion 3.0+1.0 la communauté semble s’être enfin réunie pour dire adieu à cette grande licence.
Je passerai outre l’aspect technique du film pour des raisons évidentes. Evidemment que le film est une tuerie visuelle, et Khara a probablement livré ici sa meilleure production. On pourra toujours râler sur la légitimité de la 3D, il faut bien admettre qu’ici le film fait un sans-fautes. Entre une mise en scène excellente, un cadrage toujours des plus perfectionnistes et une animation à couper le souffle, Hideaki Anno montre encore qu’il n’a plus rien à prouver à personne.
Car si le film brille autant ce n’est pas seulement par sa réalisation mais plutôt par son écriture. Alors qu’est ce qui fait qu’Evangelion 3.0+1.0 est aussi bon ? En un seul mot : la sincérité.
Ce n’est un secret pour personne, Evangelion est clairement l’œuvre de la vie d’Anno, celle où il a été le plus sincère ces 25 dernières années. Mais ici, quelque chose a changé. Dans la version Rebuild, terminés les non-dits, terminés les doubles sens, terminés les messages cachés. Ici en plus d’être sincère, Anno est avant tout honnête avec ses spectateurs.
Toutes les parts d’ombre de la série originale sont enfin dévoilées à la lumière du jour, et bon sang que ça fait du bien. Anno a très bien saisi que pour que son message soit compris par tout le monde il devait être clair.
Plus de superflu : Asuka avoue à Shinji qu’elle était amoureuse de lui et inversement, Gendo (le père de Shinji) explique très clairement ses intentions et ses raisons, Rei a des motivations et une conclusion digne de ce nom, Misato avoue que Shinji a été comme un fils pour elle et les 3e et 4e impact sont expliqués (dans un charabia au lexique biblique mais expliqué quand même). Tout le monde a droit à sa conclusion sans passer par des théories de 40min qu’on serait allé chercher sur YouTube.
Certes, certains regretteront l’absence appuyée d’action dans le film (malgré une scène d’introduction des plus impressionnantes), surtout que celui prend bien son temps par moment. Mais au bout d’un moment il faut choisir entre la bagarre boum boum et le développement des personnages. Evidemment que le film comporte moins d’action que les 2 premiers volets de la quadrilogie puisque ceux-ci s’approchaient plus du remake qu’autre chose. Et heureusement qu’Anno a vraiment décidé de prendre son temps parce que la tâche n’était pas aisée. Il met enfin les points sur les i et répond aux questions que l’on se pose depuis plus de 25 ans. Car ce film est avant tout un anti « The End of Evangelion ».
Après avoir terminé la quadrilogie une question m’est venue : « Est ce que ces films ne sont pas meilleurs que la série originale ?». S’il m’était tenté de dire oui au premier abord, j’ai compris très vite que si les films m’ont autant touché c’est avant tout parce que j’aimais profondément la série originale. C’est pourquoi il faut voir Evangelion plus le film The End et les Rebuilds comme les 2 faces d’une même pièce. L’un ne va pas sans l’autre, ils sont essentiels pour être appréciés ensemble. Car là ou The End est une décente aux enfers pour ses personnages, 3.0+1.0 leur offre la rédemption qu’ils méritent. Et cette opposition repose sur un seul personnage, probablement le plus important des 2 films (The End et 3.0+1.0), Gendo Ikari, le père de Shinji.
Parce que, malgré une attente importante des spectateurs, les intentions de Gendo Ikari, que ce soit dans la série ou le film The End, ne sont jamais expliquées clairement ni même qui il est vraiment. Comme dit précédemment tout n’est que suppositions et superflu ; on comprenait vaguement qu’il cherchait à ressusciter sa femme et à accomplir « le plan de complémentarité de l’Homme » mais sans plus. Même le flash-back de la série sur son passé ne racontait pas grand-chose.
Alors qu’ici, dans 3.0+1.0, il parle à cœur ouvert et surtout il ne parle pas à n’importe qui, il parle à son fils. Et elle est là toute la différence, il est là le message sur lequel repose en grande partie le film. Shinji pardonne à son père, l’écoute et le comprend, là où dans The End il le tuait avec l’Eva 01.
Gendo explique qu’il a voulu ressusciter sa femme parce qu’elle était la seule personne à l’avoir fait aimer le monde, lui qui était un homme introverti et seul. Gendo est un homme perdu qui lui aussi cherche le bonheur tout comme son fils. Et c’est cette relation père/fils qui amène à l’aboutissement non seulement de Gendo mais aussi de Shinji.
Shinji prend ses responsabilités, assume ses actes et qui il est, et trouve enfin son but. Il devient un homme, un adulte. 25 ans de pleurnicheries, de dépression et de fuite pour ENFIN le voir mûrir. Parce que même si dans la première partie du film on semble reparti pour voir du Shinji en boule, celui-ci se reprend vite en main, et pas juste durant les 5 dernières minutes du film histoire de conclure vaguement (bonjour The End) mais bien à partir de la moitié du film.
Ce qui est surtout fort, c’est que là où l’on s’attend à voir une transition vers un Shinji mâture en commençant le film et bien celle-ci se fait tout naturellement et Anno montre encore une fois la maîtrise de ses personnages (en même temps au bout de 25 ans il serait temps de savoir les conclure).
Je ne m’attarderai pas sur tous les personnages car ça deviendrait indigeste mais comme dit un peu plus tôt, tout le monde trouve sa conclusion. Il en devient même dingue de se dire qu’il aura fallu attendre autant de temps pour voir tout ce beau petit monde trouver le salut. Seul point noir à mon sens, le personnage de Mari qui est toujours aussi nébuleux que sa première apparition dans Evangelion 2.22 car même si j’ai dit qu’Anno jouait la carte de la transparence et arrêtait les non-dits ce n’est pas le cas de ce personnage. On comprend vite fait qu’elle était amie avec Gendo Ikari et Yui Ikari (la mère de Shinji) étant jeune, ce qui veut dire que sa mission aurait été de pousser Shinji vers sa maturité ? On ne sait pas vraiment et on ne saura jamais d’ailleurs, même si je pense que c’était voulu par Anno d’inclure un personnage aussi flou uniquement pour pousser le développement de Shinji c’est plutôt dommage de se retrouver avec un casting enfin libéré de toutes suppositions et d’avoir Mari au milieu (même si certains me diront que Mari n’a pas besoin de conclusion car celle-ci est déjà un personnage complet dès son entrée en scène).
Alors quel est le message de fin d’Evangelion ? L’ultime au revoir ? Neon Genesis Evangelion est une œuvre, au-delà des robots humanoïdes, centrée sur la dépression. Et là où la série et le film The End montraient des personnages rongés par tous les aspects de la maladie, les films Rebuild sont une thérapie pour eux. La vie est difficile mais si on se donne les moyens elle ne sera jamais un enfer. Peu importe ce que l’on fait où ce que l’on dit, il y aura toujours des personnes pour nous aimer et pour nous sortir de notre impasse. Ce message est clairement porté par Shinji car malgré avoir causé 2 génocides terrestres il y a encore des gens pour le soutenir et l’aider. Hideaki Anno invite ses spectateurs à sortir de leur renfermement, à voir autre chose qu’eux même et à apprendre à faire confiance aux autres. Oui, devenir un adulte ça fait peur mais ce n’est pas impossible, tout le monde est passé par là et ce monde-là est prêt à t’aider.
Shinji à travers la confiance des autres arrive à se faire confiance lui-même et à sortir de sa bulle pour découvrir le monde. J’ai vu traîner sur Twitter une critique qui trouvait ce message hypocrite, disant que Anno incitait les otakus à sortir de chez eux, à renier cette culture pour enfin devenir des adultes normaux alors que Evangelion et lui-même étaient plus ou moins responsables de l’état de la culture otaku actuelle. Et je trouve que dire ça est complètement stupide. Personne ne vous oblige à renier qui vous êtes pour devenir adulte, c’est avant tout une remise en question sur vous-même pour porter un regard nouveau sur le monde qui nous entoure. J’en veux pour preuve Hideaki Anno lui-même, qui lors d’un documentaire sur la conception de 3.0+1.0 avouera que pour le jour de son mariage il est venu en costume d’Ultraman. Et ça, ça veut tout dire : Anno est devenu un adulte tout en restant fidèle à lui-même.
Et elle est là toute la finesse de la conclusion d’Evangelion, Shinji devient adulte tout en restant qui il est vraiment. Evangelion a toujours été une célébration de la culture otaku et elle se termine en restant tout ce qu’elle a toujours été. Mais ça ne veut pas dire qu’elle ne se résume à ça, en étant le porte étendard de cette culture. Evangelion arrive donc à tisser un lien avec ses spectateurs otakus pour mieux les prévenir et leur montrer les dérives de celle-ci. Evangelion 3.0+1.0 est une invitation à sortir de sa zone de confort pour se confronter et aimer le monde extérieur. Anno semble directement nous parler pour nous dire «si j’y suis arrivé alors pourquoi pas toi ?». Message d’autant plus renforcé que Shinji se trouve dans les studios de Khara à la fin du film lors du combat final. Evangelion 3.0+1.0 nous dit d’enfin passer à autre chose, d’enfin sortir de chez soi, Shinji le dit lui-même « Au revoir Evangelion ». Certains trouveront peut-être cet happy ending trop simple, mais n’oubliez pas qu’une fin « simple » à Evangelion est probablement la chose qui aura été le plus complexe à faire.
Enfin, pour conclure, j’aimerais terminer sur une note plus globale. Etant très grand consommateur de Japanim et de films d’animations japonais, très souvent, dès qu’un film sort on a droit à la petite légende « le nouveau Miyazaki ». Un réalisateur en particulier à souvent droit à ce traitement (non ce n’est pas toi Osoda), c’est Makoto Shinkai (Your Name, Les enfants du temps).
Pour conclure donc, je voudrais mettre en opposition ces 2 réalisateurs. Pourquoi spécialement Shinkai et pas un autre ? Parce que ces deux-là sont tous deux des réalisateurs les plus sincères de ces dernières années. Pourtant leur sincérité est différente, là où Anno porte un message d’ouverture sur le monde, de pardon et de renouvellement de soi, Shinkai lui porte un message de frustré, d’égoïsme, le monde et la nature sont responsables du malheur de ses personnages. C’est pourquoi quand je vois « le nouveau Miyazaki » sous un film de Shinkai ça me tape sur le système.
Il est clair que Hideaki Anno est le nouveau Miyazaki, je ne dis pas seulement ça car les 2 hommes sont déjà très proches et amis mais parce que ses thématiques se retrouvent complètement chez lui. Anno est devenu adulte et a su tirer les enseignements de son mentor, même s’il est faux de dire qu’Anno est le nouveau Miyazaki (parce que dire ça n’a aucun sens), il est clair qu’il fait partie intégrante de son héritage. Evangelion 3.0+1.0 se rapproche plus d’une production que l’on aurait pu trouver chez Ghibli que Your Name.
Être sincère c’est à double tranchant, soit on voit qu’on est un artiste ouvert, soit qu’on en est un de fermé. Hideaki Anno à enfin mit un point final à Evangelion avec un message d’ouverture et ça, c’est un exploit que lui seul aurait pu faire dans ce monde.