710Vues 0commentaires
NIFFF #2 : Bitcoin Heist, Seoul Station, Honor My Father…
Deuxième partie des films vus et chroniques au NIFFF à Neuchatel avec un programme éclectique comme le Festival en a le secret.
Au menu donc : du rap italien, un vieux film tchécoslovaque, un blockbuster vietnamien, un thriller philippin ainsi qu’un autre regard sur le fameux Seoul Station de Yeon Sang-ho que nous avions déjà évoqué en vidéo après sa diffusion au Festival d’Annecy.
Zeta de Cosimo Alemà (2016)
Par Arkaron – Comment se porte la scène du rap italien ? C’est la question que se pose ce réalisateur de nombreux clips musicaux avec un film à la croisée des genres entre la success story à la 8 Miles, la romance de téléfilm bidon et le film de pseudo-gangsters au code d’honneur affûté. Le problème principal du métrage vient avant tout de son écriture artificielle, qui aligne les stéréotypes et les évolutions forcées sans réellement prendre le temps de développer les conséquences de chaque situation sur les personnages. Ces derniers, bien qu’au final attachants, demeurent trop longtemps des figures prédécoupées qui se définissent bien plus par leur fonction dans le récit que par leur personnalité. De la conquête éphémère au gangsta méchant mais pas tant que ça, en passant par le meilleur ami d’enfance et le père aigri mais clément, rien ne nous est épargné pour nous faire croire que nous avons à faire à une épopée digne des plus grandes sagas. Malheureusement, jamais la réalisation ne tient cette promesse, se contentant d’alterner entre passages proprement clipesques et banalité télévisuelle. Surtout, on ne perçoit jamais la ville de Rome en tant que telle tant le récit manque d’ampleur. Le cadre resserré et la narration constamment elliptique empêchent le film de décoller, même dans une rap-battle finale qui aurait pourtant dû transcender ses limites. Après l’immensement imaginatif Tokyo Tribe l’an passé, ce petit Zeta anecdotique ne fait pas un pli.
L’Oreille de Karel Kachyna (1970)
Par Arkaron – Conçu en Tchécoslovaquie au début des années 1970 en plein régime communiste, ce huis-clos tendu sur le fil du rasoir avait été interdit de diffusion à sa sortie, et on comprend pourquoi ! Articulé autour d’un dialogue deconstruisant un couple et son rapport au parti, le film installe une ambiance délicieusement paranoïaque en seulement quelques minutes, jouant sur l’idée d’une omniprésence des espions, qui occuperaient chaque recoin du cadre n’étant pas déjà rempli. On ne manquera pas de relever la très intelligente conclusion retournant les expectatives des personnages comme des spectateurs en ouvrant des possibilités bien plus fascinantes que ne l’aurait fait une conclusion plus téléphonée. Une vision critique et lucide sur un système omnipotent et étouffant.
Seoul Station, de Yeon Sang-ho (2016)
Par Basile – Un clochard titube étrangement dans la gare de Séoul, le cou marqué par une vilaine morsure ruisselant de sang. Peu à peu, il se transforme et se met à attaquer d’autres victimes. Un père cherche sa fille dans la ville alors que l’apocalypse est sur le point d’éclater… ça vous rappelle quelque chose ? Si jamais vous avez vu le moindre film d’infectés/de zombies dans votre vie, ça devrait. Et si vous pensiez voir quelque chose de nouveau dans le genre avec Seoul Station, vous faites fausse route. Yeon Sang-ho ne propose absolument rien de plus qu’un cahier des charges éculé au possible, et ce n’est pas la charge politique de son arrière-plan qui nous sauve de l’ennui poli. Certes, le film est noir et particulièrement pessimiste quant à l’état actuel de la société sud-coréenne, mais il ne suffit pas de dire que les SDF sont mal traités et les loyers trop chers pour devenir intéressant. Le combo « survie au milieu des infectés » + « commentaire social calé au chausse-pieds » existe depuis bien trop longtemps et nous a habitués a largement mieux que l’écriture mécanique dont fait preuve Yeon. Même le gore et l’animation restent très sages, la seule outrance se trouvant dans une fin noire et un tantinet caricaturale.
Bitcoin Heist, de Ham Tran (2016)
Par Basile – Le NIFFF ne faillit pas à sa tâche d’éclaireur de la production cinématographique asiatique et nous propose ce tout récent blockbuster friqué venu du Vietnam. Repompe sans vergogne de Mission Impossible (jusqu’à la scène de la goutte de sueur qui menace de rompre le faisceau laser d’une salle surveillée) et d’Ocean’s Eleven, le métrage d’Ham Tran récupère tous les poncifs et passages cultes du genre sans vraiment les digérer et les rebalance tels quels, dans une logique de contrefaçon à l’asiatique, avec un soupçon de bling supplémentaire et une grosse dose d’humour local. Si la scène d’action d’ouverture a de quoi faire peur (montage hystérique pseudo « sensoriel », géographie jetée au feu, plans déformés en prod sans qu’on ne sache pourquoi et abondance de filtres After Effect d’un goût plus que douteux), la suite s’assagit et nous propose un film éminemment sympathique. Certes, l’impression d’avoir déjà tout vu il y a dix ans ne s’efface jamais, mais le dynamisme et l’ensemble du cast suffisent à assurer le spectacle. La grande scène de braquage est même solide, malgré l’outrance de la mise en scène. Le film ne s’arrête malheureusement pas là et enchaine ensuite les twists sur plus de 30 minutes (avant de tout résumer un grand coup, constat d’échec par excellence mais prévisible dans ce cadre) jusqu’à l’épuisement du spectateur. Sympa mais gras, ou gras mais sympa, c’est selon.
Honor My Fatherd’Erik Matti (2016)
Par Basile – Polar/thriller philippin qui prend son temps pour démarrer, Honor Thy Feather exerce une certaine fascination tout au long de ses deux heures. On peine un peu à comprendre où le film veut aller au début, avant de se laisser emporter peu à peu par cette histoire de braquage désespéré pour ce père de famille de la bourgeoisie moyenne philippine, issu de classe modeste. Lent sans jamais être long, le film témoigne d’une solidité à toute épreuve dans sa mise en scène, Erik Matti étant convaincu par son histoire. Convaincu et même investi, car si son histoire ne trahit jamais le cadre du thriller pour tomber dans le film à message bête et borné, le réal fait montre d’une froide colère envers la situation sociale de son pays et s’attaque férocement aux institutions qui charpentent la bourgeoise et les classes moyennes locales, de l’appât du gain – qui pousse à tomber dans les arnaques pyramidales – à la religion, qui occupe une place absolument centrale et terriblement oppressante. Loin d’un délire d’exploitation gonzo ou d’une grosse baudruche commerciale basée sur le plus petit dénominateur commun, Honor Thy Father est la preuve parfaite qu’un film parfaitement sérieux, soigné et chargé de propos, peut voir le jour là où on ne l’attendait pas forcément, dans le cadre d’un cinéma national à l’industrie modeste. Et les festivals sont une chance de les voir arriver jusque chez nous.