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L’Histoire au Cinéma #3 : La Chute

Après l’analyse historique de deux films se déroulant il y a environ 2000 ans chacun, on fait un grand bond dans le temps pour ce troisième numéro de L’Histoire au Cinéma.

William et Robin ont en effet décidé de changer radicalement d’époque puisqu’ils nous ramènent carrément au 20e siècle avec le film La Chute Oliver Hirschbiegel.
A sa sortie en 2004, le film avait suscité de nombreux débats notamment à cause du fait que le sujet est encore sensible même plus de soixante ans après la fin du régime nazi.

Ce troisième volume de L’Histoire au Cinéma est donc consacré à la Chute.

 

 

Dans la mouvance des films qui retracent ou exploitent l’histoire de l’Allemagne au XXème siècle (Das Leben der Anderen, Goodbye Lenin, ou dans un autre genre Die Welle), La Chute (Der Untergang en allemand), aborde un sujet que l’on pensait impossible à transposer au grand écran, tant il est encore lourd, voire tabou de nos jours, et peut-être plus encore en Allemagne : le IIIème Reich, Adolf Hitler, le régime nazi. L’œuvre réalisée par Oliver Hirschbiegel évite l’écueil de dresser un portrait complet du régime totalitaire sur toute sa période, ce qui à coup sûr l’aurait amené à commettre de dommageables omissions et à passer trop vite sur des points essentiels. Elle se concentre essentiellement sur les derniers jours d’Hitler dans son Bunker, en avril 1945, au cœur de la capitale Berlin qui subit les coups de boutoir de l’Armée Rouge. Entre délire et lucidité, folie furieuse et mégalomanie, faiblesse et déchéance, celui qui avait plongé l’Europe dans le chaos le plus total allait voir son système s’effondrer, ceux qu’ils pensaient à jamais voués à lui le trahir, et son ennemi juré communiste lui rendre la monnaie de sa pièce. C’est Bruno Ganz qui dans ce film relève le défi de jouer le pire personnage de cinéma que l’on puisse imaginer.

Récit d’une longue agonie.

En ce qui concerne la chronologie des faits mis en scène par le film, il convient de dire qu’elle est relativement cohérente et qu’elle ne contient pas d’erreurs majeures. En effet, la plus grande partie du film s’étend sur le mois d’avril 1945. Si Hitler avait établi ses quartiers dans ce fameux bunker près de la Chancellerie en janvier 1945, ce n’est vraiment qu’au mois d’Avril que la chute du IIIème Reich devient perceptible et que la défaite commence à être envisagée par les proches d’Hitler, alors que jusqu’ici le chancelier nazi les avait toujours mené à la victoire.
Pour ce qui est de la présence même d’Hitler au sein du bunker, on peut reprocher au film d’occulter l’hésitation du personnage, rapportée par des témoins de l’époque : Hitler n’était pas si déterminé à demeurer à Berlin même et certains disent même que ce sont des proches qui lui ont recommandé de rester.
S’il est un autre détail que l’on peut relever, c’est l’anniversaire d’Adolf Hitler, le 20 Avril, dont le caractère sinistre est assez bien rendu dans le film, qui montre un visage plus en plus sombre de la situation et de l’homme. L’anecdote est vraie : Hitler serait remonté à la surface pour récompenser d’une croix de fer les très jeunes soldats des jeunesses hitlériennes qui combattaient avec des moyens dérisoires l’Armée Rouge. En effet, ces jeunes gens, ces enfants que l’on voit combattre n’appartiennent malheureusement pas de la fiction. Le gouvernement du IIIème Reich se caractérisait par une propagande nazie très importante dont on pouvait noter des répercussions dans la culture et dans l’embrigadement de la jeunesse, par le biais de ces « Jeunesses Hitlériennes », constituées dès 1922. Ces jeunes Allemands formaient une des réserves principales de soldats suite aux nombreuses pertes.
Sur le plan militaire, le réalisateur semble avoir voulu mettre l’accent sur cette perte de tout « réalisme » d’Hitler qui n’a plus du tout le sens des réalités, ne voulant inconsciemment accepter la défaite du peuple dont il clamait la supériorité. De même, l’entretien avec ses généraux eût bien lieu, et l’emportement d’Hitler fut réel, comme l’annonce de sa volonté de se suicider. Quand on y regarde de près, on se rend compte qu’en fait ce film respecte scrupuleusement les témoignages de l’époque, comme en témoignent les apparitions de Traudl Junge (la secrétaire) au début et à la fin. La Chute a donc une portée historique dans le sens d’une reconstitution fidèle. Le réalisateur semble avoir voulu véritablement faire revivre les scènes à l’identique, en rendant compte par exemple du mariage in extremis d’Adolf Hitler et d’Eva Braun, compagne avec qui il entretenait une relation depuis des années. De même, le suicide conjugal, bien que non reconstitué explicitement respecte les procédés qui avaient été choisis par le couple : une mort par balle pour Hitler, par le cyanure pour Eva. Ainsi, ils se donnèrent la mort le 30 avril, le lendemain de leur union civile.
Un autre évènement dont on peut noter la justesse : la bataille de Berlin qui s’étend de l’anniversaire d’Hitler avec les bombardements américains, puis la pénétration de l’armée soviétique au sein de la capitale jusqu’au 2 mai 1945, le lendemain du suicide de Goebbels.
Ainsi, on en retient que le film, sur le plan historique, n’a pas, comme certains autres films de guerre, remodelé l’histoire à sa façon, mais a réellement tenté de rendre compte des évènements tels qu’ils se sont déroulés, tels qu’ils nous sont rapportés par les témoignages dont nous disposons aujourd’hui et dont Traudl Junge, secrétaire du führer, présente en chair et en os dans le film, est représentative.

Le principal défi du film consistait à mettre à l’écran Adolf Hitler, le représenter le plus fidèlement possible à travers Bruno Ganz, dont il faut saluer le courage : cette interprétation du personnage le plus diabolisé de l’histoire lui aura valu quelques commentaires acerbes du métier et de la société allemande, sans doute pas prête à accepter de voir à l’écran le symbole d’un passé très douloureux et finalement encore si proche. Le choix du réalisateur est louable : il ne s’attache pas à faire le procès d’un personnage déjà condamné, et ça n’est d’ailleurs pas le rôle du cinéma, et estime que le spectateur est suffisamment averti pour garder ses distances. Hirschbiegel et son équipe ne tirent jamais vers l’antipathie forcée, mais se contentent de présenter fidèlement le chancelier allemand. Ses paroles, ses pensées, sa folie suffisent à éveiller chez quiconque de normalement constitué le dégoût et l’horreur.
On peut s’arrêter un instant sur les scènes où Hitler se trouve avec sa compagne Eva Braun, sa secrétaire ou encore avec sa chienne Blondi, qui mettent l’accent sur ce qui semble être des réactions humaines du führer, puisqu’il s’y montre le plus souvent affectueux. On peut être heurté par ces scènes, surtout lorsqu’on les associe à l’image historiographique d’Hitler, monstre dépourvu de toute humanité. Aussi dures à accepter qu’elles soient, elles sont d’importance, et nous mettent en face d’une réalité que l’on cherche parfois à évacuer : Hitler n’était pas Satan mais bien un être humain, et les crimes qu’il a commis n’ont pas une origine diabolique ou inhumaine, mais émanent d’un homme. C’est un peu comme si le réalisateur voulait nous rappeler que nous ne pouvons pas nous dédouaner de ces actes, les rejeter. Cette provocation va peut-être au-delà de la réalité historique : lorsqu’il tue son chien, on laisse planer le doute qu’il le fait par compassion envers son animal, mais il cherche avant tout à vérifier si les capsules de cyanure que lui a envoyé Himmler fonctionnent correctement.
En outre, on a ici mis l’accent sur le magnétisme du dictateur, la véritable fascination qu’il exerce sur son entourage, même au moment d’une déchéance certaine, au moment où ses discours qui électrisaient les foules à Nuremberg semblent appartenir à une autre époque. En dépit de son extrême faiblesse, certains de ses proches croient encore en la victoire et en leur leader, comme Goebbels par exemple, chargé de la propagande du régime, ou Bormann, et même ceux qui savent que le Reich va inexorablement s’effondrer osent à peine lui faire admettre la réalité. Les pleurs de ses secrétaires, et la scène où le soldat accepte tant bien que mal l’idée de brûler le corps du führer après son suicide pour les Soviétiques ne mettent pas la main dessus montrent cet attachement, cette fidélité, voire cet amour qu’il avait construit au fil des années. De fait, Hitler était le symbole du régime, sa tête pensante si l’on peut dire, et avait toujours décidé de tout presque tout seul.
Hitler dans le film évoque à de nombreuses reprises le peuple allemand avec des mots particulièrement durs, acerbes, dans cette phrase notamment : « Je ne verserai aucune larme sur le sort du peuple allemand. S’il se révélait incapable de survivre à cette épreuve, il n’aurait que ce qu’il mérite. » De fait, l’idéologie nazi avait mis au cœur de son processus (dans Mein Kampf mais aussi dans tous ses textes), la puissance, la force, en détournant de façon honteuse un héritage philosophique laissé par Nietzsche plus particulièrement. Dans la défaite du nazisme Hitler préférait voir la défaite d’un peuple qu’il avait désigné comme étant le plus puissant, le plus à même de dominer les autres. Lui-même a déclaré : « je ne survivrai en aucun cas à la défaite de mon peuple », rejetant son échec sur les allemands. On sait par exemple que le führer était prêt à tout pour freiner l’arrivée soviétique (en vain, faut-il le rappeler), faisant même inonder le métro de Berlin où se cachaient des milliers d’allemands qui furent pris au piège, et mille d’entre eux moururent, preuve du peu d’amour dont faisait preuve Hitler vis-à-vis de son propre peuple.
Enfin, les moments où apparaissent le caractère lunatique d’Hitler et ses délires sur une possible victoire finale qui jalonnent le film sont véridiques : le führer donnait en effet à des généraux éberlués des ordres concernant des armées décimées ou inexistantes. Cela renforce effectivement le caractère pathétique de la fin d’Hitler qui ressemble à une longue déchéance marquée par l’impuissance, un comble pour un personnage qui avait mis à genoux l’Europe à une vitesse fulgurante.

Les figures du régime, entre trahison et fidélité jusqu’au-boutiste.

La façon dont se comporte l’entourage d’Hitler alors que se profile l’inéluctable défaite est un aspect du film particulièrement intéressant. Entre les défections des figures du parti, et le fanatisme totalement insensé de quelques rares fidèles au führer, c’est toute la déchéance d’un système qui est ici représentée à l’écran.
Depuis mars 1945 Himmler, à la tête des SS et chargé de la « Solution Finale », un des bras droits d’Hitler, multipliait les dialogues avec les forces occidentales menées par Eisenhower se disant prêt à capituler à l’Ouest, mais pas à l’Est où l’ennemi juré soviétique avançait à grands pas vers Berlin. Himmler voulait se débarrasser de l’effort d’un front pour pouvoir repousser les forces de Staline. Ses tractations seront vaines. Le film met en avant l’aspect répugnant du personnage et son côté versatile. Aurait-il fallu mettre en avant son rôle précis dans l’extermination des Juifs ? Le sujet du film est ailleurs, et une œuvre de cinéma ne pourra jamais être un cours d’histoire complet.
A la trahison d’Himmler s’ajoutent celles de Göring, maréchal du Reich et de Speer, architecte et ministre du régime. Si le premier avait voulu un temps prendre la place d’Hitler, considérant que le führer, enfermé dans son Bunker, ne pouvait plus organiser les forces armées, le second l’a quitté après un entretien privé où il a déploré la destruction de l’Allemagne et de son peuple au nom d’une résistance vaine. Le dialogue est fidèlement retranscrit dans le film, ainsi que la douleur qu’a causé pour Hitler ce départ de Speer pour qui il avait une estime toute particulière. Speer, contrairement à Himmler et Göring, ne se suicidera pas, et sera condamné à 20 ans de prison suite au procès de Nuremberg.
Ces réactions, qui oscillent entre trahison et lucidité, sont en totale opposition avec celle de Goebbels, qui fait l’objet d’une place importante dans le film de Hirschbiegel. Ne pouvant accepter la reddition sans conditions que lui imposaient les Alliés après le suicide d’Hitler, et voyant là s’échapper la dernière chance de faire survivre le Reich construit par son guide, Goebbels prit la décision non seulement de se suicider mais de tuer également sa femme et ses enfants. Celui qui était le plus fidèle parmi les fidèles ne pouvait imaginer pour lui et pour ses enfants un avenir sans Reich et sans guide. Cette façon de penser montre à quel point l’idéologie nazie avait été poussée jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’horreur et l’autodestruction. On ne sait pas exactement comment le suicide de cette famille s’est déroulé. Une version accrédite la thèse selon laquelle un officier allemand se serait chargé de tuer les enfants et l’épouse avec du cyanure, une autre raconte que la mère aurait empoisonné ses petits avant de se laisser tirer dessus par son époux. Le réalisateur a choisi la seconde version, sans doute plus marquante et plus évocatrice de l’horreur nazie.
Enfin, le film présente la déchéance au sein même du Bunker par des scènes de beuveries et de grivoiseries auxquelles se livrent les officiers allemands, y compris les plus hauts gradés. Le ciment même du nazisme, l’ordre, se voyait bafoué, au cœur de ce qu’il restait du régime. Speer et Junge ont témoigné de ce laisser-aller qui fut très vraisemblablement le contrecoup de la défaite, et qui dans le film, subtilement, s’accentue, illustrant cette débâcle de tout un système, à la fois progressive et inexorable.

En définitive, La Chute d’ Oliver Hirschbiegel réussit, en dépit de la lourdeur du sujet, des blessures toujours visibles que cette époque a laissé derrière elle, à se constituer en tant que véritable histoire de cinéma, par le biais de personnages extrêmement bien travaillés et reconstitués, et d’une dramaturgie qui n’a de cesse de prendre de l’ampleur et de saisir le spectateur. Le choix d’un contexte relativement court (un mois à peine), a été judicieux et a permis de ne pas se perdre dans une époque qui reste un sujet d’étude inépuisable. Saluons également le courage du réalisateur et de son acteur principal d’avoir mis en scène le personnage d’Hitler, avec toutes les difficultés que cela comporte, sans l’intention de forcer les sentiments de haine du public qui connait déjà bien les agissements du personnage, une intention qui, comme on l’a vu récemment dans La Rafle par exemple, n’apporte rien sur le plan intellectuel. Ce film qui a véritablement été un choc pour la société allemande apparait à un moment où cette dernière explore de plus en plus son histoire, tentant de digérer un passé pour le moins douloureux.

 

Pour aller plus loin…

Le documentation sur la Seconde Guerre Mondiale est abondante et régulièrement renouvelée, si bien que le lecteur peut parfois s’y perdre. Un socle de connaissances est pourtant essentiel pour toute personne souhaitant s’intéresser à la période. Sur ce plan, l’œuvre d’Henri Michel, éminent historien du XXème siècle, sobrement appelée La Seconde Guerre Mondiale reste une référence incontournable sur le sujet, complète, précise, et qui plus est particulièrement bien écrite. Dans un autre genre, la Chronologie commentée de la Seconde Guerre Mondiale, d’André Kaspi, ouvrage très pratique et lui aussi assez exhaustif, se propose de parcourir les événements de la guerre date par date, en y ajoutant le plus d’informations possible. Pour le sujet qui nous occupe, le IIIème Reich et Adolf Hitler, les travaux de l’historien français Pierre Ayçoberry et ceux de l’historien anglais Ian Kershaw sont les plus cités pour leur qualité et pour l’intelligence et la pertinence de leurs interprétations.

 

La Chute – Sortie en salles le 5 janvier 2005
Réalisé par Oliver Hirschbiegel
Avec Bruno Ganz, Juliane Köhler, Alexandra Maria Lara
Berlin, avril 1945. Le IIIe Reich agonise. Les combats font rage dans les rues de la capitale. Hitler, accompagné de ses généraux et de ses plus proches partisans, s’est réfugié dans son bunker, situé dans les jardins de la Chancellerie.
A ses côtés, Traudl Junge, la secrétaire particulière du Führer, refuse de l’abandonner. Tandis qu’à l’extérieur la situation se dégrade, Hitler vit ses dernières heures et la chute du régime.

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1 commentaire

  • par Ceredwyn
    Posté vendredi 11 novembre 2011 18 h 37 min 0Likes

    Ca m’a donné envie de revoir ce film qui m’avait vraiment marqué lors de la sortie au cinéma. Et pourtant je ne suis pas du genre à être choqué, mais là oui, avec cette vision d’un Hilter antéchristique, le dévoilant dans son humanité (mais qui reste perverse selon la morale).
    La scène de Magda Goebbels organisant le « départ » de ses enfants, avant, pendant et après l’acte était vraiment particulière, je me souviens d’un froid glacial qui avait empli la salle.

    On est effectivement loin de La Rafle, qui m’avait hélas fait rire, tellement se faisait ressentir ce « besoin nécessaire de mémoire », qui avait été matraqué. Pardonnez l’expression, mais j’ai trouvé que ce film « vomissait » des bons sentiments, qui m’ont mis mal à l’aise, tellement ils paraissaient faux.

    La Chute est donc pour moi l’un des premiers films de cette période emprunt de justesse.

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