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Rebelle : la conférence de presse écossaise

Dernière partie de mon voyage en Ecosse : la conférence de presse.

Le réalisateur Mark Andrews s’était déplacé à Edimbourg en compagnie de John Lasseter, mais aussi de deux voix locales, Kelly McDonald et Kevin McKidd ainsi que de la productrice Katherine Sarafian et de la directrice artistique Tia Kratter.
Tous ensemble, ils sont longuement revenus sur Rebelle évoquant forcément l’Ecosse, lieu de la rencontre oblige, mais aussi la production du film dans son ensemble, des prouesses réalisées pour faire la chevelure de Merida et l’éviction de Brenda Chapman, première réalisatrice.
N’ayant sans doute pas eu l’occasion d’en parler publiquement, John Lasseter a également pris le temps d’évoquer longuement Steve Jobs, disparu en octobre dernier.

Rebelle sort le 1er août prochain. Il bénéficiera d’une avant-première dans le cadre de Paris Cinéma le 8 juillet au matin.

John, quelles ont été les particularités du projet de Rebelle qui vous ont convaincu de produire le film chez Pixar, et dans quelles mesures l’idée de faire un film se déroulant en Écosse vous plaisait ?
John Lasseter : J’ai toujours été très attiré par l’Écosse. J’étais un de ces étudiants américains insupportables qui s’y rendent pendant l’été. À l’été 1979, je venais de finir mes études universitaires à CalArts (California Institute of Arts), et j’ai décidé d’entreprendre un tour d’Europe. Je me suis finalement retrouvé en Écosse, où je suis resté deux semaines, qui m’ont permis de tomber amoureux de ce pays. Pour la beauté des paysages bien sûr, mais aussi grâce à ses habitants chaleureux et agréables, ainsi qu’à leurs us et coutûmes. Je savais dès lors que l’Écosse serait alors mon lieu préféré sur cette planète.
Ainsi, lorsque l’idée de Rebelle a germé pour la première fois, il y a de cela sept ans, j’ai immédiatement été convaincu que ce projet avait le potentiel suffisant pour se distinguer des autres travaux de Pixar. De plus, j’avais l’impression que les autres studios d’animation à Hollywood avaient tourné le dos aux contes de fée traditionnels ; et je n’ai par ailleurs jamais compris pourquoi : ils avaient toujours une place dans mon cœur et dans celui du public. De fait, Rebelle semblait être l’opportunité idéale pour réaliser un conte de fée à la manière de Pixar.
La troisième raison était que Merida s’imposait comme le premier personnage principal féminin d’un film Pixar, et cette idée m’attirait énormément. J’ai vu en Rebelle l’histoire idéale pour s’engager dans cette direction.
Enfin, je savais qu’un tel film permettrait au studio de dépasser ses limites techniques, artistiques et narratives, et d’explorer des domaines encore inédits pour nous. Rebelle était donc un projet très excitant.

Katherine, que pouvez-vous nous dire sur les recherches entreprises par la studio et les animateurs pour récréer le plus fidèlement possible les paysages écossais ?
Katherine Sarafian : Nous sommes venus ici, à Édimbourg, il y a six ans pour commencer nos recherches. Cette phase est très importante pour nous, parce qu’elle nous permet de saisir l’essence même de l’histoire que nous allons raconter : toucher les rochers, respirer l’air, témoigner des comportements météorologiques, etc. Nous avons donc pris de nombreuses photos, tourné des vidéos, et réalisé une multitude de dessins préparatoires.
Ensuite, nous sommes revenus à Emeryville, en Californie, et avons montré nos trouvailles à notre très talentueuse équipe technique. Il paraissait clair que Rebelle allait présenter des défis technologiques. Cependant, ces défis se sont révélés stimulants, et notre collaboration avec nos techniciens a permis de développer les technologies nécessaires à l’animation des cheveux, comme ceux de Merida, des vêtements, de la forêt ou du reste de la flore. Notre équipe a donc passé beaucoup de temps à l’élaboration des textures et des visuels.

Tia Kratter : J’ajouterai que les paysages écossais nous ont inspirés de part leur imperfection. Chaque parcelle de terre est composée d’un merveilleux mélange de végétation. Bien sûr, les ordinateurs sont réticents à créer quelque chose de chaotique, mais ça ne nous a pas empêchés de le faire. Ce désordre a été l’un des ingrédients les plus essentiel pour nous.

Pour revenir à l’observation de John quant au statut de Merida : créer un personnage aussi iconique est une forte responsabilité, comment vous y êtes-vous pris ?
Mark Andrews : Tous les films Pixar présentent un protagoniste qui sort de l’ordinaire : des jouets, des insectes, un vieillard et un petit boy-scout, un poisson, des super-héros, etc. Merida est un personnage féminin c’est vrai, mais pour fonctionner, il fallait qu’elle soit dynamique, qu’elle soit présentée comme une force de la nature attachante et que nous pouvons comprendre.

Kelly, Kevin, je suppose que vous avez été d’une aide précieuse lors de la production du film, et plus particulièrement en ce qui concerne les aspects purement écossais des personnages. Quelle a été votre implication, exactement ?
Kelly MacDonald : le personnage de Merida me correspond tellement que si le rôle avait été proposé en prise de vue réelle, j’aurais également fait partie des acteurs auditionnant ! Ceci dit, son adolescence, et tout ce que ça implique, a constitué le plus gros défi pour moi. De plus, je n’avais jamais travaillé sur un film d’animation, donc cette expérience fut très enrichissante. Heureusement, Mark m’a beaucoup aidée.

Kevin McKidd : J’ai beaucoup apprécié travailler sur ce film, parce qu’on me demande de moins en moins d’adopter mon accent écossais. Dans la plupart de mes travaux, un accent américain est exigé. Pour Rebelle, on m’a demandé d’utiliser un très fort accent écossais, à la limite de l’incompréhensible pour interpréter MacGuffin dans ses jeunes années, et c’était très amusant, très proche de mon dialect originel. Collaborer avec l’équipe Pixar était aussi enrichissant. On peut proposer des idées aux gens, et ces idées sont parfois suivies, c’est un véritable travail d’équipe, très pointu.

John Lasseter : Nous avons également demandé à Kelly d’apporter ses suggestions linguistiques, de proposer des mots d’argot spécifiques, pour améliorer les dialogues.

Kelly MacDonald : Oui, j’ai pris beaucoup de plaisir à faire ça. Le script était remarquablement bien écrit, mais certaines répliques n’avaient pas cette véracité écossaise recherchée. Nous avons donc apporté quelques changements de vocabulaires nécessaires à l’athenticité des dialogues.

John Lasseter : Pendant la production, nous avons reçu plusieurs remarques de la part de personnes travaillant à Disney. Ces remarques précisaient que certains ne comprenaient pas les dialogues et nous demandaient s’il n’était pas possible d’utiliser des mots que tout le monde connaît. J’ai dit non ! Je voulais vraiment garder cette authenticité, et je voulais que les familles écossaises allant découvrir le film au cinéma pensent que nous avons réellement réussi à recréer l’esprit de leur pays. Travailler avec Kelly, Kevin et les autres acteurs nous a permis d’accomplir cette tâche, notamment grâce à leurs expériences et leur passé personnels.

Le film est très satisfaisant d’un point de vue écossais. Dans quelles mesures la représentation de l’Écosse était importante pour vous ? Quels sont les aspects de cette représentation dont vous êtes le plus fier ?
John Lasseter : Chez Pixar, la production d’un film commence avant toute chose par une volonté de recréer avec authenticité un endroit, parce que même si la majorité du public ne sera pas écossais, tout le monde saura différencier une représentation fidèle d’un lieu, à travers le langage, les décors et même l’éclairage, d’une représentation approximative. Notre approche fut comparable pour Cars et la Route 66, ou pour Némo et le monde aquatique. Le résultat ne doit pas forcément être réaliste, mais il doit être crédible. Et puis, nous espérons que notre travail sur les paysages incitera certains à venir visiter l’Écosse, qui est un pays que nous adorons.

Mark Andrews : En tant que conteur, il est primordial de transporter les spectateurs dans un monde auquel ils peuvent croire. J’aime l’Écosse et c’est pour ça que Rebelle se prêtait parfaitement à la représentation d’un monde presque magique pour tous les enfants. Enfin, même les écossais peuvent redécouvrir leur pays d’un œil nouveau grâce à ce film.

Kelly, votre adolescence a-t-elle été similaire à celle de Merida ? Avez-vous été soutenue quand vous avez annoncé que vous vouliez être actrice ?
Kelly MacDonald : Je n’ai pas vraiment fait preuve de rébellion. Je savais que mon projet était risqué, mais ma mère m’a toujours soutenue… et aujourd’hui, elle prétend avoir toujours su que je réussirais !

Avez-vous des exemples concrets de mots ou d’expressions que vous avez ajoutés ou retirés du script ?
Mark Andrews : Manky (dégoutant), gammy (interjection exprimant la surprise), numpty (personne inepte), etc. Certains termes ont dû être clarifiés auprès de Disney, qui avait des soupçons quant à leur signification…

Rebelle est le premier film Pixar qui voit le jour depuis la mort de Steve Jobs. Que reste-t-il de lui à présent, quel est son héritage inspirationnel et technologique ?
John Lasseter : Sans Steve Jobs, Pixar n’aurait jamais existé. Son héritage est donc considérable. Steve a acheté Pixar auprès de Lucasfilm alors qu’il voulait faire quelque chose de différent d’Apple. À l’époque, le studio comptait environ 40 employés. À la base, Pixar travaillait surtout dans le domaine informatique. Steve était un visionnaire, il voulait mettre en place des solutions inédites mais hélas invendables. Il a donc recherché des applications pratiques aux recherches d’animation entreprises par la société. Plus précisément, quatre employés, dont je faisais partie, étaient chargés de ces recherches, et j’étais donc le premier animateur classique de chez Disney à utiliser l’animation 3D. Lorsqu’il s’aperçut du potentiel de l’équipe en termes d’animation, le projet Toy Story est né. Dès lors, il nous a apporté son soutient sur chaque nouveau film.
Je trouve par ailleurs sa biographie incomplète : le livre n’évoque pas cet aspect de sa vie, et selon notre expérience, Steve Jobs n’avait rien du conspirateur qui y est dépeint. La seule chose qu’il m’ait jamais demandé fut de produire quelque chose de génial, quelque chose de « follement génial », pour reprendre ses propos. Il était très fier de nous voir créer des choses inédites. Travailler avec Steve Jobs a été une bénédiction, comme le fait de travailler dans les alentours de San Francisco, d’ailleurs. Il s’agit, selon moi, d’un berceau de créativité remarquable.
Steve nous incitait toujours à relever de nouveaux défis. Il aimait dire que chaque travail se définit principalement par sa qualité de fabrication. Il comparait son travail à un compte en banque : les dépôts représentaient chaque succès qu’il rencontrait auprès du public, et les retraits chaque échec ou chaque travail de piètre qualité. Il refusait de faire des retraits. En toutes circonstances. La notoriété du Studio auprès du public était d’une importance capitale pour lui.
Aujourd’hui, 1 200 personnes travaillent chez Pixar. Demandez à n’importe lequel d’entre eux la chose qu’ils considèrent la plus importante dans leur travail, et ils répondront d’abord Pixar, ensuite le film sur lequel ils travaillent en ce moment. En dernier lieu, seulement, ils évoqueront quelque chose de plus personnel, contrairement à la majorité des gens qui travaillent à Hollywood. C’est ainsi que se définit Pixar : nous cultivons la qualité.
Un jour, il m’avait dit quelque chose que je n’oublierai jamais. Il m’a dit : « Mes ordinateurs ont une durée de vie de trois ans. Dans cinq, ils seront obsolètes. Si tu fais ton travail correctement John, tes films seront éternels. ». Et en y repensant, il avait raison, il suffit de voir à quel point Blanche Neige et les Sept Nains est toujours aussi populaire.
Cette phrase m’a dès lors aidé à me concentrer sur les choses essentielles à la création d’un excellent film. Même les avancées technologiques sont utilisées dans le but de raconter de meilleures histoires. Steve nous a toujours encouragé à nous dépasser. Je suis convaincu que le succès de nos films tient de leurs qualités. Des qualités qui se retrouvent dans tous les domaines : animation, visuels, histoire, et même marketing.
J’ajouterai aussi que Pixar a eu une certaine influence sur Steve Jobs. Lorsqu’il travaillait chez Apple pour la première fois, il pensait pouvoir faire le travail de ses collègues mieux que tout le monde. Puis, il a acheté Pixar et nous a vu travailler d’arrache-pied sur nos films et s’est rendu compte qu’il n’était en fait pas capable de tout faire mieux que quiconque. Il a alors développé un grand respect pour le talent d’autrui, et c’est ce qui, je pense, l’a aidé plus tard à accomplir ses miracles chez Apple.

Rebelle est le premier conte de fée de Pixar. Disney ayant beaucoup d’expérience en la matière, avez-vous collaborer de près avec eux durant la production ?
John Lasseter : Non, ce film est 100 % Pixar. Il s’agit à la fois d’un conte de fée et d’un film qui prend la tradition des princesses à contre-pied. On ne voulait pas tomber dans les clichés de la princesse qui attend gentiment que son prince vienne la sauver, et tous les codes qui vont avec. D’ailleurs Rebelle n’aborde pas ces thèmes, mais se concentre sur la problématique de la famille ; comment cette famille se recrée après un temps d’incompréhension. J’aime beaucoup cet aspect du film parce qu’il parle aux familles du monde entier, et surtout, à tous leurs membres. Je salue bien bas le talent de Mark, qui a su apporter un équilibre entre humour, action et émotions, et ainsi transcender les limites du conte de fée classique.
De plus, la production de Rebelle avait commencé avant le rachat de Pixar par Disney. Il y a six ans, je suis devenu chargé de création chez Disney et j’ai aidé à la conception de leurs contes de fées modernisés, comme Raiponce ou La Princesse et le Grenouille. Mais avec Rebelle, je voulais vraiment une protagoniste active, qui fait avancer l’histoire, qui se fait la raison de celle-ci.

Il paraît évident que l’avancée technologique majeure accomplie avec ce film est le rendu de la chevelure et des vêtements. Comme cela se passe-t-il pendant la production ? Y a-t-il un moment où vous vous rendez compte de cette avancée, où vous vous dites « Ça y est, on a trouvé la solution pour le rendu des cheveux » ?
Mark Andrews : Comme nous l’avons dit, la technologie est guidée par nos ambitions artistiques. De fait, nous donnons aux personnages une apparence qui doit correspondre exactement à qui ils sont vraiment. L’apparence de chaque personnage a été pensée avec soin, ce qui nous permet de raconter l’histoire de manière visuelle. Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur l’apparence du protagoniste, notre équipe est chargée de créer ce personnage sur ordinateur, de trouver un moyen de rendre chaque mouvement crédible et réaliste. L’authenticité visuelle de l’histoire est donc le moteur des moyens technologiques dont nous avons besoin. C’est essentiel pour assurer l’immersion du public.
A-t-on trouvé la solution pour le rendu de la chevelure ? Pour le moment, pour cette histoire en particulier, oui. Mais il n’est pas impossible qu’un jour, un nouveau personnage requiert une nouvelle avancée technologique. On l’a vu avec la différence entre Les Indestructibles et Rebelle : celui-là contenait également des scènes où la chevelure avait son importance, mais le rendu n’atteignait pas le niveau de celui-ci. Les besoin de l’histoire définissent les besoins technologiques.

Katherine Sarafian : De plus, même lorsque le problème semble résolu, de nouveaux défis se présentent. Par exemple, les cheveux ont besoin, pour une nouvelle scène, d’être mouillés. Ainsi, nous replongeons dans la recherche du meilleur rendu possible, et ce à chaque fois que l’histoire l’exige.

Tia Kratter : Oui, et d’un point de vue artistique, la recherche ne s’arrête jamais. Nous avons finalisé l’apparence de Rebelle, mais je vois qu’ici même, dans cette pièce, nous avons des personnes présentant les cheveux ou la peau parfaite pour le personnage de Merida !

John Lasseter : J’ajouterai que chaque élément que nous intégrons à un film Pixar a son rôle a joué dans le récit. Nous n’avons pas cherché à rendre la chevelure de Merida parfaite parce que ce serait chouette, mais bien parce que cela servirait à représenter son personnage de manière visuelle. D’ailleurs, vous remarquerez que la chevelure attachée et plus ordonnée de sa mère aide aussi à cerner le personnage. Par exemple, il y a cette scène au début du film, qui montre la mère habiller Merida dans une robe très serrée et ordonner ses cheveux, tandis que la scène précédente montrait Merida vivrait sa vie de manière décontractée, libre. On comprend donc l’opposition grâce à ce parallèle visuel.
Notre équipe d’animation fait donc partie du groupe de narrateurs. Le film est traduit dans des dizaines de langues, mais nous mettons un point d’honneur à raconter l’histoire, avant tout, à travers les images.

La décision de remplacer la réalisatrice d’origine, Brenda Chapman, par Mark Andrews fut-elle difficile à prendre ?
John Lasseter : Oui, comme toujours. Ce n’est pas la première fois que ça arrive, mais notre décision est toujours motivée par la volonté de faire le meilleur film possible. Brenda Chapman a fait un travail de développement remarquable, et elle a notamment posé les fondements de l’histoire. Cependant, il arrive pour certains films, comme Cars, Toy Story 2 ou Ratatouille, que des changements soient nécessaires en cours de route. Au bout d’un moment, des différents peuvent naître, et ces différents peuvent compromette la qualité du film. C’est alors que Mark Andrews s’est vu confié la tâche de continuer le projet entamé par Brenda. Certaines modifications ont été apportées à l’histoire et son équipe a fait un travail tout aussi fantastique.

Traduction et retranscription : Alexandre Rallo

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