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Armadillo : Rencontre avec le réalisateur Janus Metz

A l’occasion de la sortie du documentaire Armadillo sur la guerre en Afghanistan dont la critique de Jean-Victor est à lire ici, Distrib Films a organisé une table ronde avec le réalisateur et quelques blogueurs et rédacteurs de sites.

Janus Metz, son réalisateur, parle du tournage sur place, de ses choix d’avoir fait un documentaire plutôt qu’une fiction, du regard de l’armée sur son film et de plein d’autres choses encore.

Voici la retranscription de cette rencontre. Armadillo sort le 15 décembre.

Comment s’est passé le tournage en terme d’autorisations ?
Les accès ont été négociés par les producteurs et même obtenus avant que je sois nommé réalisateur. Il faudrait poser la questions aux militaires danois mais je pense qu’ils voulaient d’abord montrer leur modernité et montrer ce qui se passe vraiment au front. On les a approché l’esprit ouvert, précisant qu’on était pas là pour faire de la propagande pour eux. On n’y allait pas pour faire un film de guerre mais pour filmer ce qui se passait, montrer la vie des soldats et la nature du conflit.
Ils ont accepté aussi partiellement parce qu’ils sont sous la pression populaire suite à l’engagement en Afghanistan.
L’armée était si convaincue qu’il faisait un bon boulot qu’il ne pensait pas qu’un film comme ça pourrait être fait. Qui plus est, ils nous ont donné accès mais la situation a ensuite bien changé là-bas, c’est devenu plus violent.
Ensuite, il a fallu convaincre tout le monde une fois que les généraux avaient donnés leurs accords, tous les moins gradés. Là, c’était une question de confiance, d’approche personnelle. Plus on passait du temps sur le camps militaire, plus ils voyaient qu’on s’impliquait. On a gagné notre respect.
Le deal impliquait aussi que l’armée ait un droit de regard sur le montage final. Il ne fallait pas que le film mette en péril les missions ou la vie des soldats. De notre coté, nous étions certains de n’avoir rien de dangereux à montrer.
Quelques semaines avant la sortie du film, un soldat a écrit un bouquin et l’armée a voulu l’empêcher d’être publié. Des extraits scandaleux sont paru dans un journal. Ils auraient pu nous arrêter aussi mais ne l’ont pas fait, ça aurait été d’autant plus un scandale.
Je pense aussi qu’Armadillo n’accuse personne, ne veut pas faire sortir les gens dans la rue pour manifester.
Tout ça fait que l’armée avait beaucoup de pression quand ils ont vu le film. Ils ont dit l’avoir aimé, et ont choisi leurs mots avec précautions pour en parler. Ils ont aussi dit qu’Armadillo n’était qu’un des points de vue mais pas l’histoire entière.

Que pensent les Danois de la guerre en Afghanistan ?
Avant le film, le Danemark était surement le pays le plus positif par rapport au conflit. Quand le film est sorti, il a fait l’effet d’une bombe. Les gens se sont rués en masse, les réactions ont été politiques. Encore maintenant, quand un journaliste fait un papier sur le sujet, il se réfère au film.
La chaine de télé qui va montrer le film en janvier a même prévu une table ronde avec des politiques pour après la diffusion.

La photo du film est très réussie. Pourtant, c’est un documentaire. C’est donc étonnant. Pourquoi avoir choisi de filmer comme ça et comment ?
Il y a beaucoup de formes de représentations dans le film : des tableaux, des plans larges, des plans dynamiques. J’ai voulu faire un « documentaire de l’esprit », quelque chose d’un peu psychologique… En même temps, je voulais des scènes très réalistes, un peu comme dans un jeu vidéo sur la guerre.
Les jeunes soldats se voient un peu comme des héros de films, fantasmant leur métiers. On a donc voulu souligner tout cela, montrer leur perception de la réalité, tout en évoquant les traumatismes de la guerre.
On était donc d’une certaine manière dans le documentaire un peu poétique. On l’a fait avec des caméras haute définition, du matériel bien particulier et parfois du matériel très lourd. Ça nous a permis de tourner d’une manière épique.
Ce n’était pas juste des soldats à un avant-poste de la guerre mais aussi des jeunes à un avant-poste dans leur tête ! C’est aussi l’histoire d’une progression, d’une avancée, un peu un rite de passage. Il fallait toucher des questions profondes.

L’histoire est centrée sur deux militaires en particulier. Comment les avez-vous choisi ? Comment s’est passé la rencontre ?
J’ai souvent la question parce que ce sont deux militaires qui ont l’air d’acteurs, ce que certains critiques m’ont reproché. Mais je ne les ai pas choisi, c’est l’armée qui l’a fait sur la base du volontariat.
L’armée a envoyé dix hommes pour la première en Afghanistan et je voulais des gens « inexpérimentés ». J’ai demandé à les rencontrer pour qu’on fasse connaissance.
Le premier jour, ils faisaient des exercices en forêt, on a été présenté. J’ai vu une galerie d’hommes différents, Mads et Daniel sont différents. Mads est quelqu’un de très ouvert, idéaliste, un peu marginalisé parce qu’il est petit et même s’il veut être à la même hauteur que les autres. Daniel, lui, est très masculin, très déterminé, cynique, pragmatique. C’est aussi le décideur du groupe, celui que Mads doit approcher. C’est donc un antagonisme un peu classique. Si Mads ne se rebelle pas, il est compromis, quelque chose de fragile se sera ouvert en lui.
On a donc pu filmer une certaine masculinité au sein du camps, c’était intéressant, tout comme cette opposition entre le blanc (Mads) et le noir (Daniel).

Pourquoi pensez que vous que Mads veuille retourner en Afghanistan ?
Mads combat toujours ses sentiments et son approche de la masculinité. Il ne fait que 1m65, ce qui est une situation difficile pour un homme… Je pense que son voyage à lui n’est pas terminé, il a toujours des problèmes.

Parlez nous de Démineurs, le film de Kathryn Bigelow
J’ai vu Démineurs en septembre juste après avoir fini le tournage d’Armadillo, donc j’étais très content d’y retrouver des éléments évoqués dans Armadillo. Je regrette que le film ne parle que d’excitation et d’adrénaline alors que c’est aussi une question de sentiments, de l’identité d’être un soldat, ce qui rend le documentaire plus intéressant que la fiction.
Il ne faut pas oublier que la guerre a un coté très attractif, on peut se retrouver drogué par l’action, l’adrénaline… J’ai moi même été shooté à l’action. De temps en temps, Lars et moi devions quitter l’action pour revenir sur terre et ne plus se sentir comme des soldats.
Quand j’avais 20 ans, en Indonésie, je conduisais vite et j’ai eu un accident. J’ai passé deux semaines dans un petit village pour m’en remettre. Ca aurait pu me tuer. C’est le même genre d’énergie, d’aventure. On veut conquérir le monde, on se sent invincible !

Pourquoi avoir choisi de faire un documentaire et pas une fiction avec une histoire écrite ?
La fiction est forte et j’aimerai en faire un jour. Mais la réalité est aussi un challenge !

Vous avez risqué votre vie ?
Oui. Je me suis beaucoup demandé pourquoi je faisais cela. J’ai du me convaincre que ça se passerait bien. Mais à un certain moment, à fond sur le projet, il fallait se lancer.
Je me suis finalement retrouvé dans la situation d’un jeune qui décide de s’engager dans l’armée…

Oui mais la plupart des jeunes qui veulent s’engager veulent y retourner. Le referiez-vous ?
Non, j’ai eu mon compte. Je n’y retournerai pas. Maintenant je pourrai faire du documentaire ou de la fiction, selon l’histoire. Mais le documentaire est difficile à travailler, il faut trop se mettre dans la peau des gens.
Quand à ma décision de partir, j’en ai vraiment pris conscience quand j’ai écrit une lettre pour le cas où je ne reviendrai pas…
Mais je ne suis ni reporter de guerre ni soldat donc je n’ai pas tant ce besoin d’adrénaline, je n’ai pas besoin d’y retourner.

Est ce que vous mis en scène certains passages, par exemple en demandant aux soldats de faire telle ou telle chose ?
Non. Parfois, pour avoir un bon rendu, il suffit d’avoir un bon directeur de la photo. On savait ce qu’on voulait faire avec l’image, ce ne sont pas juste des hommes dans une rivière [une des scènes du film] mais aussi de comprendre l’ensemble, pourquoi ils sont là. Finalement, tout est un peu scripté, la nature elle-même, l’endroit… On a pensé aux choses sur le moment, en fonction du symbolisme de la scène : les gros plans dans l’eau, mais aussi la scène d’ouverture avec de plans très larges.
Il y a quelques éléments construits dans le film. Il y a beaucoup de moments d’ennuis sur le camps, il fallait donc trouver un moyen de raconter cela aussi.
Dans la plupart des documents, je ressens un manque de volonté pour raconter l’histoire, pour montrer ce qui se passe vraiment et le capturer.
Parfois, on a filmé parce qu’il le fallait, notamment quand ils rentraient au camps, chargés d’énergie. On a aussi filmé quand Mads appelle sa mère. On s’est demandé si on devait filmer ou pas, enregistrer ce qui était dit ou pas, si c’était juste de le faire… Les gens se comportent différemment quand ils ont une caméra à proximité.
On a d’ailleurs une heure d’images supplémentaires prévues pour le DVD, notamment le passage avec un jeune qui a quitté l’Afghanistan, qui a beaucoup souffert, était effrayé par le pays.

Quelle est votre relation avec les soldats maintenant que le film est sorti ?
On est toujours en contact, on prend des nouvelles, on évoque le DVD qui arrive. La première fois qu’ils ont vu le film, ils étaient choqués et en colère, notamment parce que j’évoquais des choses dont les soldats ne parlent pas.
Ma relation avec eux est compliquée. Il y a eu une enquête sur eux après le film et on n’a trouvé aucune preuve les concernant [un incident qui pourrait être une exécution]. Il n’y a que trois personnes qui savent vraiment ce qui s’est passé et ils ne parleront jamais.

Vous avez un jour dit que votre film traitait des victimes. Qui sont les victimes de ce conflit ?
Les Afghans. Mais tout le monde l’est d’une certaine manière…

Merci à Shunrize pour l’enregistrement.

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