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Après avoir relancé l’univers de Rocky avec le très bon Creed et mis en scène deux Black Panther pour Marvel, Ryan Coogler revient au cinéma avec un projet plus personnel. Mais il emmène toujours avec lui Michael B. Jordan, signant ensemble leur quatrième collaboration. On dit souvent que les réalisateurs font des films de franchise pour pouvoir financer leurs envies. Sinners est l’une d’elle, un film dense et passionnant.
Sinners raconte l’histoire de deux frères jumeaux (tous les deux incarnés par Michael B. Jordan et la magie des effets spéciaux) qui reviennent en Louisiane avec plein d’argent et l’envie de montrer un club de blues où la communauté afro-américaine locale pourrait se retrouver. Ils réunissent les différents protagonistes nécessaires à une soirée d’ouverture (une cuisinière, des musiciens) mais une fois les festivités lancées, ils vont se retrouver face à … des vampires.
Pendant une longue mais sympathique première heure, Ryan Coogler va balader ses deux versions de Michael B. Jordan sur les chemins de la Louisiane. Le réalisateur et scénariste veut manifester dresser le portrait d’une communauté, d’une époque. On est en 1930 et les Afro-Américains travaillent encore pour des exploitants blancs dans les champs de coton. On est vingt-cinq ans avant Rosa Parks et trente-trois avant Martin Luther King. Autant dire que la route pour les droits des personnes de couleur est encore longue aux USA. Coogler montre donc les travailleurs, leurs maigres revenus, leur religion, survolant différents aspects d’une culture pour s’arrêter sur l’un d’eux, la musique.
Le film nous explique que certains musiciens ont un tel pouvoir avec leur instrument qu’ils peuvent conjurer les esprits du passé et du futur. Coogler met donc énormément l’accent sur le pouvoir du blues, grâce aux talents conjugués du jeune et incroyable Miles Caton (à voir en live ici), dont c’est le premier grand rôle, du compositeur génial Ludwig Göransson (The Mandalorian) et de plus d’un siècle de blues, de Robert Johnson à Buddy Guy (qui a droit à une apparition remarquée). On plonge donc dans les grandes voix, les guitares sèches et rythmées et les choeurs de gospel. Si vous aimez le genre, vous découvrirez une bande originale sensationnelle (et on vous recommande une playlist composée par Göransson pour encore plus de plaisir). Citons aussi une scène pivot mélangeant différentes époques, aussi surprenante que réussie.
Coogler aurait presque pu s’arrêter là mais il décide de mélanger ses thèmes, la culture afro-américaine des années 30, le blues et son pouvoir magique au mythe du vampire. L’intrigue se resserre en un seul lieu et devient une sorte de Une Nuit en Enfer vu au travers des sujets évoqués par le réalisateur. Et ça fonctionne étonnamment, comme quoi les histoires de vampires ne doivent pas seulement être du gothique ou des délires contemporains sur fond de musique hard rock.
La cohabitation des univers fonctionne d’autant plus que si la mise en place est assez longue, le résultat est assez jouissif. Il y a bien quelques petits détails qui font tiquer (Michael B. Jordan jouent deux personnages assez proches), quelques micro-ellipses dont on se serait passés mais les amateurs d’hémoglobine et autres lancers de gousse d’ails trouveront leur bonheur dans une dernière heure généreuse. Le film manque peut-être aussi d’une ou deux scènes marquantes niveau mise en scène. Coogler tente quelques longues séquences mais les très beaux plans du metteur en scène de Creed manquent un peu, comme si le réalisateur était trop focalisé sur son histoire, au point d’en délaisser la mise en scène.
Il y a beaucoup de titres dans la playlist de Sinners, des thèmes en apparence très différents mais qui cohabitent très bien. Comme si Coogler avait voulu faire un film-somme pour ne plus avoir à y revenir. Une jolie réussite, imparfaite certes, mais cool. Et qui bénéficie d’une scène de fin particulièrement jouissive en ses temps troublés. A défaut de pouvoir aller manger des écrevisses (à l’ail !) en Louisiane, ça nous a fortement envie de réécouter Robert Johnson et ses comparses.
Sinners, de Ryan Coogler – Sortie en salles le 16 avril 2025