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Critique : Loving
Jeff Nichols fait du Steven Spielberg : à peine un film terminé que le suivant est déjà prêt, ou presque.
Vous avez découvert Midnight Special il y a deux mois, et vous pourrez voir la nouvelle réalisation du metteur en scène de Take Shelter à la fin de l’année, une nouvelle fois avec Michael Shannon et Joel Edgerton mais aussi avec Ruth Negga. La comédienne sera également visible cette année dans Warcraft de Duncan Jones et dans la future série Preacher de Seth Rogen.
LA CRITIQUE
À peine Midnight Special vient il de quitter les dernières salles françaises que son nouveau long-métrage se présente au Festival de Cannes en quête d’une prestigieuse Palme d’or. Le cinéaste Jeff Nichols ne chôme pas et continue de changer son fusil d’épaule tout en restant dans son domaine de prédilection. Ce dernier excelle, plus que n’importe lequel de ses contemporains, à reconstruire ce mythe de l’Americana sur le grand écran, tout en y développant des genres différents. Loin des grandes métropoles des États-Unis, Jeff Nichols essaie de développer ses drames familiaux dans des genres divers, allant même plonger sans complexe dans le fantastique.
Cette fois, le cinéaste américain ajoute une nouvelle corde à son arc : celle de l’adaptation d’un fait réel. Lui qui s’était maintenu sur ses quatre premiers films dans la pure fiction, Nichols s’est entiché de cette histoire de ségrégation d’un couple interracial dans la Virginie de la fin des années 50. Joel Edgerton y est donc Richard Loving qui se verrait bien poursuivre le reste de sa vie aux côtés de Mildred, incarnée par Ruth Negga. Leur amour s’affiche aux yeux de tous, mais forcément mal vu par certains dans un état qui possède encore des lois discriminantes à l’égard des Afro-américains.
À l’heure où les élections présidentielles américaines se construisent sur la peur de l’autre, de l’étranger et du mariage homosexuel qui déchaine les passions, Loving prend une toute autre dimension que celle d’une simple chronique de cette petite histoire entrée dans l’Histoire. Il faut remonter à une époque où la législation de certains états d’Amérique, essentiellement les anciens des esclavagistes d’avant la Guerre civile, avaient inscrit des lois et réglementations afin de séparer les personnes à la peau blanche des gens de couleurs. Les mentalités n’avaient pas évoluées depuis un siècle et l’abolition de l’esclavage par le président Lincoln. Chaque état rédigeait sa législation selon ses convenances et poussa le couple Loving à se rendre à Washington D.C. pour se marier.
Mais à leur retour, nul vent n’est fait de leur union pourtant légale au nom de la Loi fédérale des États-Unis. Leur tranquillité ne durera qu’un temps avant que les autorités locales ne s’en prennent à eux, avec tout un cycle d’humiliations bien huilé. À la manière dont chaque groupe interprétait la raison des pouvoirs du jeune Alton de Midnight Special, ici la Loi des Hommes se confronte à la Loi de Dieu. Et dans un pays où le président prête serment sur la Bible, la frontière à de quoi être ténue. Les policiers suivent alors ces principes inculqués sur plusieurs générations, sans remise en question de leur mission de servir à la protection des citoyens. L’ordre moral se supplante à l’ordre social et laisse le couple face à un choix impossible : la prison ou l’exil.
Ce sera loin de leur patelin rural qui les a vu grandir et s’aimer que le couple Loving construira sa famille, dans une petite rue modeste d’une grande ville où la ségrégation est là aussi la norme. Cependant, l’Amérique des Droits civiques approche. Une décennie s’écoule et les appels à manifester contre cette injustice s’égrainent et grossissent en importance. Cela n’échappe pas à Mildred qui ne supporte plus cette situation profondément injuste. Les rapports de force dans le couple ont basculé et le taiseux Richard résigné de toute part. Pour le bien de celle-ci et de celui de leurs enfants, il suivra la volonté de son épouse à ébruité leur cas qui n’est certainement pas isolé à l’poque. À nouveau, Jeff Nichols évite les grands effets et situations spectaculaires. Le cinéaste privilégie l’intime et le développement du climat de terreur qui oppresse les Loving. Tandis que cette peur pousse le discret personnage de Joel Edgerton dans la paranoïa, elle transforme celui de Ruth Negga en cette figure maternelle protectrice, calme et incroyablement forte, des films de John Ford.
Acteur et actrice sont absolument extraordinaires. La direction de Jeff Nichols les sublime et leur alchimie fonctionne dès leur apparition à l’écran. la photographie douce et lumineuse d’Adam Stone et la bande originale de David Wingo vont dans le même sens d’une nouvelle preuve, si l’on en avait encore besoin, du talent de Jeff Nichols. Sa qualification d’héritier de Steven Spielberg va au-delà de cette même Amérique qui les intéresse. Car la force qui rassemble les deux cinéastes est celle de parvenir à exprimer leurs obsessions sous un nouveau jour à chaque nouveau film. Ici, Loving, grand mélodrame du cinéma classique américain aussi beau qu’utile.
Loving, de Jeff Nichols – Sortie en 2016