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Critique : Crounching Tiger Hidden Dragon, Sword of Destiny

Pour sa première (co)production originale d’un long-métrage, Netflix a choisi de raviver la franchise Tigre et Dragon, 18 ans après le volet original, et en faisant appel au légendaire Yuen Woo-ping, à qui l’on doit notamment les chorégraphies des combats de Matrix, Kill Bill et plus récemment de The Grandmaster, à la réalisation.

Arkaron s’est attaqué à ce Tigre et à ce Dragon, lui qui avait déjà écrit un Gros Dossier consacré au genre du Wuxia

LA CRITIQUE

Dix-huit ans se sont écoulés depuis les événements du premier Tigre et Dragon, succès phénoménal d’Ang Lee ayant attiré les regards internationaux, probablement grâce à sa double romance croisée universelle et à son emballage propret seyant aux yeux de ces derniers. Cette fois, le légendaire Yuen Woo-ping, chorégraphe du volet initial, de multiples œuvres cultes, et réalisateur d’autant de films hongkongais incontournables, prend les rennes du projet, s’en va en Nouvelle-Zélande et fait rappliquer Donnie Yen pour remplacer Chow Yun-fat dans la romance principale, tandis que Michelle Yeoh reprend son rôle.

Jouons cartes sur table : j’ai très peu de choses positives à dire sur le film d’Ang Lee, une œuvre que je trouve dramatiquement ennuyeuse car simplifiée à l’extrême pour mieux plaire à un public n’ayant jamais eu l’occasion d’explorer le genre du wuxia pian ; un nivellement par le bas sur quasiment tous les plans, sauvé du naufrage par ses acteurs et sa production value. L’annonce de la prise en charge par Yuen Woo-ping ne pouvait donc que rassurer, car elle laissait au moins entendre l’injection d’une réalisation autrement plus dynamique.

Le résultat, s’il n’est pas honteux, se contente de faire le strict minimum en essayant malheureusement de trop marcher dans les pas de son prédécesseur. Alors le film est-il plus stimulant ? Visuellement, il bénéficie d’une photographie remarquable par Newton Thomas Sigel (collaborateur attitré de Bryan Singer), qui parvient à transformer quelques plans en compositions complexes mêlant les magnifiques paysages néo-zélandais et retouches numériques généralement discrètes. L’identité graphique du film s’en trouve indéniablement renforcée, même si elle s’éloigne drastiquement de celle de la première partie.

La liste des éléments demeurant proches de celui-ci se révèle en fait assez courte et s’en tient aux points les plus grossiers : la stratégie des amours croisés impossibles est réutilisée de manière atrocement artificielle, au travers de personnages-fonction écrit en pilote automatique, la musique reprend le thème initial sans réellement innover, tandis que l’épée mythique autrefois possédée par Li Mu Bai et dérobée par la jeune Jen Lu dans un acte de révolte à l’encontre de l’ordre sociétal établi, est réduite au rôle de MacGuffin dénué de toute symbolique, et convoité par un antagoniste voulant devenir le maître du monde.

De son côté, Yuen Woo-ping multiplie les plans circulaires de grue et d’hélicoptère sur ses paysages renversants (à la Peter Jackson) pour lier tant bien que mal ses scènes d’affrontements. La manque d’intérêt pour la grande majorité de l’intrigue vient du fait que le scénario n’a strictement rien à proposer, se contentant de formuler une quête somme toute banale pour ladite épée, autour de laquelle courent des personnages auxquels il est impossible de s’attacher. En résulte un visionnage distant, détaché et potentiellement ennuyeux. Le manque d’enjeux constitue donc sans doute la plus grosse faiblesse du métrage, qui paraît plus être une imposante mécanique proprement huilée qu’une véritable œuvre dotée d’un noyau émotionnel. Le script a beau s’armer de nombreux personnages annexes (les cinq compagnons inutiles de Donnie Yen, les deux jeunes amoureux sans personnalité, etc.), aucune problématique ne semble émerger du film, sinon celle revenant à se demander comment concevoir une non-histoire à partir d’un film déjà pas spécialement riche.

On pourra sans doute expliquer le manque d’idiosyncrasies par le fait que ce Tigre et Dragon 2 est une production Weinstein/Netflix et China Group, qui tente de raviver la curiosité pour le film d’Ang Lee. Ce nouveau volet a d’ailleurs été tourné intégralement en anglais dans une optique de distribution globalisée. Outre le fait qu’assister à un wuxia en anglais peut être déstabilisant pour les amateurs du genre, les acteurs en question s’expriment pour la plupart dans une langue qui n’est pas la leur, ce qui participe à l’artificialité de l’ensemble.

Cet essai de globalisation s’efforce donc de cocher les étapes incontournables du divertissement hybride, enchaînant les clichés pour rassurer le spectateur qu’il se trouve bien devant un film chinois (cascades à l’aide de câbles, entrainement martial, dictons abscons). Et malgré tout, aucune substance n’émane du récit : où sont les enjeux historiographiques ou les tensions métaphysiques liées à l’identité, si souvent associées au genre ? Michelle Yeoh répète et conclue que l’honneur et le devoir sont des concepts justifiant à eux seuls de se battre, mais les coups d’épée sonnent bien trop creux pour y croire.

L’un des plus récents film de Yuen, True Legend (2010), était à ce titre bien plus réussi, car il développait des problématiques caractéristiques du cinéma chinois, le parcours du protagoniste étant entièrement centré sur sa recherche et son désir intérieur d’évoluer, ce dernier allant jusqu’à s’inventer ses maîtres en son for intérieur – bref, une expression puissante de la notion de développement personnel promulguée par la discipline du kung fu, partant dans un mouvement d’opposition et de synergie entre confucianisme et taoïsme qui vise à faire vibrer l’homme avec l’univers.

On ne trouve rien de tout ça dans Tigre et Dragon 2, qui demeure cependant un film plutôt généreux en matière d’action, et réalisé avec élégance. Les diverses séquences d’action sont à ce titre assez plaisantes, et l’on apprécie bien entendu que certaines participent du développement des personnages (comme entre les deux rôles féminins principaux, ou entre les deux jeunes amoureux), même si Yuen Woo-ping ne parvient jamais à se surpasser en matière de chorégraphies ou de mise en scène. On notera la présence d’un impressionnant combat sur un lac gelé avec Donnie Yen, ou encore d’une mêlée humoristique dans une taverne, qui établit solidement le ton généralement plus léger de cette suite. On regrettera parfois un montage qui semble incomplet, manquant de plans d’insert, voire de transitions fluides à une ou deux reprises.

Globalement, le réalisateur se contente de remplir son cahier des charges pour une production à moitié américaine. En résulte un film trop « carte de visite », et qui fait la courbette au public international. L’histoire nous avait appris que les Américains devaient vraiment rester en dehors de genres qu’ils n’ont pas l’intention de comprendre réellement (on se souvient encore avec douleur du film Le Royaume interdit, de Rob Minkoff). Il semble que l’incroyable Yuen ait décidé de jouer cette partie en bon élève. Espérons que le prochain essai soit plus personnel.

Tigre et Dragon 2, de Yuen Woo-ping – Sortie le 26 février 2016 sur Netflix

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