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Critique : After Earth
On avait presque oublié que le film sortait ce mercredi sur nos écrans. Il a fallu un affichage massif et une bande annonce souvent diffusée avant Fast and Furious 6 pour rappeler qu’After Earth débarquait dans les cinémas.
Trois ans après avoir totalement foiré l’adaptation d’une exceptionnelle série d’animation, Le Dernier Maitre de l’Air, le réalisateur du Sixième Sens revient donc avec un long métrage de science fiction mettant en scène Will Smith et son fils Jaden, un vrai film de commande qui ressemble plus à un blockbuster classique qu’aux précédents travaux du bonhomme.
Arkaron, grand amateur de science fiction, s’est jeté sur la première une des avant-premières ayant eu lieu ce mardi.
Ce sont les années 1990 et Will Smith, jeune rappeur démonstratif, sort de Bel-Air et conquiert Hollywood avec trois succès internationaux : Bad Boys, Independance Day, Men in Black. Peu après, un autre artiste fait résonner son nom sur les écrans de cinéma avec son troisième film, un exercice stylistique et formel hypnotisant nommé Sixième Sens : M. Night Shyamalan.
Presque 15 ans plus tard, l’un est au sommet de sa popularité tandis que l’autre est sur la pente descendante d’une carrière pourtant prometteuse. Fort de ses succès, Shyamalan pousse ses expérimentations et ses fantaisies dans leurs retranchements jusqu’à perdre la vaste majorité de son public avec Lady in the Water. Ses deux essais suivants sont catastrophiques : l’auteur a les mains liées, il devra faire des compromis s’il veut survivre au système.
De son côté, Smith souhaite lancer la carrière de son fils Jaden pour de bon. Sur une idée de script lui appartenant, il embauche Gary Whitta (Le Livre d’Eli, entre autres) pour écrire le scénario et demande au réalisateur à court d’options de le mettre en images. Dès sa production, After Earth est donc un projet particulier : première commande de Shyamalan depuis ses débuts dans les années 1990, impliquant donc un encadrement imposé par la famille Smith, qui en est l’origine. Le tournage, enfin, est lui aussi original : Shyamalan est chargé de la mise en image (mise en scène, angles de prises de vue, mouvements de caméra, traitement esthétique), tandis que Will Smith s’occupe personnellement de guider le jeu de son fils, sur qui repose la partie centrale de l’œuvre.
Difficile de parler d’After Earth sans prendre en considération les contextes multiples et complexes qui l’entourent. Dans une année où le fantastique et la science-fiction américaines ont rarement été aussi présents au cinéma d’abord, en tant que projet personnel de la famille Smith ensuite, puis en tant qu’épreuve professionnelle pour son réalisateur.
Dans sa première demi-heure, le film expose son univers à l’aide d’un long flashback édifiant les règles du monde qui se dévoile au public. Méthode typique du cinéaste certes, même s’il nous a autrefois offert de meilleures introductions. L’expression science-fictive est ici de plusieurs types : visuelle, d’abord, par sa technologie et son architecture à la fois épurées et stylisées, plus chaleureuses que ses rivales trekkienne ou marvellienne, par exemple, sans doute parce qu’un étrange aspect organique, quelque peu diffus mais présent néanmoins, reste attaché à la conceptualisation graphique.
Ensuite, on s’étonne honnêtement de trouver du technoblabla dans un blockbuster mainstream estival. Certaines scènes d’exposition se proposent ainsi d’offrir des pistes d’exploration futuristes pour les plus intéressés d’entre nous, sans doute à l’indifférence générale du public. Pas une mauvaise chose en soit, puisque ce genre d’outil a pour ainsi dire disparu du circuit depuis quelques temps, et qu’il permet d’étoffer l’univers en question.
Dans ses diverses prémices enfin, qui rappellent de bien nombreuses œuvres parentes. Sous l’aile de Bradbury, les humains quittent la Terre et colonisent l’inconnu, seulement pour la retrouver plus tard, méconnaissable et dangereuse, ainsi que l’avait décrit Asimov. Dans les étoiles comme sur la Terre, ils doivent survivre à des créatures mortelles, une idée qui ne déplaisait ni à Heinlein, ni à Van Vogt. Pour rester bref, After Earth revendique un héritage classique auquel il ne tournera pas le dos : sa structure, son déroulement et son récit adoptent une perspective linéaire et sans surprise.
Ce classicisme appuyé est probablement recherché pour renforcer les bases d’une diégèse potentiellement extensible sans laisser trop de questions en suspens, tout en consacrant plus de temps au véritable sujet du film : la relation père/fils des héros et les rites de passage que le jeune Kitai devra surmonter au long de son parcours initiatique.
On en vient donc aux Smith/Raige, qui occupent l’écran l’écrasante majorité du temps, et en particulier Jaden/Kitai, qui se voit confier une tâche que son père, blessé, ne peut pas mener à bien. Tout reposant sur les épaules du jeune homme, y compris le film, on reste perplexe face au résultat. Si certaines scènes de la seconde moitié du métrage sont tolérables, l’adolescent passe la plus grande majorité de son temps à froncer les sourcils au-dessus d’yeux hagards sans communiquer la moindre expression faciale convaincante. À vrai dire, et très étrangement, il se révèle légèrement plus empathique dès lors qu’il joue seul, alors que ses scènes de groupe ressemblent à des premières prises tournées à froid, le lendemain d’une très courte nuit. S’ajoute à cela un autre problème de taille : son charisme est pour ainsi dire inexistant, de surcroit lorsqu’il est mis à côté de son père, qui propose quant à lui une interprétation minimaliste et réservée plutôt efficace si l’on prend en compte les spécificités de son rôle. Dernière tâche au tableau des acteurs : si les dialogues sont assez bien pensés étant donné la situation, leur articulation laisse sincèrement à désirer pour la simple et bonne raison que le timbre hésitant de Jaden Smith ne donne jamais l’opportunité d’y croire.
Sur le papier, la famille Raige s’inscrit dans un mode de vie aristocratique et privilégié, au sommet de la hiérarchie sociale et militaire de la colonie humaine. Surtout, l’idéologie du film est bâtie sur le principe de contrôle du fonctionnement cérébral humain, visant à éliminer certaines émotions telles que la peur. Cypher Raige insiste également sur l’importance de la lucidité de perception du moment présent, qui doit supplanter toute autre considération. Quelque part entre l’homme complet d’Heinlein et la dianétique de L. Ron Hubbard, et lointain cousin du non-aristotélisme de Van Vogt, la philosophie prônée par Raige n’est pas non plus sans rappeler le stoïcisme grec ou quelques préceptes orientaux kimétiques.
Plus intéressante encore est la position inévitable qu’After Earth va prendre dans certaines listes d’œuvres consacrées à l’afrofuturisme, un genre de science-fiction relativement jeune et en expansion constante depuis une trentaine d’années. Que Will Smith l’ait conçu ainsi ou pas ne change pas son statut à part dans la production audiovisuelle science-fictive américaine et mondiale : tout projet de ce type mettant en scène un noyau de personnages noirs s’inscrit de facto dans l’histoire afrofuturiste, d’autant plus lorsque le film représente la première entreprise de ce genre depuis plusieurs années. En effet, il est nécessaire de remonter à 1974 et au trip musico-futuriste Space is the Place pour retrouver une œuvre d’artistes noirs et dont les principes acceptent de naviguer certains thèmes d’anticipation comme le voyage spatial (plus récemment, on trouve aussi la co-production kenyane/sud-africaine Pumzi, bien que dans un sous-genre différent). Si l’exemple initialement cité avait été clairement confectionné avec un agenda politique en tête, il ne donnera lieu à aucune imitation, et la science-fiction mainstream continuera de dépeindre des civilisations majoritairement blanches. Les exceptions possibles (les séries Star Trek, les précédents blockbusters de Will Smith, etc.) permettent une équipe vedette interraciale mais ne présentent jamais la population noire comme occupant une place d’autorité. Cela change justement ici, puisqu’After Earth fait clairement comprendre que Cypher Raige est le sauveur de l’humanité, qu’il se trouve au sommet de la pyramide sociale et que tout personnage non-noir occupe un rôle de peu d’importance. Je le répète donc : que cela fusse l’un des objectifs premiers ou non, After Earth se démarque de ses productions contemporaines et passées par l’appartenance de ses principales forces créatrices (Smith, Shyamalan) à des origines non caucasiennes. Il était temps.
L’Afrofuturisme se veut un moyen de projeter la condition de la communauté panafricaine dans un futur distopique (rarement utopique), proposant parfois des pistes d’évolution des mœurs ou des hypothèses de transformation sociale. On notera la ressemblance du concept de base du film avec celui du texte d’Octavia Butler intitulé Bloodchild : un groupe d’humains fuient la Terre et trouvent refuge sur une planète déjà habitée par des créatures insectoïdes. Aussi, une observation du corpus afrofuturiste littéraire permet de remarquer que la hard science, qui se donne pour objectif de respecter les connaissances scientifiques actuelles, y a rarement sa place, et que des éléments mystiques ou fantastiques envahissent très souvent cet univers, parfois jusqu’à prouver leur supériorité sur les préceptes purement logiques de la science. Il est donc intéressant de relever l’approche d’After Earth (écrit pas Whitta mais révisé par Smith et Shyamalan) : le mysticisme est effacé au profit d’une science d’anticipation très occidentale, quoique parfois capillotractée.
En effet, ses quelques invraisemblances scénaristiques donnent l’impression globale de servir le noyau substantiel de l’histoire en forçant un environnement spécifique sur le protagoniste. Sans être exhaustif : un millénaire après la fuite des humains, la Terre gèle chaque nuit pour retrouver une température normale le jour ; les soldats d’élite que sont les Rangers combattent des aliens mortels à l’aide d’épées high-tech uniquement ; toute trace de l’humain a disparu, à l’exception de peintures préhistoriques ; tous les animaux ont évolué pour tuer l’homme. Tout cela teste franchement le seuil d’incrédulité du spectateur, mais paraît thématiquement logique lorsqu’observé à travers le prisme de l’évaluation du fils, qui doit prouver sa valeur dans une succession d’étapes presque ritualisées visant à le faire accéder au statut de Ranger (d’homme, si vous lisez entre les lignes subtiles du script).
Qu’aura donc apporté After Earth au corpus afrofuturiste ? Difficile à dire à l’aube de sa sortie, mais sa nature ambivalente, coincée entre occidentalisme académique et redéfinition de la place de la communauté noire dans le futur de fiction est une première à Hollywood.
Pour donner vie à ce scénario, les caméras sont donc aux commandes de Manoj Shyamalan, qui admettons-le tout de suite, n’avait pas tourné aussi bien depuis The Village. Libéré de ses ambitions conceptuelles auteurisantes, et surtout encadré par la famille de producteurs, le cinéaste a pu se concentrer sur sa mise en images et le résultat est assez plaisant. Ses angles et mouvements de caméra sont à la fois discrets et élégants, servant son intrigue en l’illustrant de manière symbiotique (par exemple, en adaptant ses plans aux situations ou aux conditions émotionnelles des personnages), non sans offrir quelques passages de bravoure (le vol plané, magnifique) et plans à l’ambition iconique. Toutefois, son style ne se perd pas, et si l’on apprécie son découpage ample, c’est parce qu’il contraste avec le reste des blockbusters saisonniers, qui poursuivent leur course toujours effrénée après le rythme supersonique ne laissant aucune place au spectateur. After Earth présente un rythme mesuré, un récit dans lequel le silence a enfin sa place : aussi bien le silence du protagoniste, enfermé dans son traumatisme, que celui de son environnement, qui donne relativement peu de place à la partition de James Newton Howard (en elle-même satisfaisante quoi qu’assez banale). Ces caractéristiques, que l’on retrouvait déjà dans certains de ces films précédents, étaient parfaitement adaptées aux genres en question. Ici, le résultat ne manquera pas d’ennuyer certains spectateurs, qui s’attendent sans doute à une aventure palpitante les faisant tomber de leur siège.
After Earth n’est pas le succès attendu aux États-Unis. Cela s’explique peut-être par le fait qu’il ne correspond pas vraiment à ce que les spectateurs ont l’habitude de voir. Reposant sur un script indécis, tiraillé par deux pôles d’influences et d’ambitions narratives, le film n’impose jamais de point de vue défini sur son sujet, car trop occupé à compléter différents tableaux. Malheureusement portée par un acteur principal qui n’était pas prêt à assumer un tel rôle (le sera-t-il jamais ?), la production Smith manque sa cible alors que tout avait été construit autour de la révélation Jaden Smith. Sans surprise dans le déroulement de son histoire, After Earth n’en est pas moins intéressant sur certains aspects, qui ne parleront cependant qu’à une poignée d’amateurs du genre. Son cinéaste, dans tout ça, réaffirme qu’il a une voix bien plus riche que tous les yes-men d’Hollywood, mais manque encore une fois de transformer l’essai, échouant (ou refusant) à se taire et à créer le même récit stérile sans cesse remâché d’un été à l’autre. À réserver aux fans du genre et du cinéaste prêts à faire des concessions.
After Earth – sortie le 5 juin 2013
Réalisé par M. Night Shyamalan
Avec Will Smith, Jaden Smith
Mille ans après que les hommes ont quitté leur foyer devenu inhabitable, le général Cypher Raige et son fils Kitai survivent à un atterrissage en catastrophe sur une Terre aux nombreux dangers. Seul capable d’assurer leur survie, Kitai doit parcourir cent kilomètres dans un environnement hostile pour récupérer un dispositif de détresse…
6 commentaire
par Kaleendah
Excellente critique! Je pensais être la seule personne à connaître Space is the Place! ^^ Ca m’a donné envie de voir le film qui ne me tentait pas du tout jusqu’alors.
par mark
‘Afrofuturisme’? waouw on aura tout lu et tout entendu…
c quoi au juste????? pour moi c’est une fiction avec des noirs au 1er plans :)
par Abe
Je pense qu’il faut prendre les choses pour ce qu’elle sont et surtout prendre en compte les sentiers de la spiritualité et de la religion du marketing pour le cinéma!!
Will Smith à encore la côte. Le premier film avec son fils « à la recherche du bonheur » fonctionnait bien. Ils ont voulu remettre le couvercle car c’est vendeur!!
Intellectualisé tout est pompeux, voir prétentieux.
Moi, j’ai surtout l’impression que Arkaron s’aime beaucoup quand il écrit de la sorte.
Attention, j’aime ses écrits. Mais de grâce, il y a un peu trop de gravité dans cette critique je trouve.
Il n’y a tellement pas grand choses à dire dans les derniers films de N.Shyamalan…
par Arkaron
@Mark : peu de choses en français sur la question, mais si tu lis l’anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Black_science_fiction ; http://en.wikipedia.org/wiki/Afrofuturism ; en gros, c’est un mouvement culturel mené par des artistes noirs qui utilisent la SF pour s’exprimer sur le passé et l’avenir de la situation des noirs dans le monde.
@ABE : désolé d’avoir donné cette impression, j’espérais plutôt faire transparaître que j’aimais la SF et le cinéma, et donc que le film a ouvert en moi les pistes de réflexion ci-dessus. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’intellectualisation ; pour moi, toute œuvre est susceptible d’être intéressante car elle se réclame forcément d’un héritage. Je pensais donc partager ces possibilités, puisque j’en ai l’occasion, au cas où d’autres soient également intéressés. Pour le ton, hm… j’avoue ne pas bien voir où la gravité se trouverait, mais soit, j’y réfléchirai. Merci.