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Un Dimanche, Une Critique : L’Homme des Hautes Plaines

Ce dimanche, mais aussi dimanche prochain pour prolonger le plaisir, on va vous parler western.

Mais pas n’importe quel western pris au hasard dans une DVDthèque. On va vous parler grand western.
Après une première réalisation en 1971 avec Un Frisson Dans La Nuit, Clint Eastwood passe une seconde fois derrière la caméra. Il réalisera un film sorti en 1973 et à auquel Un Dimanche, Une Critique est consacré : L’Homme des Hautes Plaines.

Critique initialement publiée le 27 juin 2010.
L’Homme des Hautes Plaines est disponible en blu-ray depuis ce 24 septembre dans une version entièrement restaurée.

 

High Plains Drifter (L’Homme des Hautes Plaines) – Sorti le 22 août 1973
Réalisé par Clint Eastwood
Avec Clint Eastwood, Verna Bloom, Billy Curtis, Mitch Ryan
Un cavalier solitaire arrive dans la silencieuse ville minière de Lago. Très vite, il semble évident que sa présence bouscule l’ordre établi. Après avoir descendu trois tueurs professionnels censés protéger la ville avec une aisance déconcertante, les habitants décident de s’acheter ses services afin de s’armer contre le retour imminent d’anciens malfrats tout juste sortis de prison…

 

Quand on pense à Clint Eastwood en tant qu’acteur, il y a deux rôles qui viennent immédiatement à l’esprit. Deux personnages indissociables de leur interprète commun. L’Inspecteur Harry bien sûr, mais peut-être plus encore l’Étranger – l’homme sans nom. Introduit dans le cinéma occidental par Sergio Leone, le personnage ne disparaît pas pour autant avec la conclusion de la Trilogie des Dollars. Qui d’autre qu’Eastwood serait alors mieux placé pour nourrir le concept? Le jeune réalisateur décide donc, en 1972, de consacrer son deuxième long-métrage au genre qui l’a rendu célèbre.

Les éléments les plus traditionnels du Western sont là: les grands espaces américains, une petite ville à première vue comme les autres avec son Sheriff, son croque-mort, son Saloon… une ville morte et morose qui vit dans la peur. Leone avait composé sur la palette de l’influence de l’Étranger sur le monde qui l’entoure, notamment grâce à une poignée de personnages charismatiques qui, par leurs actions et leur évolution, servaient de vecteurs à la redéfinition partielle de leur univers (Ramon, Douglas Mortimer, Sentenza et Tuco). C’est sous couvert d’un schéma similaire qu’Eastwood fait prendre une autre direction au genre.

En effet, l’Étranger reste le centre d’attention mais ses ennemis ont changé: il ne s’agit plus d’individus pouvant lui tenir tête (il y a bien des bandits qui menacent la ville, mais ils passent au second plan), mais une population entière prise entre peur et obligation d’employer un homme dangereux pour en éliminer d’autres. De même, le dessein du protagoniste reste bien vague, l’argent ne semblant pas être un objectif de premier ordre. Tout au long de l’histoire, l’Étranger va donc s’évertuer à combattre le plus grand mal qui ronge le village de Lago: l’apathie pleinement assumée face à la violence gratuite envers autrui et même envers soi-même. Thème qui sonne ô combien pertinent dans ces ultimes années de la guerre du Vietnam, et le grand Clint ne se gène pas pour mettre en images un cynisme à la limite de l’obscénité (abusés, humiliés, utilisés et manipulés, les « bonnes gens » continuent sans hésitation de favoriser une escalade de violence au profit d’une passivité coupable).

Cependant, le scénariste Ernest Tidyman ne s’arrête pas là et étoffe les ambiguïtés du héros déjà fort peu héroïque en le dessinant tout en contraste jusqu’à un épilogue magistral d’élasticité d’interprétation. Du maître italien, Eastwood retient l’approche cynique sans compromis, le personnage principal sans pareil, et son iconisation. Cette mise en valeur d’une efficacité rarement atteinte passe par plusieurs éléments. L’interprétation bien entendu, toute en justesse, d’un personnage à la fois méprisable et fascinant, mais aussi et surtout la réalisation tout bonnement sidérante de maîtrise pour un deuxième film qui insère de très subtiles touches de fantastique au Western. Pics de tension envoutants, les flashbacks jouissent de l’excellent travail du compositeur Dee Barton qui finit d’âper le spectateur dans la tourmente d’une ville aux airs de purgatoire. Le mouvement du film est à ce titre en adéquation avec celui des habitants de Lago: descendant, encore et encore, vers une fin qui semble inévitable.

L’apport d’Eastwood est multiple. L’intrigue qui aurait pu passer pour une vendetta classique se voit transformée en quelque chose de plus métaphorique (attention à la VF cependant, qui efface toute ambiguïté pour on ne sait quelle raison), le choix des plans marque un retour plus prononcé au Western américain plutôt qu’à une imitation du Western spaghetti, et certaines variations sur les composantes de la diégèse restent assez frappantes à ce jour. Les repères du bien et du mal sont chamboulés, la société présentée y est de fait vue comme grandement défaillante et incapable de repartir sans un bouleversement total. La période de rétablissement de l’Étranger jusque là inévitable est habilement contournée, voire détournée, afin d’alimenter un système symbolique (notamment religieux) omniprésent. Enfin, un nain devient Maire et Sheriff par décision arbitraire et la ville entière est mise en scène par ses habitants à l’intérieur du cadre de la narration: jamais la forme du Western n’avait été ainsi transfigurée.

L’Homme des Hautes Plaines marque l’arrivée de l’Étranger sur le sol du cinéma américain. Comme Leone auparavant, Clint Eastwood va réinventer le personnage au point d’achever son statut de mythe, et va explorer le genre en plusieurs actes éclatés dans sa filmographie. Parmi les plus importants, Pale Rider viendra en 1985, et l’immense Impitoyable en 1992.

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