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La Rafle : Rencontre avec toute l’équipe du film

La lecture de l’interview qui suit est indispensable. Et riche en émotions, surtout quand vous aurez vu le film. Nous avons rencontré à Lyon l’équipe du film La Rafle dont je vous parlais déjà il y a quelques semaines.
Etaient présents pour répondre aux questions des journalistes Rose Bosch réalisatrice du film, Mélanie Laurent, Raphaëlle Agogué, Jean Reno, le jeune Hugo Leverdez, le producteur Ilan Goldman ainsi que Joseph Weismann, rescapé du Vel d’Hiv dont le film raconte l’émouvante histoire.
Prenez le temps de bien lire l’intégralité de la conférence et rendez-vous le 10 mars prochain en salles.

La Rafle traite d’un sujet difficile, déjà abordé dans des films plus anciens. Qu’est-ce qui vous a donné envie de parler de cette histoire?
Mme Bosch: Deux choses essentielles. La première, c’est que les films précédents n’avaient pas disposés des moyens leur permettant de raconter cette histoire de manière frontale, dans toute sa brutalité, et surtout dans toute son ampleur. Avant, on avait pas les mêmes moyens qu’aujourd’hui, où on peut reconstruire un tiers du Vel d’Hiv et reconstituer les deux autres tiers en images de synthèse. Donc généralement, on voyait seulement cinquante personnes en arrière-plan, et ça ne rendait pas justice à l’ampleur du l’évènement, qui a été la plus grosse rafle de juifs réalisée en Europe. 13 000 personnes ont été raflées en un jour et demi. Quand vous parlez de films déjà existants, en effet il y en avait, mais c’était comme des bribes, des films où l’évènement était utilisé en toile de fond pour une autre histoire. La différence ici, c’est qu’on raconte frontale la rafle du Vel d’Hiv, du 6 juin 1942, jusqu’à la fin août, où sont partis les convois.

M. Goldman: On ne peut pas réduire ça à une question de moyens, c’est une question de volonté et de nécessité aussi. Le sujet de la Rafle est frontal. Les deux films auxquels vous vous référez sans doute sont Monsieur Klein (nldr: réalisé par Joseph Losey en 1976, avec Alain Delon) et Les Guichets du Louvre (ndlr: réalisé par Michel Mitrani en 1974). Monsieur Klein est un film identitaire, et Losey lui-même n’a pas souhaité se référer à la rafle du Vel d’Hiv, mais plutôt à des rafles en général, y compris celles des dictatures d’Amérique Latine, et celui de Mitrani n’entre même pas dans le Vel d’Hiv, sans parler de Bonna Rolande et de l’épopée générale que ces gens ont vécu, mais raconte une très belle et délicate histoire d’amour d’un jeune non juif qui décide de faire quelque chose. Ce film là (La Rafle) prend le sujet à la bras le corps et raconte cette histoire de A à Z.

Est-ce que raconter cette histoire à travers les yeux d’un enfant s’approche plus du témoignage? Ou est-ce que ça a été une motivation pour vous?
Mme Bosch: Raconter à travers les enfants était pour moi absolument essentiel parce qu’on dit toujours qu’il n’y a pas de victimes plus victimes que d’autres, or je ne suis pas d’accord: pour moi les enfants sont les plus grandes victimes, parce que le rapport de force est complètement inégal, parce qu’ils sont souvent victimes de nos folies, celle-là en était une, elle était majeure, et elle a été faite dans un pays censé avoir vécu le siècle des Lumières et être capable de reconnaître la barbarie. Là, la France semble avoir tout oublié, et ce sont les enfants qui en font les frais. Dans la rafle du Vel d’Hiv, sur environ 13 000 raflé, vous avez 4051 enfants, c’est considérable. Je me suis souvent demandée ce qu’ils ont pu penser de nous et de notre aveu d’impuissance alors qu’on leur répète sans cesse qu’ils peuvent avoir confiance en les institutions, que la police est là pour les protéger, que leurs parents peuvent les défendre.
J’ai aussi décidé de partir de Montmartre, quartier dans lequel une importante communauté juive modeste vivait dans les années 1940. C’est un quartier qui a « fourni » environ 800 enfants sur les 4051 raflés. Depuis environ vingt ans, j’entends parler de ce quartier, comment il était à l’époque, et de comment tout ça s’est passé, donc je me suis toujours dit que ça se passerait là, avec ses enfants, et j’ai voulu aller de la rafle aux camps de Bonna Rolande. Il restait bien sûr à les trouver. Or les enfants qui sont allés jusque là sont montés dans les trains, et ils sont morts. Je n’arrivais pas à en trouver qui se soient échappés d’une manière qui me parle. Bien sûr, certains avaient pu sortir de Drancy grâce à de faux papiers d’identité ou autres manipulations, mais ça ne me parlait pas vraiment. Jusqu’au jour où on m’a amené une cassette datant d’il y a 18 ans, « La Marche du Siècle », où des gens témoignaient. Je connaissais tous les témoins encore en vie, mais leurs destins ne me permettaient pas d’aller aussi loin, jusqu’à Beaune, et surtout de rester du côté de la vie plutôt que de la mort. Et là, tout à coup, je vois apparaître un monsieur avec une belle paire de moustaches qui parle en détails et avec beaucoup d’émotions de la rafle, de Montmartre, du Vel d’Hiv, du camp de Bonna Rolande.
Je me demande alors comment il s’en est sorti, et j’apprends qu’il s’est échappé avec un autre petit gars, en rampant sous 60 mètres de barbelés. C’était extraordinaire, il me fallait le retrouver. Mais tout d’un coup, il explose en sanglots lors de cette interview et dit que personne ne pourra jamais faire un film sur le sujet. Ni une ni deux, je me suis mise à sa recherche. Ça a été très difficile. Finalement, dans une pile de lettres adressées au gouvernement sur le sujet, je retrouve une lettre de Joseph Weismann adressée à Simone Veil où il dit s’être décidé à témoigner. La lettre avait 15 ans, et comportait une adresse au Mans. Je lui ai donc écrit pour lui faire part de mon projet de film, et lui ai demander de me rappeler s’il était intéressé. Et il m’a rappelé. Joseph est un exemple d’un petit garçon qui était français et qui a été dénaturalisé afin de remplir les quotas d’enfants étrangers raflés.

Aujourd’hui, en 2010, est-il encore osé de raconter cette histoire? Est-ce audacieux?
Mme Bosch: Je ne sais pas si c’est audacieux, mais il est grandement temps de le faire, parce que les témoins de 10 ans à l’époque ont aujourd’hui 80 ans. Dans peu de temps, les seuls témoins restants diront qu’ils avaient 3 ans à l’époque. Quels sont leurs souvenirs? Ce n’est pas une question d’audace, c’est une question de nécessité, il faut le dire une bonne fois. Il ne s’agit pas de pointer du doigt, mais de rendre compte des faits, voire de réhabiliter. Par exemple, le film montre qu’en 1942, une enquête avait été faite sous Pétain pour savoir quelle serait la réaction potentielle de la France si on renvoyait tous les juifs vers l’Allemagne. La réponse fut que les français n’était pas assez antisémites pour tolérer une telle déportation. C’est le genre de choses qu’on nous a cachées. On nous a caché ce qui se passait dans les camps, on nous a caché le marchandage humain de la rafle du Vel d’Hiv, on nous a caché le fait que le gouvernement français est allé au devant des demandes des allemands en proposant de déporter les enfants. En tant que citoyenne, je suis allé de surprises en surprises, pourtant, j’ai fait de la presse pendant 10 ans. J’ai été aussi stupéfaite du fait que les responsables n’ont pas été punis, à part Pierre Laval qui a pris 12 balles dans la peau. Les autres ont fini tranquillement leurs vies et leurs carrières. Alors est-ce audacieux? Non, mais c’est indispensable. Il n’y a pas de raison que les américains soient les seuls à se retourner sur leur passé relativement ancien ou récent, à faire des films avec honnêteté intellectuelle et en regardant les choses en face et que nous ne puissions pas le faire.
Et puis, il y a des raisons de se réjouir du film aussi. Par exemple, savoir que le matin de la rafle, 12 000 juifs sont cachés spontanément par leurs voisins, et se volatilisent alors que Paris est quadrillée et occupée. C’était très risqué d’aider les juifs, certains se sont retrouvés à Auschwitz pour leur avoir porté secours. On dit aussi que les juifs sont allés à l’abattoir sans se révolter, mais quand on est déportés en famille et qu’un fusil est braqué sur vos enfants, non, vous ne vous révoltez pas. Pourquoi dire ça au cinéma? Parce que le cinéma a une force inouïe. Il s’adresse à beaucoup de monde et provoque parfois des débats. Un média de divertissement tel que celui-ci qui rencontre un sujet comme le nôtre se trouve au servir de quelque chose d’important.

Les acteurs, avez-vous eu l’impression de faire un film important, avez-vous appris des choses?
Mlle Laurent: Oui, bien sûr. La première fois que j’ai rencontré Rose, on a parlé pendant trois heures. Depuis, à chaque fois qu’on discute, elle me raconte des histoires qui me font froid dans le dos. Après, avant même de savoir si ce film est important, après l’avoir vu, j’étais oppressée, j’ai eu envie de me jeter sur de la lecture pour dire « oui », pour en savoir plus. On m’a proposé beaucoup de films sur cette période, mais les scénarios que j’ai lu manquaient de précisions, de recherche ou de violence. Puis j’ai eu la chance de lire celui de Rose, et on m’a proposé d’y jouer. Je dis « oui » à ce film là parce que c’est ce film là. Après ça, tout a été évident de la première rencontre jusqu’à aujourd’hui.
C’est pas un film comme les autres, c’est aussi des rencontres extraordinaires. Une rencontre avec Jo (Joseph Weismann), ça change la vie. Rencontrer des enfants, ça apporte de la vie sur le plateau, et on les protège. Mais on ne protège pas un enfant le temps d’une journée de tournage, il y a aussi l’après tournage. Ce sont des rencontres de vie qui n’arrivent pas sur tous les tournages. Ce sont des films difficiles à porter, parce qu’on tourne dans un camp toute la journée, et même si on sait qu’on fait du cinéma, le soir, on est pas détendu, on dort mal, on fait des cauchemars. Enfin, j’étais infirmière mais c’était moi qui était sur un brancard entre les prises. On vivait une histoire très forte tous ensemble, ce sont des films qui marquent. Et c’est marrant, je n’arrive pas à comprendre les gens qui disent que c’est un film de plus. D’abord parce que j’ai pas l’impression que c’est un film de plus, on parle d’autre chose. Et puis je trouve que cette phrase ne veut rien dire en fait. « Un film de plus… ». Ça veut dire que quand on fait un film d’amour, on fait encore un film d’amour? Ou quand on fait un film de guerre, on fait encore un film sur la guerre ? Combien de films il y a eu sur cette guerre, et sur la première, et sur des guerres précédentes? Alors le concept de film important, ou indispensable, je ne sais pas… pour moi, c’est un film fort, qu’on soit juif, pas juif, qu’on ait un rapport avec cette histoire ou pas, moi ce que je vois ce sont des gens scotchés à leur siège et qui n’en sortent pas indemnes. C’est film qui fait réfléchir aussi, parce qu’il parle de désobéissance, de l’être humain, ou quand un ordre inhumain est donné par un gouvernement, qu’est-ce qu’on en fait de cet ordre là? Est-ce qu’on est obligés de dire oui, est-ce qu’on décide, quand on est gendarme, de se rassurer en se disant que ça n’est qu’un ordre? Ce qui est bien dans le film c’est qu’il n’est pas manichéen, on montre les pompiers qui donnent de l’eau, ou des gendarmes touchés par la situation, au même titre que les salauds. Je pense pas qu’une guerre soit possible sans soldats. On peut fusiller pour l’exemple, mais on ne peut pas fusiller une population entière si elle n’a pas envie de sa battre.

Mme Bosch: Oui, à chaque génération vous êtes obligés de tout ré-expliquer, de tout recommencer. Le savoir n’est pas dans les gènes. On se dit souvent que qui ne connait pas son histoire est condamné à la répéter, et je parlais tout à l’heure à Jean (Reno) du film Hotel Rwanda, dans lequel il a joué, et qui ouvre les yeux sur les conséquences du départ des occidentaux. Il y a eu un million de morts en trois semaines. Alors quand on dit c’est un film de plus… vous le croyez vraiment? Je crois qu’il n’y en aura jamais assez.

M. Reno: Oui, l’essentiel a été dit. Tout le monde apprend quelque chose. Il y a beaucoup de choses, techniquement que je ne connaissais pas. Les chiffres étaient flous, je n’avais vu que quelques images. Vous savez, un film c’est un groupe de gens, et je trouve qu’il y a eu quelque chose de magique dans ce groupe, à commencer par les enfants. Est-ce un film important? nous, on l’a fait sincèrement parce qu’on avait envie de le faire. C’est important pour la mémoire, il fallait que mes enfants le voient. Chacun a ses raisons, et pour chacun c’est important. C’est pas les salaires qui font les films. C’est facile pour moi de le dire, mais c’est vrai. Voilà, après on en revient à la souffrance. La première fois que Jo est venu sur la plateau, on était à Budapest dans « le Vel d’Hiv », et c’était la date anniversaire de cette horreur, et il y a eu une minute de silence monstrueuse d’humanité parce qu’on a partagé ces ombres là. L’autre jour, le père d’un ami est mort, et son frère, en fouillant le bureau, a trouvé un papier où était marqué « Les morts sont des invisibles qui ne sont pas absents. » Voilà… c’est un peu tout ça le film.

Mme Bosch: Les enfants ont été très importants. Ils nous donnaient une pêche d’enfer. On en avait besoin sur le plateau. Mais en même temps on devait protéger ceux qui ne savaient pas tout et à qui on ne voulait pas tout dire, tandis qu’eux, ils étaient heureux, ils avaient le droit d’être sales toute la journée et de faire les fous. Et puis à un moment donné, on leur disait de jouer telle scène sans sourire, d’être dans l’émotion et tout ça, et ils le faisaient.

Mlle Laurent: J »ai également appris quelque chose quand on m’a dit que certains juifs avaient eux-même payés leur ticket de train pour la mort. Je crois qu’en plus des gendarmes, il y avait une vrai confiance envers la France. Et pour revenir aux enfants, certains ne comprenaient pas ce qui se passait à l’époque. On a eu un témoignage d’une dame qui disait qu’au Vel d’Hiv, elle attendait le spectacle. L’innocence des enfants a été réelle. C’est comme cette anecdote, présente dans le film d’ailleurs, du petit garçon qui court vers le camion parce qu’il est persuadé qu’il va retrouver ses parents.

Comment avez-vous expliqué la situation aux enfants?
Mme Bosch: Tout dépendait de leur âge. D’abord, les enfants ont des parents. même le moindre petite figurant avait ses parents sur le plateau. Et la responsabilité de leur dire ou pas, c’est la leur. Pour les enfants de 9 ans, par exemple, je me suis contentée de leur dire qu’il y avait une rafle et que les gens étaient déportés vers d’autres territoires en Allemagne parce qu’Hitler l’a décidé. J’ai parfois énormément schématisé parce que tout expliquer à un enfant qui n’a pas encore les outils psychologiques, de maturité ou autre, de se rassurer lui-même, reviendrait à briser son enfance. En revanche, avec des enfants comme Hugo (Leverdez), qui avait 11 ans à l’époque du tournage, c’était différent parce qu’ils avaient déjà des connaissances sur le sujet. J’avais demandé aux plus âgés de ne pas raconter aux plus jeunes. Je ne crois pas en la transparence absolue pour se genre de choses parce que j’aurais traumatisé les gosses et j’aurais achevé leur enfance plus tôt qu’elle n’aurait dû s’achever. Par exemple, les petits jumeaux qui ont joué le personnage de Noé, 5 ans, savaient que la police pouvait parfois se retourner contre la population mais ils ignoraient ce qu’il y avait au bout de la ligne de chemin de fer. Ils n’avaient pas besoin de le savoir. Moi, ce que je voulais d’eux, c’était leur innocence en fait. Les enfants de l’époque ne comprenaient pas ce qui se passait. Il y a des moments dans le film qui peuvent paraître émotionnellement excessifs ou appartenir purement à la mise en scène. Ça n’est pas le cas. Deux rangées de gendarmes qui regardent un gamin courir vers un camion en criant « on va voir maman »… cet enfant a existé. J’en ai plusieurs témoignages, d’enfants qui courent ainsi en trainant leurs baluchons, pieds nus, parfois même sans culotte. Je n’ai pas exagéré, je n’ai pas eu à faire ça.

Pour revenir sur le rôle d’Hugo, comment t’es-tu préparé, as-tu rencontré monsieur Weismann?
M. Leverdez: Monsieur Weismann, je l’ai vu une fois à Paris et une fois à Budapest, pendant le tournage. Il marchait devant moi, mais je n’étais pas sûr que c’était lui. J’ai demandé à ma mère, et elle m’a dit d’aller le voir. J’y suis allé et je lui ai demandé si c’était bien lui. Il m’a dit oui et a commencé à pleurer parce qu’il savait que c’était moi qui allait jouer son rôle. Et je lui ai dit quelque chose qui l’a touché. Je lui dit que j’espérais ne pas le décevoir.

Comment vit-on un tel tournage à posteriori?
Mlle Laurent: Personnellement, ça m’a permis d’apprendre des choses sur moi, ce qui est assez rare. La plupart du temps, on pense qu’on apprend des choses dans la vie et que les tournages sont des espèces de parenthèses enchantées. Je suis tombée malade sur le tournage, j’ai eu un zona, quelque chose qui vient vraiment de l’esprit, et j’ai appris à gérer ça. J’ai décidé qu’il était hors de question que je sois malade pour ce film, et je me suis découverte une force mentale que je ne me connaissais pas. Concernant l’après tournage, je suis partie en Indonésie un mois et demie après la fin, ça m’a donné envie de voir d’autres choses. Et puis surtout, ce tournage m’a rendue heureuse. J’ai pris conscience de la chance énorme que j’avais d’être actrice. Parfois, quand on travaille beaucoup, on oublie cette chance là. Et puis ça a été une expérience unique. Par exemple, je n’avais jamais vu un producteur comme Ilan Goldman, qui était toujours présent sur le plateau, avec qui on pouvait vivre toutes les émotions du tournage, et les enfants aussi, qui ont donné beaucoup. quand on fait un film comme ça, sur la souffrance, on se rend compte de notre chance, je me suis rendue compte que j’étais en vie, que je faisais un métier que j’adore.

Quelle est la part de fiction dans la réalité de votre film?
Mme Bosch: C’est presque une mosaïque en fait. Est-ce que chaque évènement du film est arrivé? Oui. À cette personne là? Pas forcément. Par exemple, la concierge qui prévient les habitants ne se trouvait en réalité pas dans cet immeuble précis. Dans tous les témoignages, j’ai recueilli ce qui était emblématique et j’ai fait en sorte que tout ça se tienne. La difficulté c’est que j’ai deux heures de film, 74 personnages parlants, et une situation politique à expliquer, donc à certains moments, il faut utiliser des raccourcis spatiaux ou temporels, sans mentir pour autant. Certaines personnes s’étaient rencontrées après guerre, mais j’ai choisis de les faire se rencontrer au début du film, parce que c’est un film sur les relations entre les gens.

Mlle Laurent: Ça me fait penser qu’un jour, Rose m’a fait halluciner. Dans le bâtiment, à la fin du film, où toutes les photos sont accrochées, j’ai appris qu’il ne s’agissait que de vraies photos, de vrais noms, et de vraies références. Et dans la même journée, on a tourné la scène des deux jeunes gens, les Goldstein, qui se retrouvent après la guerre. Ces deux figurants étaient d’ailleurs excellents. Dans ce film, n’importe quelle histoire en arrière-plan est une histoire complète en elle-même.

Monsieur Weismann, pouvez-vous nous donner vos impressions sur le film?
M. Weismann: Je ne souhaite pas parler du film parce que je ne suis pas un spectateur. Lorsque je l’ai vu pour la première fois, à la première image, j’ai quitté mon fauteuil, j’ai traversé l’écran, et j’étais avec les personnages. Donc je ne peux pas vous parler du film. Étant témoin de cet évènement, je suis incapable de faire un commentaire. Je suis convaincu que c’est une très belle réalisation.

Est-ce que ça vous a enlevé un poids?
M. Weismann: Pas du tout. On ne peut pas oublier.

Mme Bosch: Il n’y a aucun remède. Rien ne pourra jamais rendre aux victimes ce qu’on leur a enlevé: leur enfance, leur famille. Je le vois maintenant, au moment de la sortie du film. Certains rescapés sont à la fois heureux qu’il existe, mais ils en attendaient parfois une espèce de guérison. Il n’y a pas de guérison possible.

M. Weismann: J’aimerais ajouter quelque chose sur… sur l’amour familial. L’amour familial, c’est une fleur extraordinairement belle et très fragile qui a besoin d’être arrosée tous les jours d’amour. Si une seule journée, elle n’a pas reçu son compte d’amour, elle se flétrit un petit peu, et si elle n’en reçoit pas pendant longtemps, elle s’étiole. Or il se trouve qu’un enfants comme moi, témoin d’une scène d’horreur comme la déportation, n’a plus personne à aimer et n’est aimé de personne. Et petit à petit, l’enfant se referme totalement sur lui-même, il se ferme à l’amour et si quelqu’un lui manifeste un peu de sympathie ou de tendresse, il n’en veut pas, il la rejète parce que c’est mort en lui.
L’amour est mort.
De fait, la vie est très difficile pour lui, parce que sans amour, sans confiance, on ne peut pas avancer. C’est très difficile de se reconstruire. Dans mon cas, ça a duré de 1942 à 1945… 4 ans. Imaginez un enfant qui n’est pas aimé et qui n’a pas aimé pendant 4 ans… il y a quelque chose de mort en lui. C’est la confiance envers les autres, ce qui le fait passer à côté de choses qui pourraient être très biens parce qu’il y a des gens qui viennent à cœur ouvert vers lui, mais il se méfie. C’est pas possible, il n’en veut pas. Et ça, c’est une des choses les plus difficiles dans la reconstruction.

Pourquoi avoir choisi de représenter Hitler? C’est une autre forme de difficulté.
Mme Bosch: Il était impossible pour moi de faire un film frontal en ne parlant pas des bourreaux. La rafle s’est passée pendant l’été, donc je me suis dit qu’il fallait raconter les vacances de tout le monde, y compris des bourreaux. C’est pourquoi on voit des enfants qui portent l’étoile et qui se voient interdire l’accès aux aires de jeux, parallèlement à Pétain et Laval qui vont au champs de course tout en discutant du sort des juifs, et Hitler, sur sa terrasse, tellement gentil avec les enfants des autres alors qu’il ordonne l’envoi massif d’enfants juifs dans les chambres à gaz. Pour moi, il était important de ne pas montrer Hitler d’une manière qui a été rebattue: de dos, de trois-quarts dos, dans l’obscurité, penché sur une carte d’état-major. Je voulais montrer à quel point c’était une sorte de petit bourgeois, entourés de gens qui faisaient des pique-niques, des goûters, gavant de chocolat d’autres petits enfants, élevant des biches, leur donnant à boire du lait, et ne mangeant pas de viande parce que vraiment, c’est trop cruel. J’ai travaillé à partir des images d’Eva Braun, de ses documentaires. On est 70 ans plus tard, et je pense qu’à force de filmer Hitler comme le diable, on va finir par le sacraliser et par oublier que nous pouvons tous être abusés par des gens assez médiocres, finalement.

Ilan Goldman: Le film ambitionne de rendre compte de manière assez fidèle des responsabilités des uns et des autres. Autant il était indispensable de préciser de ce point de vue les responsabilités de la police française, autant ce ne serait pas juste de ne pas rappeler qui était le donneur d’ordres.

Propos recueillis par Arkaron

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3 commentaire

  • par Clyne
    Posté lundi 8 mars 2010 9 h 16 min 0Likes

    Interview très intéressante, merci :)
    (en revanche si je puis me permettre il s’agit du camp de Beaune La Rolande et pas « Bonna Rolande »)

  • par barre
    Posté mardi 20 juillet 2010 17 h 42 min 0Likes

    Bonjour, je recherche une adresse pour écrire un courrier à Ilan Goldman mais sans succès es-ce que quelqu’un peut m’aider ?! merci d’avance

  • par cloneweb
    Posté mardi 20 juillet 2010 22 h 58 min 0Likes

    Tu peux m’envoyer le mail, je ferai suivre a Gaumont : cloneweb @ cloneweb . net

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