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Etrange Festival : Batch’81, Happening, Le Capitaine Volkonogov s’est échappé, We Might As Well Be Dead
Comme chaque année depuis 13 ans (!), nous sommes de retour à l’Etrange Festival qui se tient au Forum des Images à Paris jusqu’au 18 septembre. Une fois n’est pas coutume, nous avons choisi d’être positif et de n’évoquer que les films qu’on a aimé au sein d’une programmation aussi dense qu’éclectique.
Batch ’81 (1982) de Mike de Leon
Direction les Philippines pour débuter cette édition 2022 de l’Etrange Festival, avec un focus dédié à 4 longs-métrages récemment restaurés du cinéaste Mike de Leon, plus connu pour avoir produit et fait la photo sur Manille de Lino Brocka que pour ses réalisations propres.
Parmi elles, on pouvait trouver Batch ’81, initialement censé être un teen movie pour surfer sur le genre et s’assurer un succès commercial plutôt facile.
Sauf que Mike de Leon ne l’entendait pas de cette oreille, encore moins dans un pays sous régime fasciste, et son film suit donc un étudiant en zoologie qui va tenter de rentrer dans une des fraternités de l’université, la Alpha Kappa Omega.
Le bizutage mis en place pour y rentrer va alors s’étaler sur des mois et différer très fortement du modèle américain, puisqu’ici ce sera humiliation à tous les étages, prenant vite le chemin de la torture psychologique et de la mise sous pression pour faire des candidats de parfaits petits soldats, voués à vriller dans des activités sombres, y compris quand les fraternités adverses sont de mise.
Brulot politique avant tout, Batch ’81 explore les mécanismes de l’endoctrinement dans une société où l’appartenance au groupe prime, et de ses travers les plus retors et pervers sur le long-terme, comme l’idée simple mais terriblement efficace pour les personnages que le plus dur et derrière eux et qu’ils ne doivent pas abandonner si près du but, même s’ils en ont à vrai dire aucune idée.
Sans grande surprise, la facture technique de l’ensemble est parfois un peu roots, dans une sorte de cinéma guerilla tourné avec les moyens du bord, mais cela colle avec le sujet et son esprit délétère, tout comme cela ne lui retire aucune ambition formelle, en témoigne une reprise sur scène du morceau Willkommen de la comédie musicale Cabaret.
Suffisamment bien écrit pour être crédible quand à sa terrible descente aux enfers et à sa graduation dans le mal, Batch ’81 mérite d’être redécouvert, tant il met en lumière des agissements toujours d’actualité.
Happening (1968) de Marc Boureau
Avant même de dévoiler leur contenu, certains films sont passionnants dès l’histoire qui les entoure, et ça tombe bien car l’Etrange Festival a toujours le chic pour les déterrer.
Prenez Happening par exemple : ce premier et unique long-métrage de Marc Boureau, à l’époque épaulé par Claude Chabrol pour en assurer la production, avec Claude Zidi à la photo, est invisible depuis sa sortie.
Et pour cause : la femme du Général de Gaulle en a saisi toutes les copies à l’époque pour mettre le film au placard ! Miracle des miracles : non seulement l’Etrange Festival a réussi à mettre la main sur une bobine, mais l’a en plus restauré du mieux possible, pour ainsi offrir la première projection du film depuis plus de 40 ans !
Et là, vous vous demandez ce qui a bien pu emmerdé cette chère Yvonne de Gaulle pour appliquer un tel courroux sur une simple œuvre cinématographique…
Pour sa défense, on peut comprendre une légère irritation à la vue d’Happening, qui dépeint une soirée mondaine dans un appartement bourgeois, où une pléthore de riches complètement hors-sol vont péter un câble dans les règles de l’art.
Alors oui, l’un des invités s’empare d’un masque africain sur un mur et le porte toute la soirée en imitant un singe avec un accent douteux.
Oui, un autre fait de même avec un chapeau chinois et l’accent qui va avec.
Oui, les femmes sont toutes traitées comme des objets, ce qui va se retourner contre certaines d’en elles.
Oui, un jeu de rôle insidieux va se mettre en place, et l’appartement être saccagé pour finir en camp de concentration, les participants juifs de la soirée étant bien sûr pris pour cible les premiers…
Oui, oui… Ou plutôt non ?!!!
Comédie ultra cinglante qui montre sans détour à quel point la haute n’a que faire des considérations du peuple, puisque l’argent achète tout, sans pour autant protéger de la folie et encore moins de l’immoralité la plus totale, Happening avait les mérites de mettre les pieds dans le plat, et de là encore doser sa pente descendante avec parcimonie et un sens du détail diabolique.
Le pire dans tout ça, c’est que le propos n’a pas pris un millième de ride, en témoigne la complaisance de certains millionnaires envers l’extrême droite (qui a dit Vincent Bolloré ?), même si le mot complaisance reste très faible, ce que venait appuyer le film au marteau piqueur, tel un électrochoc direct, qui assiste impuissant à un tel chaos. Le résultat faisait froid dans le dos par sa pertinence et on lui souhaite de retrouver la voie du public le plus vite possible, tant ce genre de rappel ne fait jamais de mal. Et tant pis si ça déplaît à Yvonne.
Le Capitaine Volkonogov s’est échappé, de Natalia Merkulova & Alekseï Chupov – Sortie le 29 mars 2023
Si vous en avez déjà marre des films qui traitent de fascisme sous une forme dérobée ou une autre, vous tombez bien, puisque l’on part en URSS en 1938, dans les services de sécurité de ce bon vieux Staline ! Et rien de mieux qu’un capitaine au milieu de ce bazar pour se changer les idées, un homme spécialisé dans la torture pour faire avouer exactement ce qu’il veut à ses victimes, même si ce sont des mensonges.
Sauf qu’au moment où cette entreprise bien sombre commence à subir des purges administratives et un nettoyage de printemps un peu sec, notre héros décide de mettre les voiles pour ne pas finir comme son collègue qui vient de se défenestrer.
Ambiance. Une chasse à l’homme au cœur de Moscou vous attend donc dans cette production ambitieuse, pourvu d’une reconstitution soignée et d’un grand travail de documentation en amont, ce qui offre une plongée dans l’histoire d’autant plus passionnante que le récit suit d’abord notre homme en fuite, avec de le voir aller à la rencontre des proches de ses victimes pour chercher le pardon. Une quête d’absolution qui amène bon nombre de flash-backs pour resituer les atrocités commises, et offrir une série de portraits qui reflètent l’époque et les multiples profils de citoyens face au marasme ambiant, entre ceux dont la vie a été détruite par le parti (comme une veuve se retrouvant à travailler dans une morgue dans laquelle elle vit…), et d’autres plus patriotes qui refusent la vérité. Il faut bien avouer que la démarche est didactique, et presque démagogue par moment, mais elle montre parfaitement la densité d’un tel sujet et la diversité des réactions d’une population face à l’oppression, pour mieux creuser un personnage principal touchant, dont les désirs de rédemption et de libération philosophique gonflent au fur et à mesure que l’issue inéluctable se profile. Un compte à rebours poignant donc, qui montre là encore que de tels systèmes sont alimentés par bien des gens, à des périodes bien complexes, avec une mise en scène immersive, qui colle aux sensations du personnage pour retranscrire le tout sensoriellement.
Alors forcément, le résultat n’a rien de fun, mais il s’avère puissant et mérite toute votre attention.
We Might As Well Be Dead (2022) de Natalia Sinelnikova
Allez, on termine notre tour des joyeusetés civilisationnelles avec un thème bien plus léger : le communautarisme !
Dans une tour bien gardée au milieu d’un monde dont on se sait rien, la gardienne des lieux veille à la bonne tenue de la vie globale et des rares nouvelles entrées, à savoir des gens qui semblent désespérés et prêts à tout pour s’installer dans un tel endroit. Des habitants triés sur le volet pour suivre les règles, des infrastructures strictes et un cadre de vie qui ne laisse pas de place aux excès : une machine parfaitement huilée, mais qui va se mettre à dérailler petit à petit lorsqu’un des membres de la communauté va prétendre avoir retrouvé son chien disparu en ramenant un animal qui n’a rien à voir… Un petit grain de sable de rien du tout, qui va gripper toute cette mécanique au fur et à mesure, et installer par son irrationnalité la plus totale la peur, petit à petit, inlassablement.
Pour son premier long-métrage, Natalia Sinelnikova joue avec un budget visiblement limité, mais s’en sort pour autant bien, d’autant que si le film n’a rien de marquant visuellement, ses engrenages narratifs solides décortiquent les tenants et les aboutissants de la civilisation, et plus encore la fragilité du pacte social et de la vie en communauté.
De rares piques d’humour viennent relever le tout, mais We Might As Well Be Dead s’avère être une démonstration convaincante sur à quel point rien n’est figé dans le temps et tout peut basculer d’une seconde à une autre, nous sommant de rester ultra vigilants et intraitables pour préserver nos libertés et nos acquis. Alors c’est sûr, tout ça n’a rien de rassurant, le film parlant notamment de l’impact des émotions, et du sabotage qu’elles engendrent, dans des décisions parfois capitales.
Un début prometteur pour une cinéaste alerte sur son époque, pour ne pas dire lucide.