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Critique : Ready Player One

On en parlait en vidéo : le nouveau film de Steven Spielberg d’après le roman Ready Player One d’Ernest Cline avec Tye Sheridan, Olivia Cooke et Ben Mendelsohn sort dans les salles le 28 mars prochain.

Le long métrage mêle prises de vues réelles et performance capture pour vous inviter à plonger dans un univers virtuel, casque sur la tête. Bienvenue dans l’Oasis…

 

LA CRITIQUE

Considéré à juste titre comme l’un des créateurs du blockbuster moderne, Steven Spielberg prédisait il y a quelques années avec son confrère George Lucas la mort du cinéma hollywoodien, les grosses licences étant amenées à prendre le pas sur tout le reste et à maintenir seules une expérience en salle qui allait devenir de plus en plus coûteuse. Et à l’heure où les univers cinématographiques et les suites à répétition rythment le calendrier des sorties, tout semble lui donner raison, la nostalgie prenant le pas sur tout concept original dans une industrie qui peine à se renouveler.
En adaptant le roman Ready Player One, qui montre une société perdue dans un univers virtuel débordant d’anciennes références à la pop culture, il y avait tout à parier que Spielberg allait livrer son commentaire ultime sur la question… Mais ne risque-t-il pas au passage d’être pris au piège à son propre jeu ?

Dans une impressionnante scène d’introduction, on suit le héros joué par Tye Sheridan traversant un bidonville futuriste où les mobil-homes entassés montrent à chacune de leurs fenêtres des hommes et des femmes équipés d’un casque de réalité virtuelle et s’adonnant à des activités délirantes dans leur salon, semblant aussi bien participer à un spectacle de lap dance qu’à une chasse en forêt. Dès ces premiers plans, où chaque fenêtre offre un cadre dans le cadre qui exclue d’emblée les joueurs de ce qui se passe en vrai, comme s’ils étaient dans des cages, Spielberg montre combien le virtuel influe sur la réalité et l’envahit directement. La réflexion va même plus loin puisque quelques secondes plus tard dans la même scène, on voit d’autres joueurs s’adonner à leur hobbie en plein air, pouvant interagir avec leurs proches tout en étant dans un autre monde. S’il y a de quoi être abasourdi tant l’une des thématiques centrales du film est posée de façon limpide en même pas 30 secondes, l’arrivée quasi instantanée dans l’Oasis, le monde virtuel en question, va continuer de décrocher la mâchoire en montrant l’infinité de possibilités offertes, la caméra volant d’un décor colossal à un autre avec une aisance qui laisse pantois.
Spielberg ne cache ainsi pas longtemps son jeu : la force de l’univers de Ready Player One, et la raison pour laquelle les gens s’y perdent, c’est que tout y est possible. Et si c’est valable pour les personnages du film, ça l’est aussi pour les spectateurs.

Vous avez intérêt à accrocher vos ceintures car dès sa première scène d’action qui arrive très vite, Spielberg rappelle à la planète cinéma toute entière qu’il reste un maître, voir un génie absolu du médium cinématographique. Embarquant ces personnages dans une course aux proportions jamais vues sur grand écran, le metteur en scène de 71 ans exploite comme peu de gens les possibilités offertes par le cinéma virtuel et enchaîne les plans impossibles et virevoltants dans une lutte déchainée avec des centaines de véhicules s’éclatant dans une ville où les obstacles s’enchaînent à tout va, loopings et trajectoires tout droit sorties d’un circuit pour enfants cachant boulets de destructions, pièges en tout genre et créatures bien connues venant foutre un bordel sans nom dans une scène grisante comme rarement. Véritable moment de bravoure qui s’inscrit d’emblée parmi les séquences les plus complexes mises en boite par le réalisateur, ce premier uppercut dégueulant de détails et restant d’une lisibilité cristalline s’impose d’ores et déjà comme l’une des scènes les plus délirantes jamais vues sur grand écran. Balayant sans effort toute la concurrence actuelle, elle porte en elle des enjeux simples et forts, le spectateur sachant toujours où sont les personnages et quel est leur objectif, permettant d’aller au-delà de son déferlement graphique hors normes.
Car oui, contrairement à ce que pourrait penser certains détracteurs qui ne voient dans la promo du film qu’une suite de références et de citations, Ready Player One fonctionne d’abord pour son histoire.

En suivant un héros qui cherche comme tous les autres joueurs à réussir une chasse au trésor pour gagner le contrôle de l’Oasis, Spielberg déploie autour une galerie de seconds rôles attachants et renoue avec l’esprit Amblin. La bande de gosses du film est ultra attachante parce que bien écrite, chacun des joueurs ayant une identité propre et une raison d’être là, le casting cosmopolite répondant au passage sans même forcer aux problématiques de représentation ethnique si chères aux américains en ce moment. La raison d’être de l’Oasis, c’est d’abord un monde réel laissé à l’abandon, où la course au consumérisme et le réchauffement climatique ont annihilés les rêves des nouvelles générations, qui sont vouées à payer pour les erreurs de leurs ancêtres. Pourquoi subir la dure réalité quand un univers offrant toutes les chances de faire ce que l’on veut, d’être qui on souhaite et de redémarrer sans fin vous tend les bras ? Ce même univers est pourtant fragile comme le prouve l’antagoniste du film, un business man tentant lui aussi de gagner le contrôle de l’Oasis pour envahir celui-ci avec les produits de sa société et d’en réguler l’usage là encore de façon ultra mercantile. A l’heure où la neutralité du net vient de prendre un sacré coup aux Etats-Unis, l’enjeu même du film renvoi à la préservation de cet espace de liberté, et fait écho aux nombreuses sociétés qui tentent de mettre sous tutelle la vie privée en ligne de chacun.

Difficile aussi de ne pas y voir une corrélation avec les œillères posées par les grandes sociétés sur la culture pop. Incapable de comprendre la richesse des mondes imaginaires offerts par des créateurs passionnés, l’homme d’affaires veut juste en tirer tout l’argent possible. Certains diraient justement que Ready Player One surfe de façon ultra opportuniste sur ce même courant, et il n’en est rien pour plusieurs raisons. En premier lieu, les références présentes dans le film ne nécessitent jamais d’être connues du spectateur pour apprécier le spectacle. Il y a certes deux trois passages qui seront appréciés à leur juste valeur en connaissance de cause, mais l’histoire se suffit à elle-même et vous pouvez très bien rentrer dans la salle sans jamais avoir touché à une manette. Surtout, Spielberg profite de cette effervescence de références pour célébrer la richesse de l’imaginaire geek, la rencontre de tout ce beau monde offrant un terrain de jeu sans fin, où les luttes les plus homériques sont possibles. Le spectacle qui en ressort est ébouriffant bien évidemment, mais fait chaud au cœur tant on est face à un homme qui comprend et respecte profondément la culture jeu vidéo, offrant sans doute le film ultime sur ce médium.

Si Ready Player One n’est pas un film interactif, il comporte en son sein et sa narration même des mécaniques de jeux vidéo. Seulement celles-ci sont amenées de façon tellement ludique et sensée qu’elles en ressortent comme profondément cinématographiques. Il y a çà et là des éléments de gameplay bien connus des joueurs qui transparaissent à l’écran et qui sont tellement bien exposés au fur et à mesure de l’action que les néophytes les comprendront sans la moindre explication, ridiculisant la totalité des adaptations de jeux vidéo. De la même manière que les Indestructibles puisait dans un pan entier de l’histoire des comics sans être tiré directement d’une œuvre pour s’imposer comme l’une des adaptations les plus belles et déférentes du genre super héroïque sur papier, Ready Player One a digéré des décennies de jeux vidéo pour mieux les inclure à sa mise en scène, relayant le travail des Wachowski depuis la trilogie Matrix ou Speed Racer.
Ce dialogue permanent entre cinéma et jeux vidéo va même plus loin tant les deux univers ne cessent d’étendre leur influence l’un sur l’autre, poussant encore plus loin les frontières entre cinéma live et virtuel et étendant les possibilités déjà vues dans Avatar par exemple.
D’ailleurs, nous n’avons pas eu la chance de voir le film à 3D mais la profondeur de champ permanente et la richesse des images doivent prendre encore plus d’ampleur dans ce format, Spielberg ayant déjà prouver sa maitrise et la pertinence du relief dans Tintin. D’un pur point de vue esthétique, il faut noter que le film ne cherche pas le photo-réalisme, et vise à embrasser l’esthétique un peu cartoon des jeux vidéo, à mi-chemin entre un dessin animé et le réel. Le résultat, qui peut dérouter au premier abord, s’avère en accord parfait avec son sujet et prouve qu’il est possible de ressembler à un jeu vidéo au cinéma sans que cela soit péjoratif…

Dans ce bac à sable, le premier à s’amuser comme un gosse est à vrai dire Spielberg lui-même. Bien que Ready Player One parle de culture geek et de jeux vidéo, il est aussi pétri d’amour pour le 7ème art et offre l’opportunité au cinéaste de se confronter directement à l’une de ses plus grosses influences au détour d’une scène surréaliste et impensable, où il va jusqu’au bout de sa logique et livre un hommage aussi poignant que jubilatoire. Et encore une fois, ça n’est pas gratuit, car le scénario dépeint le portrait du réalisateur à travers le héros du film, et le personnage joué par Mark Rylance. On parle notamment de rêveurs fous qui estiment plus que tout le rapport intime entre une œuvre et ses spectateurs, et comment chacun projette une part intime de lui-même dans les histoires qu’on lui conte. La notion d’easter egg, ou de clin d’œil référencé, prend une dimension étonnement poétique au centre même du récit et va être un rouage de scénario à part entière, signe de la bienveillance totale du projet, et énorme pied de nez à tous ceux qui accusaient l’entreprise d’être simplement un gros doudou boursouflé. Les nombreuses références sont d’ailleurs sensées, puisqu’elles sont autant d’avatars de joueurs pétris de culture geek. Quiconque a déjà joué à un jeu en ligne sait que les pseudos de chacun font souvent référence à un élément issu d’un récit/univers préexistant, quand les joueurs ne tentent pas de recréer le plus fidèlement possible leurs icônes préférées via les possibilités de personnalisation de plus en plus poussées offertes par les jeux. En cela, que le héros de Ready Player One croise constamment d’autres gens sous influence est juste logique, surtout que le jeu vidéo se distingue au premier abord par la capacité qu’il offre aux gens de s’immerger dans leurs univers préférés.

Un propos qui dépasse le cadre du jeu vidéo et s’étend à l’imaginaire en général. Sur la question des références comme seul but, un dialogue dans la première course y met fin immédiatement, lorsqu’un des personnages s’étonne de voir la moto d’Akira, et que le héros lui répond de ne pas se concentrer sur la moto, mais sur la personne qui la conduit. « Forget the Bike ! I’m talking about the girl ! »
Ce n’est pas la seule fois du long-métrage où les personnages intiment de dépasser les références, tout le récit invitant à aller au-delà de la connaissance basique d’une icône pour comprendre pourquoi on l’aime, ce qu’elle invoque chez nous et notre droit de la remettre en perspective.
Ainsi, et en changeant le comportement de certains personnages bien connus, précisément parce qu’ils sont pilotés par d’autres gens et qu’ils ne sont que des avatars, Spielberg donne à voir l’état actuel de la pop culture, où la citation tout azimut nous éloigne du ressenti premier et des raisons pour lesquelles on a pu se passionner pour tel ou tel imaginaire. Il invite à mieux comprendre notre rapport aux œuvres, et pour aller au bout de sa logique, à les désacraliser pour mieux les digérer. L’hommage délirant à un autre cinéaste qu’il rend lors de la seconde épreuve va totalement dans ce sens, et montre qu’il faut parfois oser déconstruire les œuvres qui nous passionne pour en saisir la quintessence.
Spielberg embrasse cette logique jusqu’au bout, et ne manque pas aussi de parler du décalage chez chacun entre l’image fantasmée du virtuel et la réalité, les avatars ne ressemblant souvent pas à leurs propriétaires respectifs… Cernant les limites du virtuel tout comme celle du réel, Spielberg évite constamment les clichés et les morales faciles sur le médium vidéoludique, se faisant le relais de The Social Network sur l’évolution des rapports humains via internet, en montrant combien l’escalade technologique n’a de cesse de les flouter tout en les rendant plus facile aussi. Mais surtout, il célèbre la densité grandissante et la beauté des jeux vidéo, les reconnaissant comme une vrai art à part entière, méritant tout autant sa place que le cinéma dans l’histoire de l’humanité. Venant d’un tel monstre du 7ème art, qui a bercé des générations entières avec ses histoires, ce passage de flambeau est une reconnaissance supplémentaire grandement jouissive.

Animé par une générosité proprement gargantuesque, Steven Spielberg réalise avec Ready Player One le pont parfait entre cinéma et jeux vidéo, celui qu’attendaient les gamers du monde entier depuis des décennies. Rêve de cinéma à part entière et avalanche incessantes d’idées toutes plus galvanisantes, funs et malines les unes que les autres, ce monstre de 7ème art ne met aucun spectateur de côté et s’offre non seulement comme un grand roller coaster qui fera date en laissant le public les yeux écarquillés et la mâchoire à terre, mais surtout comme un merveilleux cadeau fait aux amoureux de l’imaginaire. Vous aviez oublié ce que ça fait de rêver au cinéma ?

Ready Player One, de Steven Spielberg – Sortie le 28 mars 2018

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