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Critique : RRR

Quand on a découvert le travail de S.S. Rajamouli avec le délirant Eega en 2012, on était certes immédiatement conquis par la fraîcheur de la proposition, mais loin d’imaginer l’ampleur que prendrait le cinéaste avec ses deux films suivants, à savoir le diptyque Baahubali, dont chaque partie appartient aux quatre plus gros succès de l’histoire du cinéma indien. Rien que ça.
Alors que le second opus était à l’époque le film le plus cher jamais pondu à Tollywood, l’industrie locale en langue télougou, voilà que Rajamouli surenchérit avec un projet encore plus colossal, puisque RRR (pour Roudram Ranam Rudhiram, ou Rise Roar Revolt en anglais) débarque avec un budget de 550 crore, soit environ 70 millions de dollars. Ça peut vous paraître peu comme ça, mais c’est plus que les deux chapitres de Baahubali réunis, et ça en fait donc le nouveau film le plus cher de l’histoire du cinéma indien ! Et avec un lancement vendredi dernier à 240 crore dans le monde entier, cette méga production a déjà le record du meilleur premier jour pour un film indien.
Bref, même si RRR ne vous dit rien au premier abord, c’est un véritable phénomène mondial, qui vient de prendre la 3ème place du box-office américain le week-end dernier et s’est offert quelques séances ça et là en France. L’occasion de juger sur pièce si tout ce bazar valait une telle démesure…

L’action se situe en 1920 en Inde, alors que le pays est en proie au colonialisme britannique.
Lors d’un déplacement dans la cambrousse dans sa voiture flambant neuve qui jure totalement avec le décor, un général anglais et sa femme véreuse vont kidnapper une petite fille sous les yeux de ses parents, un jeter de pièces à leur encontre faisant office selon eux d’un achat en bonne et due forme !
Voilà pour le prétexte de base de l’histoire, qui va surtout être la rencontre entre deux hommes de part et d’autre de l’occupation : d’un côté un indien qui a vendu ses talents pour être un policier au service de sa majesté, et de l’autre un homme du peuple qui entend bien préserver son mode de vie et sortir la petite fille dont on parlait plus tôt des griffes de l’envahisseur.
Sauf que ce dernier ne va pas crier sur tous les toits son statut de résistant, et notre duo va se lier d’une amitié quasi-céleste, avant que le destin ne s’y oppose.

Si vous connaissez un minimum le travail de S.S. Rajamouli, ou le tempérament de ce genre de production, vous vous doutez bien que tout ça est traité avec une subtilité de tous les instants, un tempérament feutré avec des personnages à fleur de peau, d’une sensibilité inouïe, où la caméra embrasse en toute modestie les non-dits, et la pudeur de chacun de leurs moments passé ensemble…
Évidemment je déconne : on est ici dans de l’ultra-cinéma, où tout est grand, immense, que dis-je, monumental. Et le mot est faible.

Rien que dans l’introduction de chaque personnage, Rajamouli revient au galop pour notre plus grand plaisir et renoue avec son sens stratosphérique de l’emphase turbo-boostée à la testostérone, aux plans ultra iconiques et à une mise en scène qui fait de ses héros des dieux vivants, dont chaque soupir, chaque réplique et chaque action est plus grande que nature.
Par exemple : le personnage de Raju, le flic de service, est présenté via une scène d’émeute où un pauvre commissariat minuscule est entouré par une foule à perte de vue, peuplée de milliers de manifestants. Alors que les grilles sont sur le point de lâcher, le général anglais se prend un projectile lancé par un homme dans la foule, et ordonne à ce qu’on lui ramène le coupable, chose apriori impossible pour la vingtaine de policiers face à cette populace déchainée. Mais c’est à ce moment là que le fameux Raju entre en scène, au ralenti avec des flammes qui embrasent l’écran pour dévoiler son visage, avant qu’il ne largue sa casquette, dégaine sa matraque et saute au beau milieu de la foule afin de ramener un seul type. Dès lors, la séquence devient homérique, avec cet homme seul qui se fraye un chemin en déglinguant quiconque se met en travers, tel une relecture contemporaine des jeux Dynasty Warriors, où votre héros pulvérise des centaines de soldats à la fois.

Démesurée jusqu’à l’absurde (on parle d’un pauvre flic au milieu de milliers de figurants !), la scène qui donnerait des rêves humides à Gérald Darmanin fascine par sa lisibilité intacte quand le cinéaste livre de grands plans d’ensemble où l’on arrive à voir dans cette marée humaine notre héros déterminé, qui va envoyer des centaines d’hommes à l’hosto et provoquer la destruction d’une tour de guet pour livrer sa cible, avec une détermination sans faille malgré l’avalanche de coups qu’il va essuyer.
Ce type, notre fameux Raju, littéralement caractérisé comme le feu, va donc rencontrer Bheem, qui lui serait l’eau. Et sa scène de présentation n’a rien à lui envier, puisqu’elle démarre par un travelling qui fonce sur un lac inversé, dont le reflet provoque une symétrie parfaite qui se joue de notre perception alors que la caméra pivote à 180° pour se mettre dans le bon sens et arriver sur la silhouette torse nue et ultra baraquée de notre chasseur en train de se préparer en pleine jungle.
Le bonhomme s’applique une peinture de guerre sur le visage et commence à courir comme un dératé dans la forêt, pour que l’on découvre enfin son but : capturer un loup.
Manque de pot, la nature reprend ses droits, et un tigre vient bousculer l’opération.
Que nenni pour notre homme, qui va s’adapter à ces conditions de l’extrême et faire face à l’animal.
Et quand on dit faire face, c’est littéralement dans un plan qui confronte le cri de l’animal à 10 centimètres du visage de notre guerrier, qui va répliquer par un cri surpuissant.
Bref, on a à peine fait connaissance avec les personnages qu’on en a déjà pris plein la tronche, abasourdis par un tel appétit pour transformer de simples humains en symboles surpuissants, au courage sans limite et que rien n’arrête.
Et c’était que l’introduction…

On ne va pas raconter tout le film, mais RRR en a sacrément à revendre, que ce soit pour ladite rencontre entre les deux personnages avec un sauvetage sur un pont proprement démentiel, plusieurs scènes d’affrontements surpuissantes, ou une entrée en scène complètement ahurissante dans une soirée mondaine, où un personnage débarque en sautant dans la foule avec une horde d’animaux sauvages au ralenti, pour un plan hyper impressionnant.
Et puisqu’on parle d’excitation, c’est bel et bien le moteur qui régit toute la réalisation de S.S. Rajamouli, et qui rend ses films si efficaces, RRR y compris.
Tout est calculé, de l’intention scénaristique à la scénographie, en passant par les décors, les costumes et évidemment les plans et le montage, pour faire monter la sauce à chaque fois qu’une action va avoir lieu. Tout, absolument tout, est pensé à l’écran pour provoquer des crescendos dramatiques et d’excitations qui se traduiront par des moments de bravoure insensés à l’écran, des fulgurances héroïques hors normes qu’on ne peut voir qu’au cinéma, comme autant de montées d’adrénalines qui remplissent leurs promesses et laissent place à des résolutions encore plus satisfaisantes que prévu, même quand la situation a déjà explosé les limites du grotesque. Les connaisseurs du réalisateur en savent quelque chose, Baahubali étant déjà passé par là, et gardant à vrai dire son titre dans le genre par son aspect plus fantastique et fantaisiste, là où RRR préserve un encrage réaliste qui restreint un chouia les accomplissements des personnages à l’écran.

Mais vraiment un chouia, tant les héros de RRR feraient passer n’importe quel super-héros récent pour des petits bras, tant leurs faits et gestes sont toujours dirigés par cette envie d’ampleur herculéenne, et une satisfaction cinématographique de chacun instant, avec un metteur en scène qui comprend parfaitement l’importance du cadre pour asseoir le statut d’un personnage, du mouvement pour galvaniser l’audience autant que symboliser la détermination de son héros, et du montage pour cultiver ces fulgurances électrisantes, qui nous régalent à chaque instant.
Et le méga budget qui alimente tout ça se voit à chaque instant, avec un nouveau bond dans la qualité des effets spéciaux, et surtout une plus-value démentielle dans les décors, paysages et costumes présentés à l’écran. Avec son format scope merveilleusement utilisé, voilà un long-métrage où tout est absolument superbe à l’écran, ni plus ni moins.

En cela, RRR est le digne successeur des précédents films de S.S. Rajamouli, et offre son lot de passages inoubliables, y compris une grande fusillade surréaliste où notre duo ne fait astucieusement plus qu’un avec une idée chorégraphique qui assoit merveilleusement la force de leur union, et le caractère indispensable de l’un à l’autre.
Débordant de « set pieces » ingénieux et ultra-généreux, RRR les met au service d’un scénario beaucoup moins malicieux comme on pouvait s’y attendre, tel un revers de la médaille attendu et presque nécessaire. Car pour créer ses merveilles d’inventivité, Rajamouli a besoin d’une dramaturgie évidemment hors-normes, mais loin d’être toujours subtile.

Baahubali souffrait déjà un peu de sa narration alambiquée avec sans doute l’un des flashbacks les plus longs de l’histoire du cinéma, mais RRR a tout autant la main lourde, et ça se ressent d’autant plus que le fond de son intrigue est en soit simple et même un peu bêbête, avec deux amis qui gagneraient un temps fou (et une heure de film facile pour nous) s’il se parlaient un peu plus !
Alors il y a beaucoup de choses pour meubler, que ce soit l’idylle romantique de l’un avec une femme anglaise, donnant lieu à des scènes de drague qui ne passent toujours pas le filtre #MeToo tant on est face à du stalking en règle, mais nous ne sommes toujours pas face aux mêmes mœurs que chez nous, et il faut mettre ça sur les différences culturelles avec un pays qui a visiblement un sacré train de retard sur la question. Mieux vaut en rire, vu qu’on n’a déjà pas tellement d’autre choix, et que l’ensemble touche fréquemment au ridicule, en jouant d’ailleurs plutôt bien sur la barrière linguistique pour faire passer la pilule.

Le film va en revanche passer un temps fou à construire son 3ème acte, en expliquant à outrance ce qu’on avait compris rapidement, et en donnant à nouveau dans des flashbacks sur-explicatifs et dramatisés qui marchent nettement moins bien que dans Baahubali vu l’univers beaucoup plus terre-à-terre dans lequel nous sommes, et une histoire se déroulant sur bien moins de temps dans sa diégèse. Mais cela permet aussi quelques écarts indispensables à ce type de cinéma, dont une grande scène musicale qui comme toujours sort un peu de nulle part, mais offre un interlude réjouissant, avec des chorégraphies endiablées et une chanson pour le moins entraînante.

Et tant pis si au fond RRR a des attraits de film de propagande, avec sa vision sans la moindre nuance du camp britannique, où tout le monde excepté une seule femme veut la souffrance de l’Inde, avec en tête de gondole le grand méchant joué par Ray Stevenson, dirigé comme une caricature sur pattes. Cette tonalité littérale fait partie du charme d’un film qui ne recule devant rien, et fait du manichéisme absolu un vrai moteur pour renforcer l’attachement à ses héros, et l’accomplissement de leur quête. D’ailleurs, difficile de parler de tout ça sans mentionner les conditions de visionnage surréalistes quand lesquelles on a découvert RRR, lors d’une avant-première la veille de la sortie dans une salle sur les Champs-Elysées, qui affichait complet avec un public constitué à 99% de personnes d’origine indiennes. Dans la pure tradition des séances en Inde, c’était proche de l’ambiance d’un stade de foot, avec un public qui hurlait à chaque action, qui acclamait l’arrivée des acteurs comme s’ils étaient dans la salle, et avec des gens qui se sont même mis à danser dans les rangées durant le numéro musical. Bref, un immense mais joyeux bordel, où l’émulsion de la mise en scène et du récit ne faisait qu’augmenter la frénésie ambiante, où le public en ébullition était incapable de redescendre dans le film n’avait de cesse de mettre de l’huile sur le feu. C’était proprement dingue, à faire pâlir de honte l’euphorie récente vue autour des séances de Spider-Man No Way Home.

Il faut dire que d’un pur point de vue cinématographique, l’Inde écrase complètement ce qui se fait en ce moment aux USA sur le terrain du roller coaster filmique, et tant pis si c’est souvent con. Car bordel, vous n’avez pas idée à quel point c’était bon.

Toujours animé par un amour glouton du cinéma, où tout prend des proportions titanesques pourvu que le spectateur en prenne plein la poire et s’éclate, S.S. Rajamouli livre avec RRR une nouvelle démonstration éblouissante de son talent hors-normes pour du divertissement XXL, où chaque plan en met plein la vue, et chaque séquence déborde d’énergie et d’idées aussi farfelues qui jouissives.
Qu’importe si le fond s’avère quelque peu suranné ou couillon, tant pis si les trois heures du film n’échappent pas à un peu de remplissage automatique : RRR est une superproduction qui donne tout ce qu’elle a dès qu’elle en a l’occasion, et en colle plein les mirettes dans un très très grand spectacle tout bonnement surexcitant, qui s’avère être une nouvelle leçon au monde entier quand il est question d’offrir au centuple au public.

Alors retenez-bien ce nom et jetez-vous sur une séance si vous en avez la chance, car voilà une œuvre affolante où tout est conçu pour offrir le plus de plaisir.

Une fois n’est pas coutume, on en redemande dès que possible.

RRR, réalisé par S.S. Rajamouli – Sortie en salles le 25 mars 2022

La liste des salles diffusant le film est disponible sur le site du distributeur. Préférez la version originale en telougou, les versions tamoul et hindi étant des doublages.

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