Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Critique : Mourir Peut Attendre

15 ans après avoir secoué le cocotier de la franchise James Bond en y injectant une certaine brutalité et une dramaturgie plus poussée, Daniel Craig s’apprête à faire ses adieux à l’espion britannique.
Un départ qui aura été pour le moins houleux, suite à un Spectre globalement conspué qui avait mis l’acteur dans un état d’esprit plus ou moins lugubre, lui qui déclarait que si jamais il revenait, ce serait uniquement pour l’argent !
Le temps a fait son ouvrage, et le voilà tout sourire en promotion et la larme à l’œil pour dire que ça y est, cette fois, c’est la bonne, il a pu faire ses adieux comme il l’entendait et fièrement avec No Time to Die, qui a pris la pandémie en pleine poire et a fait miroiter le public pendant une année de retard. Mais non, ce n’est pas un mirage, le film existe, et on l’a vu !

Les enjeux autour de ce nouveau Bond sont colossaux, vu que la franchise n’a jamais ramassé autant d’argent au box-office et que globalement les gens considèrent Casino Royale et Skyfall comme étant parmi les meilleurs de la franchise, qui compte désormais 25 films !
Un épisode presque anniversaire donc, qui se doit de clôturer l’arc narratif posé il y a 4 films tout en prenant en compte ses dernières évolutions et en amenant évidemment un peu de nouveauté. Ça vous parait un peu ambitieux, voir même lourd à porter ?
Et bien devinez quoi, ça l’est, comme le prouve la présence au générique de 3 scénaristes pour l’histoire globale (dont le réalisateur Cary Joji Fukunaga), aidés par la pétillante Phoebe Waller-Bridge (Fleabag, c’est elle !) au scénario et aux dialogues.
Et cette armada de plumes se reflète très vite dans un film qui semble avancer quelque peu à l’aveugle et improviser sur le tas tant son intrigue maousse costaud met un temps dingue à s’installer et à devenir ne serait-ce que limpide !
Car en assumant une fois encore la continuité, No Time to Die doit se tirer le boulet posé par Spectre, et ceux qui n’étaient pas clients du deuxième Bond de Sam Mendes risquent vite de déchanter à la vue de son importance dans celui-ci.

En gros : malgré la capture de Blofeld (Christoph Waltz, toujours présent), l’organisation Spectre existe toujours et menace de faire apparition à tout moment, alors que Bond est parti à la retraite avec Madeleine Swann, jouée par une Léa Seydoux qui a la même alchimie avec Craig que dans le précédent, c’est-à-dire aucune. Ce qui ne l’empêche pas d’être l’un des personnages les plus importants de ce nouveau film, tant sa relation avec l’agent secret ne va avoir de cesse d’aller et venir dans un récit qui semble perpétuellement vouloir se débarrasser du précédent opus sans jamais couper les liens pour autant. Et de nous refaire quelque peu la partition de Skyfall au passage, avec un héros qui a raccroché les gants mais qui est sur le poids de remettre le pied à l’étrier pendant une partie du film, ce que l’on sait pertinemment sans quoi nous ne serions pas là !
En voulant creuser le personnage de Swann, mettre Bond à l’écart mais pas trop pour le confronter au nouveau monde (via le nouvel agent qui porte le matricule 007 joué par Lashana Lynch) et prolonger artificiellement l’intrigue posée auparavant, No Time to Die met un temps fou à démarrer, si bien que le vrai méchant du film joué par Rami Malek met plus d’une heure à pointer le bout de son nez passé l’introduction. Cela dit, vu combien l’ancien Mr. Robot se contente de venir prendre un air menaçant çà et là, ce n’est pas plus mal, tant le comédien semble constamment être une parodie de son rôle et de lui-même.

Globalement, on peut qualifier ce film de généreux comme d’autres l’ont fait, mais il faut aussi regarder à quel point structurellement il semble perdu et ne se facilite jamais la tâche tant il se concentre sur des choses qui pouvaient être considérées comme closes.
Tout le rapport à l’organisation Spectre par exemple aurait pu être éludé, afin de permettre à l’histoire d’aller plus vite sur de l’inédit, et le tout donne l’impression de voir un film perdu, qui peine grandement à choisir sur quel pied danser et comment trouver son originalité, ne serait-ce qu’au sein de la franchise.
Pourtant, No Time to Die possède éléments propres qui s’annonçaient prometteurs.
L’espionne Paloma, jouée par Ana de Armas, offre par exemple un curieux interlude, puisqu’elle joue une femme un peu gaffeuse et rigolote, qui fait ses débuts sur le terrain au détour d’une opération avec Bond qui la regarde avec malice et amusement. C’est de très loin la séquence où l’on sent le plus la patte de Phoebe Waller-Bridge aux dialogues, sauf que si cette Bond Girl un peu différente vient ponctuer un passage censé être important pour le récit, et bien que sa présence s’avère rafraîchissante au sein d’un univers aussi sérieux où tout le monde sert la mâchoire, son temps d’écran est d’un quart d’heure tout rond et on n’entend plus jamais parler d’elle par la suite !
Dans un genre similaire, la nouvelle 007 jouée par Lashana Lynch qui vient titiller ce vieux croûton de Bond sur l’évolution de l’égalité des sexes semble ne servir qu’à ça tout du long, et est dépourvu d’arc narratif propre, Bond et Swann bouffant à vrai dire tout le film à ce niveau-là, à tel point que l’introduction se focalise sur l’enfance de Swann !
C’est peut-être l’apport le plus important à la franchise Bond, à savoir un focus sur un trauma d’enfance, poussé à son paroxysme lorsque ce cher James doit protéger une enfant de plusieurs agresseurs insistants et de ce fait lui éviter aussi des années de psychiatrie intenses !
Un élément quelque peu survolé et prétexte, qui à l’image du reste n’est jamais vraiment approfondi, malgré des envies claires de creuser une dramaturgie solide, comme le prouve un rappel au final de Casino Royale.

Alors si ce Bond cuvée 2021 s’éparpille beaucoup au cours de ses 2h43 (le plus long de la saga !), lui reste-t-il malgré tout des moments de bravoure et des séquences qui rentabilisent le billet pour quiconque vient voir un grand spectacle ?
De ce point de vue-là, le film partage là encore une trop grande proximité avec Spectre, dont les gens globalement saluaient la scène d’introduction/pré-générique, avant d’être endormis par le reste du film. Ici, même combat : se serait faire la fine bouche de ne pas être impressionné par l’ouverture, qui offre d’abord une scène audacieuse proche d’un film d’horreur, semblant tout droit sortie d’un Millenium.
Et suite à ça, passé quelques échanges Bond/Swann qui semblent avoir été écrits par des robots ou un algorithme tant ils sont figés, Fukunaga offre une énorme course-poursuite largement vendue par la promotion, où notre couple star fait feu de tout bois dans un village italien, ressortant par la même occasion la mythique Aston Martin DB5 de Sean Connery, avec une pluie de gadgets old school.
Solidement mise en scène, grâce à des cascadeurs qui s’en sont donnés à cœur joie, cette introduction sous forme de feu d’artifice rejoint instantanément ce que l’ère Craig a fait de plus explosif grâce à une chorégraphie globale qui se renouvelle très vite (il y a dans la même scène de la poursuite à pied, en moto ou en voiture, des fusillades et du combat à mains nus !), rejoignant aisément la poursuite à Madagascar vue dans Casino Royale sur le podium.
Sauf qu’après ce démarrage en trombe, difficile de retrouver pareille intensité ou énergie, que ce soit dans une poursuite dans des bois remplis de brouillard, durant la scène à Cuba avec De Armas ou même dans le final, qui s’avère assez roublard, ressortant les sempiternelles bases de méchants sans y apporter quoi que ce soit de marquant. Notamment reconnu pour le formidable plan-séquence de fusillade dans la première saison de True Detective, série qu’il a entièrement réalisé, Cary Joji Fukunaga tente certes de rejouer la même carte autour d’une fusillade dans un escalier, mais on y voit Bond aligner les cadavres tels des pantins désarticulés, et le film souffre quelque peu de l’aspect intouchable de son personnage qui traverse des couloirs où ça tire dans tous les sens sans jamais en prendre une, tous les ennemis étaient aussi précis que des stormtroopers…
Forcément, à trop vouloir faire durer ce genre de séquences aux artifices évidents, les ficelles finissent par se voir cruellement, même s’il faut reconnaître à Fukunaga d’emballer l’ensemble correctement, sans jamais offrir de fulgurances dingues mais avec une réelle solidité.
Cela étant, et comme c’est le cas depuis un petit moment, l’ombre de Tom Cruise et de ses Missions Impossibles aussi percutantes qu’inventives continue de peser sur 007, qui reste toujours en retrait quand il s’agit d’offrir de purs moments de bravoure cinématographiques, aussi bien devant que derrière la caméra…

Finalement, ce nouveau Bond ressemble un peu à son générique d’intro, où la chanson lénifiante de Billie Eilish tente vainement de faire symbiose avec des images qui vont repiquer les esthétiques des précédents opus de Daniel Craig sans réussir à offrir un résultat cohérent ou original.
Tel un énorme paquebot sans capitaine, No Time to Die tire çà et là de petites réussites au milieu d’un océan de confusion et de complications narratives inutiles, tout ça pour se rappeler en fin de course qu’il est temps de dire au revoir à son interprète.
Le poids de la marque se ressent tout du long au moins autant que sa logistique colossale, et on ne peut que souhaiter à Bond de renouer avec une certaine légèreté à l’avenir, et surtout un bon coup de panache, tant la formule est devenue belle et bien trop lourde pour honorer sa mission première de divertissement.

Mourir Peut Attendre (No Time To Die), de Cary Joji Fukunaga – Sortie en salles le 6 octobre 2021

Voir les commentairesFermer

Laisser un commentaire