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Critique : Mon Voisin Totoro
Lorsque Marc, notre rédacteur en chef vénéré, m’a proposé d’écrire sur Mon voisin Totoro, j’ai souri jusqu’aux oreilles, dans un premier temps et puis j’ai commencé à avoir doutes… comment rendre compte correctement de la grandeur et de l’adulation que génère ce film ? Il existe tant de livres, de thèses, d’articles consacrés au travail de Miyazaki (notamment sur le remarquable site Buta connexion ) que je ne vois pas ce que je pourrais ajouter qui n’ait déjà été dit.
Et puis, j’ai repensé au récent décès de Takahata et je me suis souvenu que Totoro était sorti conjointement au Tombeau des lucioles, et ceci a beaucoup joué dans la fabrication du film, ce que tout le monde ne sait pas forcément. Et puis j’ai tenté de mettre des mots sur l’effet que ce film produit sur un spectateur lambda, au hasard, moi.
Cet article s’adresse donc à quelqu’un qui connaît déjà le film car il contient quelques spoilers.
La genèse du film
En 1987, lorsqu’il est question de mettre en route une nouvelle production, Miyazaki doute. L’homme ne manque pas d’idées pourtant, mais elles n’inspirent pas confiance aux financiers. Là, c’est une idée bien saugrenue à laquelle il pense (surtout dans le monde des films d’animation) : l’histoire de deux fillettes dans la campagne japonaise des années 50 qui rencontrent un esprit de la forêt.
Comment ? Vous ne voyez pas ce qu’il y a de saugrenu ? Mais tout simplement parce que dans cette histoire, il n’y a pas de MÉCHANT.
Allez-y, vous pouvez chercher, essayez de trouver 3 films d’animation où il n’y a pas de personnage méchant, c’est un exercice très difficile et ce n’est certainement pas du côté des productions américaines que vous trouverez des réponses (Et Miyazaki s’est payé le luxe d’en produire 2 puisqu’il n’y a pas de méchant non plus dans Kiki la petite sorcière).
Donc voilà où en est Miyazaki en 1987, il a cette idée de film mais les financiers de Tokuma (groupe d’édition co-fondateur du studio) ne suivent pas. C’est alors que Toshio Suzuki, à ce moment-là, homme de liaison entre Ghibli et Tokuma, a l’idée de grouper le projet de Miyazaki avec celui d’Isao Takahata, Le tombeau des lucioles. Ce dernier film étant une adaptation littéraire, il fera venir les écoliers et collégiens dans les salles de cinéma. De plus, comme il traite d’un sujet grave (le destin de deux orphelins au sortir de la guerre), s’il est accompagné d’un film plus léger, cela soulagera un peu les jeunes spectateurs. Les deux films sortiront donc conjointement au printemps 1988.
Miyazaki est rassuré sur la faisabilité de son film mais il a toujours des doutes : il ne se sent pas à la hauteur de son illustre partenaire ! (même s’ils sont compagnons de longue date, Miyazaki a toujours considéré Takahata comme son supérieur). Il juge son scénario trop enfantin et est prêt à l’amputer de plusieurs éléments (le chat-bus notamment) afin de le rendre plus « présentable ». C’est Takahata lui-même qui devra intervenir auprès de son ami (ou devrait-on dire « élève » ?) afin de le convaincre de garder son histoire intacte avec ses personnages attachants.
Car ces personnages, Takahata les connaît bien, en effet, 15 ans auparavant, les deux compères avaient travaillé sur Panda Kopanda et je pense que le design de « papa Panda » vous rappelle sûrement quelque chose…
Il y a aussi eu cette histoire publiée en 1983, une ébauche de scénario accompagnée de dessins qui fut finalement rejetée. Elle avait pour titre… Princesse Mononoke. Là aussi, le design du « monstre » ne vous rappelle rien ?
Bref, tout cela pour vous montrer que Miyazaki portait ce projet en lui depuis longtemps (autre exemple : la région montrée dans le film est celle de son enfance et sa mère malade de la tuberculose était soignée dans le même hôpital que la mère des fillettes) mais qu’il aura douté jusqu’au bout. Et ce n’est qu’une fois qu’il a eu l’aval de Takahata qu’il a pu se poser (de l’avis de ses collaborateurs, c’est sur ce film que Miya fut le plus enjoué et détendu) et créer le chef d’œuvre que nous connaissons tous aujourd’hui.
2. Un film majeur… et simple.
Eh oui, je pèse mes mots : Mon voisin Totoro est un chef d’œuvre. Et comme tant d’autres films qui ont marqué l’histoire du cinéma, il est d’une apparente simplicité.
Et même s’il présente beaucoup de points communs avec Alice aux pays des merveilles, le film auquel je le rapprocherais le plus est E.T. de Stephen Spielberg. Je m’explique : dans les deux cas, nous avons des enfants comme protagonistes principaux. Dans les deux cas, nous avons une histoire simple parce que le point de départ est un évènement hautement improbable et qu’il faut déjà le faire accepter au spectateur (on pourrait résumer les films ainsi : « un garçon trouve un extra-terrestre et va tout faire pour l’aider à rentrer chez lui // deux fillettes rencontre un esprit de la forêt et il va les aider à résoudre leurs problèmes).
Dans les deux cas, l’émotion tient une place très importante dans la narration. Et dans les deux cas, la mise en scène est sobre mais elle offre des séquences immédiatement compréhensibles par tous les publics, grâce à un montage parfait ou grâce à des parti-pris narratifs efficaces : dans E.T., lors de la scène d’ouverture, on ne voit pas la tête de « l’homme aux clés » mais on identifie tout de suite son personnage // dans Totoro, la scène du parapluie est un modèle de montage et lorsque Mei disparaît, elle le fait réellement, y compris pour le spectateur, créant ainsi la même angoisse dans la salle et sur l’écran. Autre point commun narratif : les créatures étranges sont montrées d’abord par bribes et très vite on les entend crier. Serait-ce la version cinéma du « cri primal », celui qui leur donne vie ?
Si je compare ainsi les deux films, c’est pour mettre en avant leur impact sur les spectateurs et plus généralement sur la culture populaire : dès la sortie du film au Japon, Totoro est devenu une icône, le symbole de la protection de la nature et tout l’archipel s’est rapidement emparé de cette énorme boule de poils. En occident, il aura fallu attendre quasiment 10 ans avant de le voir apparaître mais les plus anciens d’entre vous se souviennent sûrement de l’impact du petit alien américain dans les années 80 : tout le monde, des enfants aux grands-parents, le connaissait ou en avait entendu parler. Un vrai phénomène de société donc.
Je dois tout de même avouer que j’ai une préférence pour Totoro. Pour tout ce que je viens de dire et aussi pour la particularité évoquée dans la première partie (pas de méchant dans un film d’animation) mais aussi pour une autre raison : ce film fait partie des rares qui provoque un tel plaisir inattendu que l’on est ensuite un peu déçu car cela ne pourra plus jamais se reproduire. En clair, on est tellement content de voir ce film pour la première fois qu’il faudrait qu’il n’y ait QUE des premières fois. Mais cela est impossible, évidemment. Alors rapidement, on se tourne vers les enfants de son entourage : cousins, neveux, nièces, voisins, voire même sa propre descendance pour leur faire découvrir ce film, ce petit bijou. Et lors de la projection, on fait des va et vient de la tête entre l’écran et ces primo-spectateurs.
Eh bien réjouissez-vous, car le film ressort au cinéma ce mercredi 13 juin et s’il y a bien un endroit où on peut correctement entendre un rugissement se Totoro, c’est dans une salle de cinéma. Ne boudez donc pas votre plaisir et laissez-vous emporter sur une toupie volante encore une fois…
Mon Voisin Totoro, de Hayao Miyazaki – ressortie en salles du 13 au 19 juin 2018 en version restaurée
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