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Critique : Mars et Avril

Et si on parlait de science-fiction canadienne ?

Mars et Avril est un long métrage sorti en octobre 2012 au Québec et présenté depuis dans de nombreux festivals. Le film, réalisé par Martin Villeneuve est adapté du propre roman-photo de l’auteur. Au casting on retrouve notamment Caroline Dhaverna, vue aux cotés de Ben Affleck dans Hollywoodland mais aussi Jacques Languirand, célèbre de l’autre coté de l’Atlantique pour toucher à différents métiers dont l’animation radio et l’écriture de pièces de théatre.

Arkaron a vu le film, qui n’a pas de date de sortie française mais est disponible en DVD, à Neuchâtel il y a quelques semaines.

 

Mars et Avril – pas de date de sortie en France
Réalisé par Martin Villeneuve
Avec Jacques Languirand, Caroline Dhavernas, Paul Ahmarani, Robert Lepage
Le musicien septuagénaire Jacob Obus, qui s’enorgueillie de ralentir le temps en jouant sur des instruments modelés selon les corps féminins, est un homme parmi les plus adulés. Pourtant, il regarde la conquête de Mars et change quotidiennement d’instrument musical avec mélancolie. C’est parce qu’il n’a jamais fait l’amour. Sa rencontre avec Avril, jeune idéaliste romantique, va changer sa vie et redéfinir sa musique…

 

Aujourd’hui encore, l’absence totale de son dans l’espace en fascine quelques-uns. Certains, comme un groupe scientifique de la NASA, ont même proposé de convertir la luminosité des étoiles observées par satellite en ondulations sonores, capables de nous informer sur plusieurs de leurs caractéristiques. Une idée ingénieuse si elle en est, et un moyen de ramener l’effroyable silence absolu d’Alien vers les partitions spatiales de 2001. Bon d’accord, j’exagère peut-être un peu. Il n’empêche que parfois, des idées se télescopent et le québécois Martin Villeneuve sourira sans doute s’il croise le chemin de cette découverte.

Car en effet, curieuse situation que celle de la science-fiction dans le paysage culturel québécois. Le genre s’immisce doucement dans la littérature à partir des années 1970, mais le support audiovisuel accueille relativement peu d’œuvres de SF. Au-delà des quelques travaux horrifico-fantastiques, les concepts de science-fiction en eux-mêmes sont rarissimes : Dans une galaxie près de chez vous, série parodique, a aussi été adaptée au cinéma, tandis que la récente série Les Rescapés reprend l’idée du voyage temporel. D’autres cas isolés, tels que Les mille merveilles de l’univers, font surface de temps à autre pour aussitôt disparaître dans l’indifférence.

C’est dans ce contexte que Martin Villeneuve se met en tête d’adapter son propre roman-photo, paru au cours des années 2000, pour le cinéma. Contre toute attente, l’homme débloque les fonds nécessaires à la réalisation d’un film très difficile à vendre sur le papier comme au public en raison de son caractère relativement opaque et de son refus catégorique à adopter les mécanismes narratifs habituels de l’aventure grand public. Lorsque la pré-production commence, Villeneuve fait appel au bédéiste belge François Schuiten (auteur des Cités obscures) pour la conception de l’identité graphique de son film. Pour en savoir plus à ce sujet et apprendre comment le monsieur a donné vie à un projet à priori inconcevable, un petit tour sur TED Talks s’impose.

Force est de constater que pour un film à petit budget tourné sur fond vert, Mars et Avril bénéficie d’un production design tout bonnement époustouflant, proposant une richesse graphique dont peu d’œuvres font preuve ces dernières années, et surpassant toutes les productions québécoises à ce jour. La facture formelle de l’œuvre côtoie par ailleurs les meilleurs films du genre grâce à une mise en scène spacieuse laissant respirer ses acteurs et son univers, et qui sait donner l’ampleur nécessaire aux éléments les plus importants de sa diégèse. La vision d’un Montréal du futur aux influences variées est à ce titre très immersive, même si les écarts soudain entre le style de Schuiten et les variations sur les décors de Blade Runner et de Speed Racer peuvent laisser perplexe quant à l’unité de la palette graphique.

Sa diégèse, quant à elle, repose justement sur un principe qui a disparu du cinéma de science-fiction : l’articulation et la fabrication du récit autour d’un concept expliqué au cours de l’histoire. Ici, le prologue se charge de poser les bases requises pour permettre au spectateur d’aborder le film : la théorie de l’astrophysicien Johannes Kepler publiée dans Harmonices Mundi au 17e siècle expliquait que la vitesse de déplacement des planètes déterminait leur équivalence musicale sur une octave donnée. Les règles de la physique régissant l’univers étant ainsi assimilées aux rapports d’intervalles musicaux sur lesquels sont construits les arpèges. Liant symbiotiquement science et art, Kepler rendait abordable l’incompréhensible immensité spatiale pour la sensibilité humaine. 400 ans avant la NASA. Dans Mars et Avril, Villeneuve érige le musicien en acteur ultime du monde, en être capable de faire sens de l’existence grâce à son talent. Il est donc logique que notre protagoniste soit un septuagénaire porté aux nues et nommé Obus, telle l’arme de guerre faite instrument de création. À ses côtés, son luthier affamé de reconnaissance agit dans l’ombre pour immortaliser la fragilité humaine en construisant des instruments à l’inspiration organique. Entre les deux hommes vient s’intercaler Avril, jeune femme aux intentions ambiguës qui conduira ses prétendants à repenser leur rôle dans l’univers.

Plongé dans un monde fourmillant d’idées, le spectateur est invité à s’approprier des questions fondamentales et propices à être posées dans un contexte science-fictif. C’est donc tout naturellement qu’un hologramme, permettant à l’homme de braver la mort, ose avancer l’idée du solipsisme et remette en cause la mutation de la science en religion, alors que la conquête martienne rythmant le monde est constamment recalée en arrière-plan, en tissu de fond télévisuel ultra-médiatisé, à la manière d’une lubie commune de l’espèce humaine.

Mars et Avril est ainsi empreint de questionnements omniprésents, visant à appréhender, comprendre et redéfinir l’expérience humaine dans un contexte civilisationnel et technologique global. Bien entendu, ce genre d’approche peut souvent se révéler particulièrement casse-gueule et risque toujours de basculer dans l’exercice ésotérique vaniteux et sibyllin. Si Mars et Avril n’évite pas totalement ces défauts, se permettant de faire passer son intrigue au second plan, ses tentatives d’explorations thématiques restent cohérentes et invitent le public à se joindre à la réflexion, n’imposant pas de symbolique ni de réponse outrancière comme cela a pu être le cas en France (par exemple, avec Dante 01 de Marc Caro).

Bénéficiant d’une vision engagée et d’un talent certain pour la mise en images percutante et l’instauration d’une ambiance lyrique, le film québécois a la particularité d’avoir été pensé comme interprétation cinématographique d’un concept physique spécifique. Par conséquent, les personnages sont organisés en système et se voient attribués des tons différents. La musique, d’une pertinence éblouissante, accompagne les personnages assimilés à des notes devant trouver leur place sur la partition de l’univers, de la même manière que Kepler subordonnait la vitesse des planètes aux valeurs des intervalles musicaux composant la gamme. L’exploration du rapport entre musique et SF reste marginale au cinéma (alors que les albums concept ne se comptent plus, en musique). En effet, si Kubrick avait fait de 2001 la plus puissante expression de leur synergie, la problématique elle-même n’a pas encore été abordée en dehors de quelques pages littéraires (on pense notamment aux Opéras de l’espace de Genefort ou aux quelques idées exploitées dans la série Eden Paradox de Barry Kirwan). En cela, Villeneuve propose réellement quelque chose d’inédit et d’audacieux, qui laissera sans doute une bonne partie du public exprimer un désintérêt poli s’il n’embrasse pas la problématique.

C’est ainsi que le film s’ouvre sur une simple présentation des intervalles évoqués en voix-off. Sa première surprise, cependant, intervient lorsque le personnage d’Obus donne son concert, proposant au public des sonorités électroniques teintées de vents tribaux et de notes orientales. Cette tentative de futurisme musical et cosmopolitain laisse ensuite place à des musiques d’ambiance en accord avec les personnages, alliant toujours l’instrument intradiégétique à la bande originale pour évoluer. Les instruments imaginaires défilent donc, du gravophone au marsophone et jusqu’à l’esprit humain, siège du final serein de cette aventure.

Malgré son récit unifié, Mars et Avril n’évite pas quelques dérives à l’humour volontairement décalé, qui tendent à fragiliser la structure d’ensemble tant ces scènes détonent des séquences d’émotion ou de pure science-fiction exploratrice. À vrai dire, le film offrira majoritairement aux amateurs du genre de quoi nourrir leur imagination et les laissera libres dans leurs choix d’interprétations. On soulignera tout de même l’habile opposition entre allégorisation de la vie en partition musicale et représentations des dangers insidieux de la scientisation extrême de la société, comme pour peser l’art et la science sans vraiment prendre parti.

Au final, Mars et Avril est comme un rêve d’adolescent, et sa meilleure force est également son pire ennemi : tout en réalisant un film dont la facture finale force le respect, ne serait-ce que pour le travail accompli loin des studios, Martin Villeneuve insiste sur l’aspect indépendant de son film, se refusant toujours à clarifier le sens son récit ou de son iconographie pour privilégier l’ouverture sémantique et s’éloigner des codes narratifs habituels. C’est un parti-pris à double tranchant, car si certains apprécieront sans nul doute le voyage, beaucoup ne s’y retrouveront pas. Un régal pour les amateurs de science-fiction onirique, une promesse d’indifférence totale pour les autres.

 

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2 Comments

  • par dominique Engel
    Posté vendredi 30 août 2013 6 h 01 min 0Likes

    Pour avoir vécu la génese de Mars et Avril,voila enfin un superbe regard sur cet électron libre du cinoche Québecois . Fichu bon texte,bel hommage . Bravo !

  • par Misutsu
    Posté vendredi 6 septembre 2013 14 h 44 min 0Likes

    Je n’ai rien compris à ce film, pour moi c’est un bordel scénaristique ! Il y a une histoire d’amour, et un thème musico-scientifique que je n’arrive pas à lier cette historie d’amour. Que quelqu’un m’explique ! :p

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