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Critique : La Bataille de la Montagne du Tigre
Moins d’un an après nous avoir conté les histoires du jeune Detective Dee, le légendaire Tsui Hark revient sur les écrans avec La Bataille de la Montagne du Tigre.
Avant de vous laisser vous plonger dans le papier d’Arkaron revenant longuement sur le contexte historique et son appropriation par le réalisateur, précisons d’ores et déjà qu’il est indispensable de voir le film en 3D. Le travail de Tsui Hark sur son dernier long-métrage est sans doute le plus abouti ces dernières années en la matière.
La Bataille de la Montagne du Tigre, prévu pour le 17 juin 2015, est « CloneWeb Approved ».
LA CRITIQUE
La Bataille de la Montagne du Tigre (The Taking of Tiger Mountain) – sortie le 17 juin 2015
Réalisé par Tsui Hark
Avec Zhang Hanyu, Tony Leung Ka-fai, Lin Gengxin
En 1946, les forces de l’Armée populaire de libération chinoise tentent de défaire un groupe de bandits pillant les villages du Nord-Est. Reclus dans les montagnes froides et dangereuses, ces derniers sont infiltrés par Yang Zirong, un soldat intrépide et astucieux, chargé de mener les ennemis du peuple à leur perte...
Tsui Hark est-il inarrêtable ? C’est la question qui vient à l’esprit lorsque l’on voit le cinéaste dérouler, sous nos yeux hypnotisés, sa dernière aventure furieuse aux accents pulps et résonances politiques.
L’interrogation ne naît pas d’une foi inébranlable envers le réalisateur, qui a signé quelques ratés entre plusieurs œuvres foisonnantes, mais d’une circonspection toute naturelle à la vue de l’histoire dont le film fait l’objet. Adapté du roman extrêmement populaire Tracks in the Snowy Forest (1957) de Qu Bo, The Taking of Tiger Mountain relate un événement historique datant de 1946, pendant lequel un groupe de soldats de l’Armée populaire de libération va défaire un clan de bandits tyrannisant la population paysanne du Nord-Est de la Chine, en plein cœur de la guerre civile chinoise. Les événements sont quelque peu difficiles à synthétiser si rapidement, s’inscrivant dans un cadre national vaste et important à la compréhension des enjeux.
Ainsi, il existait à l’époque une opposition féroce entre le Parti Communiste et le Kuomintang nationaliste. Ce dernier, soutenu par les États-Unis et contrôlant les villes, alignait dans les années 1940 les erreurs politiques se mettant à dos la population paysanne (constituant la majeure partie du pays), qui vivait dans des campagnes alors sous la coupelle idéologique des communistes. Si ceux-ci ne disposaient pas d’équipements militaires de pointe, leur technique de guérillas et l’appui dont ils jouissaient de la part des civils leur donnaient un avantage certain lors des affrontements.
Cela est important dans le sens où le film de Tsui Hark dépeint Yang Zirong et ses camarades comme l’unique force de résistance s’opposant à des adversaires qui bénéficient d’un soutien tacite de la part du Kuomintang et donc, par extension, de l’Occident. Comme le livre dont il est adapté, le long métrage se présente par conséquent comme un récit mythologique, habité de forces abstraites en opposition, et visant à glorifier les exploits de héros populaires communistes. The Taking of Tiger Mountain constitue en cela la première incursion de Tsui Hark dans l’important mouvement chinois du cinéma historiographique pro-Parti, lui qui s’était maintes fois illustré pour sa déconstruction des codes culturels chinois, qu’il se fût agi de perdition sociétale (L’Enfer des armes), de religion (Green Snake), de corruption politique et d’impérialisme colonial (Il était une fois en Chine), voire même des préjugés démocratiques de la Chine continentale (Peking Opera Blues).
Afin de mieux appréhender le contexte de l’adaptation qui nous intéresse ici, il convient peut-être d’en explorer quelques détails. Tracks in the Snowy Forest est un récit épisodique héritier aussi bien des grands récits épiques tels que The Water Margin et Journey To The West, que d’une philosophie politique et artistique découlant du forum de Yan’an sur la littérature et les arts, tenu en 1942. Lors de celui-ci, Mao Zedong proposa que la littérature soit considérée comme un outil se devant d’être à la fois populaire et instructif, un précepte témoignant en réalité d’une volonté d’uniformisation de la culture autour d’idéaux communs socialistes. Dès lors, les œuvres nées sous l’égide du Parti devaient mettre en scène et s’adresser à la classe des paysans/soldats/ouvriers, par opposition à la culture dite « bourgeoise » du mouvement du 4-Mai.
Remarquons également que l’adaptation 2014 du livre de Qu Bo est produite par Huang Jianxin, réalisateur de The Founding of a Republic et The Founding of a Party, deux blockbusters ultra-médiatisés et contrôlés, commandés directement par le gouvernement chinois. Huang avait, toutefois, commencé sa carrière avec des films bien plus critiques envers le parti communiste (notamment Black Cannon Incident et Dislocation).
Ainsi s’éveille l’interrogation légitime du choix de Tsui Hark de se tourner vers un tel projet, et surtout de sa capacité à manœuvrer à sa guise, étant donnés les impératifs inhérents au matériau d’origine et à son contexte de financement.
Plusieurs choix narratifs aident cependant le cinéaste à nuancer la dimension mythificatrice des événements présentés, et notamment l’introduction du récit cadre, qui permet d’inscrire l’histoire de Tiger Mountain dans un passé héroïque qui est avant tout fantasmé, imaginé par un jeune homme s’apprêtant à redécouvrir la première version filmée de cet opéra : Taking Tiger Mountain By Strategy, réalisé en 1970 par Xie Tieli. Ce film fut l’un des plus vus dans l’histoire du cinéma mondial, même s’il demeure difficilement accessible en dehors de la Chine. Cela s’explique par le fait qu’il s’agissait de l’un des huit seuls modèles opératiques tolérés par les autorités de la Révolution Culturelle chinoise, et qu’un refus, de la part d’un citoyen, d’assister à plusieurs séances d’un tel film pouvait à l’époque être synonyme de sédition. En se positionnant parallèlement à cette pierre angulaire de la culture chinoise, Tsui Hark insiste sur le fait que son propre récit des événements doit être interprété avec le même recul que la version d’origine, soulignant ainsi la nature fictive du récit à venir.
On se trouve donc dans une approche radicalement différente des autres grands blockbusters historiographiques commandés par le Parti Communiste Chinois, et une fois cette mise au clair effectuée, le réalisateur plonge tête baissée dans une aventure extravagante qui, malgré son cahier des charges politique lourd, parvient à demeurer un divertissement de haute volée, généreux et dynamique.
Parmi les traits de mise en scène et de caractérisation auxquels Tsui doit s’adapter, l’on n’échappe pas à une opposition des soldats démunis du peuple aux bandits et nationalistes bourgeois cupides. Il s’agit d’une application directe de l’approche préconisée à Yan’an, mettant en avant l’ingéniosité et le courage d’une classe sociale spécifique, confrontée aux machinations malhonnêtes et lâches de leurs opposants idéologiques. Cet aspect se remarque jusque dans l’identité visuelle des deux camps : grise et dépouillée d’un côté, et remplie de couleurs agressives et foisonnantes de l’autre.
Une scène charnière de l’histoire, inévitable à la vue du titre et déjà présente dans le livre, fait s’opposer le héros Yang Zirong à un tigre. Ce tigre de la montagne peut être comparé au « tigre de papier » qu’évoque Mao dans une interview de 1956 (un an avant la parution du premier épisode de Qu Bo) pour parler de l’impérialisme américain (soutenant massivement le Kuomintang nationaliste de Tchang Kaï-chek). L’image assimile ainsi les forces impérialistes à un animal effrayant, mais en réalité inoffensif, impuissant. Dans le film, Yang affronte la bête juste avant de rencontrer et d’infiltrer le groupe de bandits, comme pour affirmer et prédéterminer sa victoire à venir.
Ces considérations passées, force est constater que Tsui Hark construit un univers iconique et des personnages mémorables, qui maintiennent l’intérêt du spectateur même durant le deuxième acte du récit, préparant lentement l’explosion d’action finale. Cette dernière, complètement débridée (venant rappeler au monde ce qu’est une véritable scène d’action palpitante) et magistralement mise en scène par un cinéaste tirant le meilleur parti de sa topographie, surpasse les séquences chorégraphiées du début du film, qui s’apprécient sans doute mieux en 3D (le léger abus de bullet time avec giclées de sang numérique témoigne de l’engouement de Tsui, mais peuvent aisément lasser). La portée décomplexée de la mêlée finale s’inscrit toutefois, sans aucun doute, dans la liste toujours plus longue des scènes d’anthologies ponctuant la filmographie du réalisateur.
Si ses derniers blockbusters souffraient parfois d’images de synthèse à la qualité douteuse (on se souvient, par exemple, du dragon des mers), on profite sans doute ici d’une de ses réalisations les plus accomplies techniquement, repoussant non seulement les conditions de tournage, mais aussi les expérimentations stéréoscopiques au sein de l’industrie chinoise. Renforcée par des interprétations convaincantes, une musique fédératrice efficace (signée William Wu), et une fabrication solide, The Taking of Tiger Mountain s’impose probablement comme le plus exaltant des divertissements de Tsui Hark depuis plusieurs années.
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