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Critique : Color Out of Space

La 9e édition du Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF) s’est ouverte ce 11 décembre dans un Paris coincé par les grèves mais néanmoins joyeusement : le festival proposait en ouverture rien de moins qu’un combo H.P Lovecraft x Nicolas Cage, Color Out of Space.

 

LA CRITIQUE

Pour tous les amateurs de fantastique, l’idée de voir les récits de H.P Lovecraft portés sur grand écran tient aussi bien du fantasme que de la chimère sans fin, l’écriture ciselée et paranoïaque de l’américain n’étant pas des plus simples à adapter, surtout quand sa spécificité réside dans la description de l’indescriptible. Son univers vaste aura tôt fait de faire carburer à plein régime l’imaginaire des lecteurs, qui se sont approprié les cauchemars de l’auteur, et ce mélange d’intime et de grandiose a eu une telle influence sur le genre qu’elle s’est vite ressentie au cinéma, d’Alien à The Thing en passant par The Mist. Après quelques tentatives modestes, comme celles de la H.P Lovecraft Historical Society, et le projet avorté des Montagnes Hallucinées de Guillermo Del Toro, c’est le cinéaste Richard Stanley qui se lance avec l’adaptation de la Couleur tombée du ciel, produite par SpectreVision, la boite d’Elijah Wood spécialisée dans l’horreur…

Si la nouvelle Color Out of Space possède un cadre relativement modeste, avec une ferme soumise à des changements étranges suite à la chute d’un météore dans son jardin au début du 20ème siècle, elle propose pourtant des défis pour quiconque veut s’y frotter.
Le plus évident concerne la couleur proprement dite du météore, qui vient par la suite imprimer la faune et la flore du lieu, puisqu’elle ne correspond à rien sur le spectre colorimétrique connu de l’humain.
C’est facile à faire passer à l’écrit, mais à mettre en images, c’est une autre paire de manches. Il faut juste inventer une couleur, quoi de plus normal !
Le violet pétant choisi ici peut s’avérer décevant, mais trouve une justification assez maline de l’aveu même du réalisateur : l’œil humain étant capable pour faire simple de voir de l’infra red à l’ultra violet, ils se sont dit que la couleur en question correspondrait à la limite perceptible aux yeux des hommes : du violet !

Pour le reste, le film s’avère assez fidèle à la structure du livre, enlevant les correspondances entre le narrateur et la famille de fermiers pour directement se concentrer sur elle, et actualisant le récit qui se déroule de nos jours sans pour autant changer sa disposition, la demeure en question étant toujours paumée au milieu de nulle part. Le film s’ouvre et se termine même en reprenant le texte original en voix-off, pour infuser l’ambiance de l’écrivain et lui rendre hommage.
L’intrigue reposait sur la transformation lente de l’environnement, avec des évènements et des faits étranges qui changeaient petit à petit la nature même des lieux, sans que les habitants n’y comprennent ou n’y puissent faire quoi que ce soit, en simples spectateurs et victimes de cette aliénation.

Et la force d’un tel écrit, bien que court puisqu’on est sur un peu moins de 30 pages, était de donner à ressentir le glissement vers la bizarrerie de l’ensemble, l’impuissance totale de l’humain face à la nature et l’inexplicable, sa perte de repères progressive et inexorable. Avec une famille en guise de personnages principaux, et surtout un père qui perd pied malgré bien des sacrifices, un tel schéma semblait s’appliquer naturellement à un thriller psychologique de plus en plus psychédélique.
Il en ressort un film d’horreur un peu vulgaire, qui repose sur des choix paradoxaux et contreproductifs, où la déférence rencontre la nonchalance la plus totale.
Le plus évident, c’est évidemment Nicholas Cage, qui est une fois de plus en roue libre totale, comme s’il ne s’était jamais remis de ses rôles dans Ghost Rider 2, The Wicker Man ou plus récemment Mandy.
Totalement à l’ouest quand il doit jouer de simples dialogues familiaux, parfois censés être émouvants, il retrouve vite ses bonnes vieilles habitudes de surrégime total, pour offrir un one man show dont il est le seul à avoir le secret, faisant passer par exemple la découverte du goût horrible des beaux légumes de son potager pour une séance de crachats intempestifs et de lancers bourrins dans la poubelle, en venant même à hurler « SLAM DUNK ! » en éclatant une tomate dans les ordures. Une hystérie de jeu qui va prendre le pas sur le reste, donnant lieu à quelques scènes bien fendardes pour les amateurs du comédien chamanique et barjo, même si la gêne est de mise tant on est à des kilomètres du style si noir et stricte de Lovecraft.

Des choix grotesques dans le genre, Color Out of Space en possède plusieurs malheureusement, comme l’adolescente de la famille qui colle à tous les clichés de la jeune femme gothique asociale, s’habillant en noir, écoutant du métal, s’adonnant à des rites sataniques dans sa chambre, se scarifiant…
Et en face, le plus jeune de la famille est évidemment un bigleux à lunettes au comportement étrange, et la mère qui n’arrive pas à joindre les deux bouts va vite rendre la pareille à Cage pour monter encore d’un cran l’hystérie. Reste l’ado intermédiaire, qui traverse le récit sans utilité particulière…
Une caractérisation somme toute grossière qui confère à l’ensemble un aspect assez sommaire tant tout va finalement assez vite. La transformation subtile et certaine imposée par le météore s’opère ici en plusieurs étapes grossières, où tout semble changer du tout au tout d’une scène à l’autre, donnant lieu à deux trois passages très bourrins. Des libertés ont été prises avec le texte pour accentuer le body horror, et offrir quelques scènes graphiquement torturées, mais la mise en scène peine à suggérer quoi que ce soit et montre tout trop vite, mettant en avant les effets de maquillage un peu cheap et donnant surtout des prétextes à du défouraillage gore rigolo. Et dans cet esprit série B couillonne, l’utilisation faite de la fameuse couleur tourne aussi aux effets spéciaux petit budget, où Stanley veut trop en montrer, trop en faire et fait vriller le récit vers la gaudriole criarde plus agaçante qu’autre chose.

Si l’amour de Lovecraft est bien là, la compréhension de son style ne l’est pas, et l’incapacité du film à choisir entre un sérieux ténébreux et la gaudriole sanguinolente offre une œuvre foutraque, mal dégrossie et sabotée de l’intérieur par un acteur principal qui semble ne pas y croire une seconde.
L’auteur du mythe de Cthulhu aurait mérité une toute autre ambition, et ce Color Out of Space s’adressera avant tout à ceux qui veulent de l’horreur un peu bizarre, étrange, et tout aussi bouffonne, pourvu que vous preniez tout ça à la rigolade et que vous soyez prêts à voir des gens gueuler sans arrêt. Pour les autres, Richard Stanley s’apprête à retourner d’ores et déjà dans les récits de Lovecraft avec deux autres projets, dont L’abomination de Dunwich. On n’est pas sûrs que ce soit une bonne nouvelle.

Color Out of Space, de Richard Stanley – Sortie prochaine

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