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Critique : Assassin’s Creed

Ezio, Altaïr, Connor, Edward, Shai, Arno, Evie et Jacob. La franchise Assassin’s a connu bien des héros (et encore plus si on inclut les petits jeux, les romans et autres bandes dessinées…).
Voici venu Aguilar, l’Assassin espagnol incarné par Michael Fassbender, pour la première histoire déclinée sur grand écran et le premier film produit par Ubisoft Motion Pictures.

La franchise est-elle capable de continuer au cinéma ?

 

LA CRITIQUE

Fin 2007, Ubisoft jetait un pavé dans la mare vidéoludique avec Assassin’s Creed, considéré comme l’un des premiers jeux « next-gen » à l’époque et qui offrait une plongée grisante dans un Moyen-âge savamment reconstitué. De Damas à Jérusalem, le joueur voguait de toit en toit pour venir à bout de ses cibles à l’aide d’une lame cachée dans sa manche, avant de passer par d’autres époques dans les suites de la saga, que ce soit la Renaissance Italienne ou la Révolution Française.
Avec un héros à la silhouette instantanément iconique, un conflit Assassins/Templiers qui régissait dans l’ombre les grandes dates de l’histoire telle une uchronie sectaire et une liberté de déplacement jouissive, la saga a su fédérer un nombre colossal de joueurs au gré des épisodes, au point de devenir la première marque du studio à passer par la case cinéma.

De la même manière que Marvel, Ubisoft a créé un département dédié au 7ème art et compte bien porter sur grand écran plusieurs de ses marques, comme prochainement The Division.
Assassin’s Creed est donc un projet important pour eux, puisqu’il doit tout d’abord lancer une franchise, le studio comptant bien visiter plusieurs époques au gré des épisodes comme dans les jeux, et aussi rassurer les financiers sur l’intérêt de porter sur grand écran ses univers.
Pour se faire, le projet avait tout pour cartonner sur le papier puisque l’équipe à sa charge possède bien des talents. Tout d’abord Michael Fassbender, producteur et acteur principal, qui a été chercher Justin Kurzel à la réalisation, tout juste auréolé du succès de son adaptation aussi ténébreuse que flamboyante de Macbeth. Avec son style visuel tranché et son penchant pour l’épique, Kurzel semblait à même de pouvoir donner vie à ces histoires d’Assassins à travers le temps, surtout qu’il est entouré de ses partenaires habituels, dont l’excellent directeur de la photographie Adam Arkapaw.

D’ailleurs, l’intro du film confirmerait presque ça, en ouvrant sur des titres replaçant le contexte historique à la manière de bien des péplums, et une première scène où l’on voit le héros jurer sa vie sur le fameux crédo des Assassins. Tout semble démarrer pour le mieux quand soudain, une énorme musique rock sort d’absolument nulle part, en contradiction totale avec l’esthétique du film et accompagne le titre de ce dernier avant d’enchaîner sur un mouvement de caméra numérique aérien très artificiel pour raccorder avec une séquence se déroulant de nos jours. Oui, vous avez bien lu : le titre d’Assassin’s Creed apparaît au son d’un riff de guitare tout ce qu’il y a de plus moderne.
Ça peut paraître un peu con comme ça sans être grave, mais ce n’est que le début d’une immense galère…

Comme beaucoup, Assassin’s Creed vous évoque d’emblée ses passages historiques avec différentes époques revisitées, mais tous les joueurs savent bien que la saga s’est toujours trainé un immense boulet pour justifier bêtement tout ça : l’Animus. Pour ceux à qui ce mot ne donne pas des migraines, l’Animus est une machine à laquelle votre personnage contemporain se connecte pour pouvoir visiter les souvenirs de ses ancêtres grâce à son ADN, qui cache la mémoire génétique. Totalement absent de la promotion du premier titre, cette trouvaille avait déstabilisé bien des gamers à l’époque et pour cause, elle réduisait considérablement l’identification à l’Assassin qui n’était plus que le pantin d’un personnage sans aucun charisme vivant de nos jours, se branchant à une machine tout droit dérivée de Matrix. Plutôt que d’assumer son aspect complotiste en tissant une trame au fil des époques pour jouer avec la grande histoire, Ubisoft donnait dans l’anticipation surannée, hors sujet et purement esthétique tant la mise en abîme qu’elle proposait était vaine.
D’ailleurs, le concept s’est peu à peu fait discret dans les jeux, pour mieux laisser place à vos aventures dans le passé. Manque de pot : ils se sont dit que garder cette fausse bonne idée pour le film serait une bonne chose. Pire encore, ils l’ont carrément mise au premier plan.

Certaines rumeurs l’affirmaient déjà et elles avaient raison : les 3/4 du film de Justin Kurzel se déroulent bien de nos jours. Et ça pourrait être une bonne chose si les scénaristes avaient réussi le miracle de rendre le tout intéressant. Non seulement ils échouent, mais surtout se plantent-ils royalement avec une trame générique au possible et totalement vide de sens.
Michael Fassbender joue donc un condamné à mort qui se réveille dans un centre où l’on expérimente sur la fameuse machine. Le deal est de lui rendre sa vie et sa liberté s’il retrouve un artefact secret dans les mémoires d’un de ces ancêtres qui était un Assassin lors de l’Inquisition espagnole. Le récit voit Marion Cotillard et Jeremy Irons poursuivre l’idée qu’ils pourraient ainsi « détruire la violence » chez l’homme, celle qui ronge nos sociétés et qui provoque bien des guerres, du moins de leur propre aveu puisqu’il y a bien évidemment un complot derrière tout ça…
Ce concept assez vague n’ira de toute façon pas beaucoup plus loin car cela reste un prétexte comme l’était le complot dans le jeu. Sauf que là où on y passait rapidement sur consoles, c’est carrément le moteur narratif du film, qui passe le plus clair de son temps à montrer Fassbender essayer de comprendre ce qui se cache dans cet établissement étrange, et à se remettre du choc sensoriel provoqué par l’Animus. Tout d’abord, le personnage est caractérisé en 4ème vitesse, si bien que jamais le film n’arrive à le rendre attachant. Et surtout, la trame autour de lui est tellement prévisible et annoncée d’emblée qu’elle n’arrive jamais à susciter le moindre intérêt, tant elle n’est qu’un ornement prétendument philosophique pour habiller une énième lutte ultra manichéenne, dans laquelle vivotent des seconds rôles tous sous-exploités quand ils ne débitent pas des inepties.

Quelque part, ce raté scénaristique colossal est presque fascinant tant il plombe l’intégralité du film.
Les fameuses phases d’Animus dans le passé pourraient sembler plus trépidantes puisqu’on est vraiment dans la partie action du long-métrage, avec des décors majestueux, des combats censés être spectaculaires et j’en passe. Sauf qu’elles subissent le choix scénaristique de l’Animus, qui a été adapté tel quel au cinéma, et qui montre donc Michael Fassbender simple spectateur des mémoires de son ancêtre.
Qu’importe la volonté du personnage principal, lorsqu’il est dans le passé, il ne fait qu’assister aux évènements de l’époque sans pouvoir changer quoi que ce soit, de la même manière que le spectateur dans la salle de cinéma. L’enjeu principal, c’est simplement que le héros reste synchronisé avec la machine pour voir intégralement les séquences en question !

Se pose alors la plus grande incompréhension dans la notion d’adaptation venant des scénaristes du film. Dans les jeux, le principe était exactement le même, on revisitait des évènements ayant déjà eu lieu, et on ne pouvait dans l’absolu pas en perturber le déroulement.
Sauf qu’on jouait ! On avait la manette en main, on pouvait faire 14 fois le tour du patelin si on voulait et dans l’absolu, la manière avec laquelle on parvenait à notre objectif pouvait grandement varier d’un joueur à l’autre. Malgré les limitations du jeu, le panel de possibilités était large et le joueur opérait certains choix spontanément selon ses désirs.
Au cinéma, le récit est figé par les choix scénaristiques, et il n’y a franchement plus rien de ludique à voir l’assassin à l’œuvre vu qu’il fait simplement ce qu’il est censé faire, pendant que le personnage principal réitère les mêmes gestes branché à sa machine pour être sûr de ne pas rompre le contact.
En clair, on est spectateur d’un mec qui est spectateur, le pauvre ne pouvant rien faire pour prendre part à ces parties du récit. Passionnant, n’est-ce pas ?

Au-delà de ce détail embarrassant qui amène la tension à zéro, on aurait pu penser que le style particulier de Kurzel et Arkapaw allait suffisamment en jeter à l’écran pour que le tout soit au moins spectaculaire. Surtout que la marque Assassin’s Creed a fait sa réputation sur l’extrême agilité de ses héros, qui maîtrisent l’escalade, le parkour et les arts martiaux comme personne.
Le résultat s’avère des plus perturbants là encore : sans même revenir sur l’absence totale d’attachement émotionnel à ce qui se passe dans l’Animus, la réalisation de Justin Kurzel semble souvent bridée. Il y a bien ça et là des plans qui ont fière allure, notamment lorsqu’on entre dans l’Animus, le bougre se lâchant dans des mouvements de caméras complexes et pas désagréables.
Le problème vient plutôt du montage, qui semble décidé à ne pas vouloir laisser les plans respirer, et à couper dès qu’un élément un peu trop violent apparaît à l’image. La raison à ça est sûrement la classification PG-13 du film, complètement aberrante quand on sait combien les jeux ne lésinaient pas sur les mises à mort violentes, avec corps perforés en tout point, giclées de sang dans tous les sens et souvent des membres découpés généreusement.
On sent bien l’envie de retranscrire l’extrême brutalité des combats, les personnages en prenant plein la tronche dans des luttes où rien n’est gagné d’avance, avec un sound design pétaradant qui ne manque pas de vouloir perforer vos tympans chaque fois qu’une lame est dégainée au beau milieu des tambours de guerre abondants de la bande originale.
Cela ne suffit pas à rendre la chose spectaculaire tant elle s’avère étonnement peu lisible dans son déroulement, et le problème se pose aussi pour les phases de parkour, où les money shots vertigineux se mélangent à une shaky-cam dont on se serait bien passé.

Et si vous pensiez être tranquille durant les phases dans le passé, débarrassé de toute allusion au présent, détrompez-vous ! La mise en scène a cette formidable idée d’alterner les plans de l’Assassin en action dans le passé avec ceux de Fassbender reproduisant les mêmes gestes dans la salle de l’Animus, branché à son énorme bras mécanique !
Que Kurzel utilise cet effet la première fois pour faire comprendre au spectateur le fonctionnement de la chose, pourquoi pas, sauf que l’effet perdure tout du long, atténuant la lisibilité de l’action et le plaisir de celle-ci. Enfin, tout cela ne serait pas grave si seulement le film était un tant soit peu captivant, ce qui n’est évidemment pas le cas.

Avare en spectacle, bavard en âneries, le blockbuster d’Ubisoft devrait difficilement trouver son public tant il n’est jamais agréable à suivre. Il y a bien ça et là quelques jolies choses, le style visuel de son auteur perdurant, et une envie de dépouiller le récit de toute distanciation, l’ensemble se prenant mortellement au sérieux et refusant tout humour, ce qui n’est pas foncièrement pour nous déplaire. Sauf que c’est au service d’un scénario véritablement débile qui finit par s’étaler dans un final aussi grandiloquent qu’indigeste, poussant pour de bon l’entreprise dans le ridicule le plus total tant personne ne semble se rendre compte de la bêtise qui l’habite. Si la qualité de production apparente d’Assassin’s Creed pouvait nous pousser à croire à des jours meilleurs concernant les adaptations de jeux vidéo au même titre que Warcraft, il en ressort un film qui a réussi à faire tous les mauvais choix scénaristiques possibles en tombant dans chacun des pièges inhérents au matériau de base. Fallait le faire…

Assassin’s Creed, de Justin Kurzel – Sortie le 21 décembre 2016

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