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BIFFF 2018 : la Masterclass Guillermo del Toro
Une tradition au Brussels International Fantastic Film Festival est de demander au réalisateur ou à l’actrice venue présenter son film de chanter une chanson. Beaucoup jouent le jeu et improvisent quelque chose. Pour sa masterclass, Guillermo del Toro est venu avec une troupe de mariachi et a repris Cielito Lindo (en vidéo à voir ici).
Le réalisateur oscarisé de la Forme de l’Eau s’est ensuite installé pour évoquer sa carrière dans les grandes largeurs, de Cronos à son dernier long métrage au rythme des questions posées par le réalisateur belge Fabrice du Welz qui n’a pas caché sa passion pour le travail du Mexicain. En voici non pas les meilleurs moments mais presque l’intégralité.
Qu’est ce qui vous a amené à faire du cinéma ?
Quand j’étais enfant, je pensais que les films étaient quelque chose qui existait vraiment, que les gens enregistraient. J’ai trouvé un livre dans la bibliothèque de mon père à propos de « ce qu’on veut faire plus tard ». J’y ai vu un passage sur les cascadeurs, puis j’ai trouvé la page « réalisateur » et ça m’a beaucoup plu. Mon père avait une caméra Super8. Mes jouets se sont tués et on a développé la pellicule pour qu’on puisse la visionner sur le projecteur de mon père. C’est une des plus belles choses que j’ai vu. Maintenant les choses ont changé, tout le monde a un iPhone
Ça nous amène à votre premier film, Cronos, et à son ouverture sur un livre d’alchimie, l’alchimie qui transforme la matière en émotions. Et c’est un de vos buts, pas seulement dans vos films mais aussi dans la vie.
Si vous regardez Cronos ou la Forme de l’Eau, les films ont beaucoup en commun. Dans Cronos, l’un des personnages principaux est silencieux comme Elisa. Et dans les deux, il est question de montrer que l’extraordinaire n’est pas d’être craint mais d’être aimé.
Un autre thème commun est la transformation, par volonté ou par croyance. Le personnage de Sally Hawkins est marquée par une tragédie, et elle en a des cicatrices sur son cou, traces qui vont se transformer pour la faire vivre à nouveau.
Le cinéma de genre permet de transformer des concepts parfois enfantins en des choses visuelles magnifiques, artistiquement géniales ou thématiquement importantes. Je pense que c’est le rôle de l’artiste de dire « fuck you » au monde et de transformer de la matière noire en espoir. C’est l’essence de l’alchimie.
Au Japon, il existe une notion qui dit que rien n’est permanent et que l’imperfection est belle. Le « kintsugi » est l’art de réparer la porcelaine avec de l’or.
C’est aussi l’idée de l’immortalité qui traverse vos films…
Je pense que l’immortalité, c’est de s’en foutre [not give a fuck]. C’est un concept très mexicain ! Je pense que c’est le cas dans Cronos où tout le monde est concerné par la mortalité, sauf la petite fille. La beauté de notre part, c’est que rien n’est permanent. Si c’était permanent, les films seraient si tristes.
Pour Crimson Peak, on a créé une maison entière où tout fonctionnait vraiment, y compris la plomberie. On l’a détruite après avoir fait le film. La beauté de ce geste, c’est que ça n’était pas permanent mais que c’était important.
Comment était-ce d’être un réalisateur de films de genre dans les années 90 au Mexique ?
Ma génération a commencé à faire des films quand le cinéma mexicain était simplement illégal. La sœur du Président Mexicain de l’époque détestait les films mexicains. En tant que responsable de la cinémathèque nationale, elle a alors confié un budget au réalisateur Sergei Bondarchuk qui a tourné un film appelé Les Cloches Rouges, sur le journaliste communiste John Reed, qui avait fait un reportage sur la révolution mexicaine. Et la cinémathèque a brulé. C’était un épisode sombre pour le cinéma mexicain et c’est alors que ma génération est arrivée. On a rejoint un groupe de cinéastes contestataires. C’était une cause perdue, mais elle méritait se de battre pour elle. Il n’y avait ni argent ni prestige. On voulait juste raconter des histoires dans lesquelles on pouvait culturellement s’identifier. A chaque fois qu’on me demandait un exemple du cinéma mexicain, je répondais « moi, putain, je suis mexicain ». Chaque fois que je fais un film, c’est un point de vue mexicain.
On a créé un festival au Mexique il y a vingt trois ans et il existe toujours. Je vendais les tickets moi-même, je projetais les films, je les introduisais… C’est la même année qu’on a créé une école de cinéma à Guadalajara. Le matin on était étudiants et l’après-midi nous étions les professeurs. La leçon à en tirer, c’est que quand on veut très fort un rôle, on n’attend pas qu’il arrive, on le crée. Avec ça en tête, dix ans avant Cronos, je me suis entrainé à faire des effets spéciaux. Je n’avais personne pour faire des effets spéciaux pour Cronos donc j’ai fait ce qu’il fallait pour les avoir. J’ai créé ma propre société qui fait des sculptures, de l’optique, du compositing… tout.
Quand le régime mexicain a changé, il fallait un an et demi à un réalisateur pour que son projet soit approuvé. Et quand c’était un film de genre, on n’obtenait rien. Un film de vampires devait être financé par le privé selon eux, même si le cinéma de genre est un art comme les autres. Ils voulaient voir les storyboards, qu’on faisait, les objets que je fabriquais avec mon propre argent pour obtenir le financement voulu.
On a fini par faire Cronos et mon producteur m’a alors dit que c’était un horrible film, que personne n’en voudrait. On l’a montré à Cannes, et ils nous ont soutenu du bout des lèvres. Et on a fini par gagner le prix de la Semaine de la Critique. Aucun film mexicain n’avait rien remporté à Cannes depuis trente ans. Ca ne les a pas empêché de refuser de financer l’Echine du Diable.
Est-ce vrai que vous faites une voix de monstre dans chacun de vos films ?
Oui, dans Cronos je fait le bruit de l’insecte. J’avais un petit projecteur Super 8 avec deux pistes. Sur l’une des pistes, je faisais les voix de mes personnages et sur l’autre je faisais les bruitages. Avec une cassette on peut faire le bruit d’ouverture d’une porte de voiture. J’aime toujours faire le bruit des ailes des oiseaux. Dans La Forme de l’Eau, je fais une partie des voix de la créature, quand il est heureux. Je suis l’un des kaijus de Pacific Rim aussi. Dans l’Echine du Diable, je fais la respiration du fantôme.
Quelque chose m’a frappé en préparant cette masterclass : vous croyez que les insectes sont des fées, et je trouve que c’est une manière formidable de voir les choses.
C’est amusant : chaque fois que je rencontre quelqu’un que j’aime à Paris, c’est un Belge ! Vous êtes cinglés ! Il y a un sens de l’humour, de l’ironie et de la beauté qui est très belge.
Quand j’étais jeune au Mexique, je pouvais lire des livres sur la peinture, Monet, Mannet et en même temps lire Jack Kirby. Il n’y a pas de notion de bonne ou de mauvaise culture. Ce sont des idées non linéaires, qu’on a en Belgique comme au Mexique. Et donc, petit garçon, j’adorais regarder les insectes. Je ressemblais au fils de Rutger Hauer, tout maigre, blond. Je boutonnais mes chemises jusqu’en haut. Et je pouvais observer les insectes pendant des heures dans le jardin de ma grand-mère. Il y avait des insectes, des cafards, partout chez elle et ça m’a fasciné. Je croyais que les insectes étaient des anges, que Dieu avait nourri la Terre avec des insectes. Ils sont à la fois parfaits et effrayants. Je crois que la manière dont on se forge son imagination pendant nos dix premières années deviendra la manière dont on voit le monde par la suite. On peut évidemment le travailler mais nos sens sociaux, amoureux, culturels, politiques viennent de nos premières années. Moi je croyais que les adultes étaient stupides et que la vérité se trouvait dans les films d’horreur.
Je me suis retrouvé dans La Créature de Frankenstein. Et je pense que, une fois que vous avez compris vos défauts, ils deviennent des qualités. Ca se retrouve dans le premier film de Kubrick, Fear and Desire. Le film est très lourd, un peu bizarre. Mais tous les défauts que vous voyez à l’écran deviennent le style du réalisateur. Tout ce que les gens vous disent de ne pas faire deviennent des choses que vous devriez faire. Ca m’a convaincu de faire un film musical et mélodramatique sur une créature amphibienne et une femme muette.
Après Cronos, vous avez fait votre premier film américain sur des cafards géants…
On n’en a déjà fini avec Cronos ? Je ne faisais que commencer !
Après Cronos, j’ai été sans emploi pendant cinq ans. C’est ce que je veux vous dire, parce que l’histoire que vous avez entendu a l’air d’être un conte de fée mais la réalité était bien différente. Laissez moi donc vous raconter la partie pourrie. J’ai notamment proposé une version western du Comte de Monte Cristo à Francis Ford Coppola, que j’aurais réalisé. J’ai écrit un autre projet, « Le Pont de Mephisto », que personne n’a voulu financer. J’ai écrit une adaptation personnelle de La Liste des Sept, le roman de Marc Frost. J’ai développé cinq ou six scénarios. J’ai été appelé par Bob Weinstein de chez Miramax, studio bien connu pour être un champion de la production mais aussi connu pour être des enfoirés [« motherfuckers »]. J’y suis allé avec précaution. Bob Weinstein a été charmant. Il m’a proposé de choisir un projet, et j’ai choisi Mimic, et d’en faire un court-métrage. A l’origine, l’histoire était celle d’un homme-scarabé qui se reproduit en petits insectes humanoïdes. J’y ai vu quelque chose, j’ai écrit une version courte que j’ai pitchée à Bob, dans laquelle Mira Sorvino se fait enlever par une créature dans un tunnel. Bob m’a alors proposé d’en faire un long. J’ai eu l’idée de faire en sorte que l’insecte ne soit pas le monstre, mais manipulé par la volonté de Dieu. Ce n’est pas le film que vous avez vu en DVD !
Le processus m’a pris des années, des années de désaccord pendant lesquelles j’ai appris à me battre. Cinq ans pendant lesquels on m’a emmerdé. Et plus jamais. Je préférerais ne plus faire de film et ouvrir un stand de tacos. J’ai souvent pensé, avec Mimic, Le Labyrinthe de Pan et La Forme de l’Eau que ça aurait pu être mon dernier film. J’ai tout donné en me disant que je pouvais quitter la scène là-dessus.
Le tournage de Mimic vous a presque tué
Oui. Pour vous donner une idée, le premier jour du tournage je me suis disputé avec les producteurs jusqu’à six heures du matin alors qu’on tournait à midi. Je me suis battu jusqu’au matin pour que l’un des personnages ait des lunettes. Ils m’ont dit « c’est le héros, il ne peut pas avoir de lunettes. » J’ai répondu « mais putain de quoi vous parlez ? ». Je suis sorti triomphant au petit matin avec des lunettes.
J’ai aussi appris cette fois-là qu’il fallait commencer le tournage par des choses qui montrent ce qu’on est capable de faire, que les producteurs trouvent ça fantastique dès les premiers rushes, qu’ils en aient pour leur argent. Alors qu’on a l’habitude de commencer par tourner ce qui est facile. On a commencé par tourner une scène d’hôpital jusqu’au coucher du soleil. Je me suis effondré chez moi en rentrant. Et cinq heures plus tard j’avais un coup de fil de Bob Weinstein qui avait vu les images, et m’a demandé d’où venait cet hôpital qu’il ne connaissait pas. J’ai su que ça n’allait jamais être facile.
Après ce film, vous êtes devenu plus pointu. Vos films devaient être vos bébés, vous deviez en avoir le contrôle.
Les Mexicains, comme les Japonais, sont très efficaces. Nous sommes très gentils jusqu’à ce qu’on vous tue avec une machette. Il faut juste savoir qu’il y a une ligne à ne pas franchir, qu’elle est réelle.
Le message qu’on donne aux enfants est : « être gentil, c’est bien. Être violent, même verbalement, ne l’est pas. » Mais ce n’est pas la réalité, qui a plus de nuances. Quand vous êtes faibles, vos producteurs se demandent si vous savez ce que vous faites et ça finit par créer plus de peurs. Il faut être gentil mais fort.
Ça nous amène à l’Echine du Diable, qui devait être à la base un film mexicain…
Exact. Mais deux amis espagnols, Antonio Trashorras et David Muñoz, m’ont fait lire des scénarios dont un qui a retenu mon attention. Il se passait en Europe de l’Est. On a alors discuté pour faire le film pendant la Guerre d’Espagne.
Après avoir réinventé le film de monstre avec Cronos, vous bousculez les règles avec L’Echine du Diable, où les fantômes peuvent être des émotions.
Les choses qu’on contrôle dans la vie sont celles dont on ne parle pas. C’est le fantôme dans la vie de chacun. J’ai pensé que ce serait bien de faire un orphelinat rempli de secrets, que chaque secret contrôle quelqu’un. La peur, les regrets, la perte… Il y a des personnages marquants qui ont tous quelque chose de particulier.
Je voulais aussi faire un film où on ne voit jamais la guerre pendant laquelle il se déroule. Pensez à la vie politique actuelle, et comment elle influence votre vie quotidienne. Comment le Président Américain a changé le monde alors qu’il est à une distance incroyable. Je voulais montrer l’influence de la guerre sur cet orphelinat, avec un vrai fasciste, un garçon, un Républicain…
A ce moment là, vous aviez alors déjà l’idée de faire Hellboy avec Universal ?
Oui et j’ai rencontré certains acteurs que je voulais comme Ron Perlman. J’ai rencontre aussi un grand producteur toujours actif qui voulait soutenir le film mais qui voulait le faire sans Perlman. J’ai tenu bon. Il m’a fallu huit ans pour faire Hellboy.
Vous avez découvert le comic Hellboy pendant le tournage de Mimic ?
Oui je connaissais les travaux de Mike Mignola avant cela, dont Rocket Racoon et Cosmic Odyssey. Il est devenu l’artiste qu’on connait grâce à Dracula et Gotham by Gaslight. Puis est arrivé Hellboy, et c’est mon seul bon souvenir de Mimic. J’allais tous les mois dans une boutique de comics pour acheter le nouvel Hellboy.
Si on montre vos monstres à quelqu’un qui ne connait pas votre oeuvre ni leur contexte, il peut les trouver ridicule. Mais dans Hellboy vous avez intégré directement cet aspect ridicule…
Chacun de mes films peut-être perçu comme ridicule. Mon premier film est un mélodrame mexicain à propos d’un vampire vieillissant, le second à propos d’un cafard géant. Chacun de ses pitch sonne autant ridicule que j’aime ces films et que je ne veux pas les foirer.
Je ne m’intéresse jamais au quoi. Je m’intéresse au quand, qui, comment et où ? Toutes les histoires ont déjà été racontées. Donc la manière dont on les résume avec des éléments extérieurs inédit, comme si on mélangeait un donut avec du caviar, c’est ce qui les rends intéressantes. Quand Hellboy est sorti, c’était l’histoire de mecs bleu et rouge qui travaillent pour le gouvernement et voyagent dans un camion poubelles. J’ai toujours cru au fond de moi que mes films devaient exister, que quelqu’un devait faire un drame avec romance gothique qui soit tout sauf romantique, ou un drame entre une créature et une jeune femme muette.
Les gens opposent parfois certains de vos films plus intimes, personnels et vos gros blockbusters. Pourtant pour vous c’est la même chose ? Vous y mettez le même coeur ?
C’est pour ça que je fais 160 kilos ! Je ne bois pas, je ne fume pas. Je mange. Et c’est le résultat de dix films qui n’auraient jamais dû être faits.
Il y a deux types de réflexion : ce qui a déjà été fait et ce qui devrait être fait. Ce qui devrait être fait est toujours la meilleure solution. Pacific Rim, c’est un film de basket où le champion que personne n’apprécie revient pour le match final, comme dans Le Grand Défi avec Gene Hackman. Pensez à un tango ou à de la valse : il y a une série de pas, de figures à respecter. Mais personne ne cherche jamais à les dépasser. Moi je prends des images classiques, communes et je les fais exploser.
Prenez La Chambre à Coucher de Vincent Van Gogh. Est ce que c’est juste un putain de lit avec une fenêtre ? Le vrai pouvoir du cinéma ne repose pas sur les personnages et les anecdotes. Il repose sur la manière de raconter une histoire avec de la lumière, des ombres, du son, de la musique, des couleurs jusqu’à ce que la magie se produise.
C’est quelque chose qui se perd. On manque d’images légendaires. Si vous fermez les yeux là tout de suite, vous pouvez visualiser les ascenseurs de The Shining dans votre tête. Vous pouvez voir Gene Kelly et sa lampe sous la pluie. Mais pour des productions plus récentes, notamment à la télévision, on se souvient surtout des moments et pas des images. C’est pour ça qu’il faut continuer à écrire de manière audio visuelle.
Vous avez une manière particulière d’écrire. Pouvez-vous nous dire comment vous écrivez vos scripts ?
Prenons l’exemple de Labyrinthe de Pan. Un script normal montrerait une fille qui lit tout le temps, et qui va chez le libraire. Le beau-père brulerait les livres. Moi je montre qu’elle a beaucoup lu et qu’elle a beaucoup d’imagination, à travers l’histoire que je raconte. C’est tout. Je n’ai pas besoin de montrer qu’elle a lu beaucoup.
Je pioche aussi beaucoup dans les règles des contes de fées, notamment celle qui consiste à dire qu’il faut accepter ce qu’on voit comme une princesse qui vivrait au sommet d’une montagne de verre. C’est que j’ai fait dans Pacific Rim et son univers. Mon film est la suite de quelque chose que personne n’a vu. Je n’ai pas expliqué comment ils construisent les robots ni d’où viennent les monstres, on s’en fout. Tout ce qu’il faut pour le comprendre est dans le film.
Ne pensez-vous pas que le problème vienne des films de destruction de Roland Emmerich ou de la saga Transformers ?
Vous conduisez votre voiture parce que vous l’aimez. Moi je m’habille n’importe comment mais j’aime mes vêtements et je me sens à l’aise. Je fais mes films et si j’ai de la chance j’en fait un autre. Abraham Lincoln a dit « les gens qui aiment cette sorte de choses trouveront dans ceci la sorte de chose qu’ils aiment » [People who like this sort of thing will find this the sort of thing they like]. Ca se sont mes films.
Je suis cet arbre dans votre jardin depuis 25 ans, je vous donne de bons fruits. Mais si vous n’aimez pas les fruits, ne vous approchez pas de moi. Laissez les fruits à quelqu’un d’autre.
Revenons à Blade II. Vous y avez développé des outils cinématographiques. Beaucoup de films actuels y compris chez Marvel y reviennent.
J’ai tout tourné dans Blade II, il n’y avait pas de seconde équipe. L’action que j’avais déjà filmée dans Mimic était bien petite comparée à Blade. Dans Blade j’ai essayé d’apprendre moi-même à filmer de l’action. J’ai visionné tous les rushes du premier film, tous, pour faire quelque chose de différent. Il avait des plateaux à trois ou quatre caméras. J’ai monté un setup avec treize caméras, réglées pour s’enclencher quand elles se croisent. J’ai beaucoup appris en regardant des classiques de kung-fu et quelques films récents comme Iron Monkey 2, je me suis rendu compte qu’ils étaient filmés très différemment du western.
Je suis allé aussi voir Wesley Snipes pour lui dire que je ne comprenais pas Blade. Parce que si je vivais dans son univers, j’irais avec les vampires en disant aux humains d’aller se faire foutre. Je lui ai dit que s’il prenait soin du personnage, je le filmerais comme un dieu.
Vous avez fait l’inverse de Marvel, qui se fout de ses méchants. Vous, vous avez tout misé sur le méchant.
Pour moi l’histoire de Blade II est d’abord celle de Nomak. J’aurai aimé qu’il finisse bien.
Passons à Crimson Peak. Tous vos films sont sensuels mais il vous a fallu neuf films pour parler de sexe. Qu’est ce qui vous a retenu ?
J’étais un bourgeon tardif. Crimson Peak a été très mal vendu. Tout le monde savait qu’on faisait une romance gothique, mais il a été vendu comme un film d’horreur. C’est pourtant quelque chose de très intime, dans lequel je parle d’une fille qui peut comprendre et rejeter l’amour. Elle tombe amoureuse et découvre que son amour est un monstre qu’elle peut aimer.
Dans La Forme de l’Eau, je ne voulais pas rendre l’amour physique, du moins jusqu’à ce que la créature mange le chat. On passe nos vies à montrer un coté de nous qui n’est pas nous-même. Notre vraie personnalité n’émerge que tardivement dans une relation.
La manière dont le film a été vendu a brisé mon cœur. A l’époque, j’ai trouvé ma consolation dans Adventure Time. Les gens qui aiment le film, heureusement, l’aiment pour de vraies raisons.
Tous vos films commencent par une voix off. Et au début de l’Echine du Diable, elle demande ce qu’est un fantôme. Vous avez répondu à la question dans l’ouverture de Crimson Peak : « les fantômes existent ». Etait-ce volontaire ?
Quand j’ai fait l’Echine du Diable, j’avais entendu un fantôme. J’en a entendu un deuxième en faisant Crimson Peak. La deuxième fois, je faisais du repérage pour le Hobbit en Nouvelle Zélande dans un hôtel. Je descends toujours dans des hôtels hantés, et je demande toujours la chambre hantée. Il ne se passe jamais rien. Sauf cette fois-là.
Une fois je suis allé dans un hôtel hanté à Londres avec Mike Mignola et Danny Elfman, dans une chambre où une fille s’était suicidée. On s’est dit qu’on allait rester dans la chambre chacun notre tour quand on a entendu un bruit bizarre. C’était le téléphone d’Elfman ! Il ne s’est rien passé d’autres. En Nouvelle Zélande, on a fait ouvrir un hôtel pour l’équipe de repérage. Et ils m’ont mis dans la chambre hantée. J’y ai regardé The Wire sur mon ordinateur et au moment où Stringer Bell était à l’écran j’ai entendu une femme se faire tuer. C’était le cri le plus horrible que j’ai entendu, cri qui se déplaçait avec moi dans la pièce. J’ai aussi entendu un homme pleurer. Et j’ai fini la nuit en regardant The Wire.
Le pire, c’est que je suis un Mexicain sceptique. Pourtant, j’ai entendu deux fantômes et vu un OVNI.
On n’a plus beaucoup de temps mais il faut évoquer Le Labyrinthe de Pan et sa musique, de Javier Navarrete.
Laissez moi vous raconter la partie négative du Labyrinthe de Pan. J’ai pitché le film à tous les studios, à toutes les maisons de production possibles. Et tout le monde a dit non. J’ai appris de ça. Donc quand j’ai pitché la Forme de l’Eau, j’avais avec moi des dessins, une maquette de la créature, des aides visuelles pour aider à comprendre. On a fini par faire Pan en Espagne en coproduction avec Wild Bunch pour 13 millions d’euros.
J’avais déjà travaillé avec Javier Navarrete. Sur Pan, je lui ai dit que je voulais la mélodie avant de tourner le film parce que l’actrice allait la chantonner. Il fallait quelque chose à la fois beau et mélancolique, de facile à retenir, qu’on puisse la siffler. Javier a fait une de mes trois bandes originales préférées avec celle d’Alexandre Desplat sur La Forme de l’Eau et celle de Marco Beltrami sur le premier Hellboy.
Le film fait pleurer. Comment faites vous pour atteindre ce niveau d’émotion ? Tout était conscient quand vous avez tourné ?
A moitié. Pan était presque aussi difficile à tourner que Mimic. Tout ce qui pouvait se passer de négatif s’est passé. On devait tourner dans une forêt, on l’a fait pendant l’été le plus sec de l’histoire de l’Espagne. Tout était sec. On a dû renforcer la verdure avec du faux. On a peint la mousse sur les arbres. Hors champs, tout ressemble à un désert. Les armes ne tiraient pas par crainte d’incendie, les acteurs faisaient semblant. Pas d’explosion non plus. On a utilisé des canons à air avec de la boue.
Je mets en opposition la beauté et la violence. La beauté est complètement sincère. La violence doit donc l’être aussi.
Le Labyrinthe de Pan était une étape importante dans votre carrière. Le regard du public a changé sur votre carrière. Le film a été montré à Cannes et Wong Kar Wai qui présidait l’a vu avec ses lunettes de soleil.
On a eu une standing ovation de 23 minutes. Mais je crois que la perception des gens a changé avec l’Échine du Diable et même si le film est sorti très proche de Blade, entrainant des confusions. Ca ne m’a pas empêché de faire les films que je voulais.
1 commentaire
par tracevol
Merci pour l’article, la traduction/résumé, la vidéo, bref un grand merci ! :)