La grande majorité de la carrière de Guillermo del Toro a été consacrée aux monstres. Des franquistes du Labyrinthe de Pan aux kaijus de Pacific Rim en passant par la créature de la Forme de l’Eau, le réalisateur mexicain nous a montré les monstres sous toutes les coutures, en expliquant régulièrement qu’ils ne sont pas tous mauvais comme on pourrait le croire. Le voir s’attaquer à l’histoire de Frankenstein n’est finalement que la suite logique.

Il en résulte peut-être le plus beau chef d’œuvre de 2025.

Reposons quelques bases. Frankenstein n’est pas, contrairement à la croyance populaire, la créature (qui n’a pas de nom) popularisée par Boris Karloff dans le film de 1931 et bien connu pour sa tête massive et ses vis dans le cou mais bien son créateur. L’histoire, basée sur le roman épistolaire de Mary Shelly « Frankenstein ou le Prométhée moderne » raconte comment un scientifique du milieu du 19e siècle donne vie à un corps composé de différentes personnes décédées, un « monstre » qui va chercher à se venger de son créateur.

Guillermo del Toro reprend pour sa version la structure enchassée du roman de Shelley, dans laquelle plusieurs récits et points de vue se croisent. On commence donc sur un bateau coincé dans la glace quelque part vers le Pôle. Et par un équipage qui va découvrir Victor Frankenstein, mourant, tentant d’échapper à sa créature. On va alors d’abord suivre l’histoire du scientifique, une première partie où tout repose sur Oscar Isaac, brillant.

Le charisme de l’acteur et la maestria de Del Toro font qu’on se prend vite au jeu, de ce qui n’est pourtant au début que des intrigues de couloir, où un scientifique tente de faire vivre ses théories. Le soin apporté aux décors, aux costumes, et la sublime photographie de Dan Laustsen magnifient. C’est beau, addictif, passionnant.

Mais s’il y a un certain classicisme dans le récit de Victor Frankenstein, la seconde partie est plus surprenante. Une fois la créature vivante, c’est son point de vue à elle qu’on va suivre. Exit la laideur. Pour le rôle, Guillermo del Toro a fait appel à une bombe atomique en la personne de Jacob Elordi, vu dans la série Euphoria et dans le rôle d’Elvis Presley. L’acteur, bien que couvert de prothèses et de maquillages pour rendre les cicatrices apparentes, a des traits à l’opposé de ceux de Karloff. Il apporte une douceur infinie à un personnage perdu dans un monde auquel il n’appartient pas, un « monstre » avec des guillemets, qu’on considère comme tel parce qu’il bouillonne d’une colère justifiée. Par ici, on repense beaucoup à une scène campagnarde où le personnage croise celui de David Bradley, où la créature est prise pour l’esprit gentil venu d’une forêt (et qui rappelle que Del Toro a failli réaliser le Hobbit).

Citant directement l’illustrateur Bernie Wrightson, épaulé par un Alexandre Desplat en grande forme, Guillermo del Toro livre une très belle oeuvre qui sonne, pour le réalisateur, comme son film-somme. L’aboutissement d’une carrière à raconter les monstres. Son Frankenstein est un mélange de Pan (pour la violence brute, notamment) de la Forme de l’Eau et Crimson Peak (pour le coté gothique) et du roman de Shelley, qu’il adapte à la lettre autant qu’il trahit.

A l’heure de l’industrialisation du cinéma, de la crainte d’une IA qui fera perdre des emplois au milieu, Guillermo del Toro s’impose comme un petit artisan qui fait encore tout à la main avec talent, tout en résistant corps et âme à l’envahisseur virtuel. Et son Frankenstein est à la fois une œuvre sublime et exactement ce qu’on attendait de lui.

Frankenstein, de Guillermo del Toro – Sortie sur Netflix le 7 novembre 2025

Ecrire un commentaire