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Un Dimanche, Une Critique : Sunshine
Je pourrai faire un jeu de mot sur le temps grisâtre qu’il fait dehors en ce dimanche et le titre du film mais je vous en dispense. En réalité, on va plutôt parler science-fiction avec le réalisateur de 28 Jours Plus Tard.
Un Dimanche, Une Critique de ce 16 mai 2010 est consacré à Sunshine, de Danny Boyle.
Sunshine – Sorti le 11 avril 2007
Réalisé par Danny Boyle
Avec Cillian Murphy, Chris Evans, Rose Byrne
2057. Le soleil menace de s’éteindre et de condamner son système à partir avec lui. Sept ans après une première mission échouée, le vaisseau Icarus II et son équipage de huit astronautes sont sur la dernière ligne droite en direction de l’étoile mourante. Leur mission: faire exploser une bombe en son centre pour raviver sa flamme…

L’homme ferait-il face à ses propres démons?
Impressionnante, la capacité qu’a Danny Boyle de s’attaquer à tous les sujets avec talent et intelligence. Pour la première fois, le réalisateur britannique quitte la surface de la Terre avec Sunshine, ambitieux projet de science-fiction qui évacue l’humour grinçant de ses premiers films au profit d’une analyse en profondeur de la psyché et du comportement humain en conditions extrêmes.
Un soleil mourant, une espèce en danger, huit astronautes et leur dernier espoir en forme de bombe placé au cœur de leur vaisseau spatial. Pas mal, comme situation de départ un brin cynique (la création scientifique la plus destructrice manufacturée par l’humain est censée lui apporter le salut). Autre paradoxe parfaitement cohérent: l’observation d’une race entière réduite à quelques individus, tous pareils, tous différents face aux questions qu’ils n’ont d’autre choix que d’affronter. Si certains films peuvent se regarder passivement, ça n’est jamais le cas de Sunshine. Le regard est, à cet égard, l’organe vital du métrage, aux sens propre comme au figuré. Chaque personnages apporte ainsi une vision différente de la mission. Capa est le scientifique rationnel qui retire tout sentiment de l’équation finale (alors que, ironiquement, il sera le plus amené à s’affronter lui-même), Cassie ne cherche pas à détourner ses yeux de la peur qu’elle ressent quant à l’issue de son épopée, Mace ne trouve refuge que dans sa ferme conviction en le bien fondé de l’expédition, Searle se crée une raison en cristallisant toutes ses émotion dans son culte de l’étoile, Harvey a détourné son regard vers la Terre, son foyer, et ne voit plus la lumière.
Autant de regards différents vers le passé, concept omniprésent que l’équipage devra conserver avec précaution au risque d’y sombrer (le noir, le froid absolu de l’espace) ou de se voir envahi par la promesse d’un futur qu’ils n’entendent pas encore (la lumière, la puissance aveuglante du soleil).
L’œil du spectateur, comme celui des personnages, est ainsi confronté à une opposition constante entre une sobriété technologique dominée par le noir, le gris et le bleu, et une luminosité naturelle à dominantes jaunes et rouges. Si le dernier acte de l’intrigue les fait se rencontrer brutalement, la première moitié offre de magnifiques plans créateurs de mises en abîme à travers les contrastes de couleurs (ou de non-couleur). Ainsi, le cinéaste donne vie à des scènes d’une grande puissance symbolique, comme la scène d’ouverture, où Icarus II, se dirigeant vers le soleil, dessine un œil omniscient qui renvoie son regard au spectateur ; ou bien quand les membres de l’équipage, réunis dans la salle d’observation, regardent la minuscule planète Mercure passer devant sa gigantesque étoile. L’esthétique du film est, à ce titre, une pure merveille, d’autant que tous les plans de grands ensembles dans l’espace, générés par ordinateur, sont d’un réalisme visuel époustouflant et bénéficient d’une mise en scène maîtrisée à la perfection. La réalisation de Boyle, qui constitue en quelque sorte son regard (et par extension le nôtre), se révèle être d’une redoutable efficacité à tous les niveaux: scènes anxiogènes à couper le souffle, ou manipulation des points de vue et de la narration qui servent une habilité rare dans l’art de brouiller les pistes, et de constamment remettre en question les acquis du récit (en particulier dans la dernière demi-heure).

Impressionnante, également, la faculté qu’a Danny Boyle de comprendre et d’assimiler ses références. Dans un univers descendant des grands cinéastes de SF (Kubrick, Tarkovski, Scott), le réalisateur et son scénariste Alex Garland se servent de leur héritage culturel pour emmener leurs personnages en territoire inconnu.
Bien que réorganisant ses éléments en fonction de sa diégèse, Sunshine adopte les poncifs du parcours initiatique: le chemin semé d’embuches, l’Autre omniprésent mais discret, les autres et leurs relations entre eux, le but insaisissable ; tous facteurs d’aliénation et de remise en question. La grosse différence ici, c’est qu’il n’y a pas vraiment de personnage principal, mais plutôt un groupe de quatre ou cinq protagonistes. Une des autres grandes forces du film réside ainsi dans l’écriture des actions et interactions, et du jeu des acteurs (Murphy en tête, mais aussi Evans, très loin de sa platitude des Fantastic Four). Tous les personnages auront donc au cours du film un moment de crise qu’ils devront affronter et surmonter s’ils veulent atteindre leur objectif. Cependant, l’évolution du film confine à pousser la notion de sacrifice humain dans ses retranchements, imposant aux personnages leur échec, et allant parfois jusqu’à leur refuser la rédemption.

Cette analyse comportementale face au sacrifice traite habilement une grande partie du spectre et atteint, dans le dernier acte, une intensité rare en science-fiction. Pivot de la réflexion, le « cinquième membre » est utilisé à différents niveaux: pur élément narratif d’abord, déclencheur des réactions chez les autres membres ensuite, ou enfin personnification du combat de tout un équipage déchiré entre désir d’abnégation et instinct de survie, avec tous les doutes, toutes les peurs que cela implique. L’existence même de cet élément est par ailleurs remis en cause par la réalisation, qui ne le montre jamais distinctement et le fait littéralement sortir de la lumière (et pas de l’ombre) pour expier les faiblesses des héros. Le dénouement du film est à ce titre un pur régal de mise en scène qui fait preuve d’une excellente gestion de l’espace, cohérente avec la volonté d’amener le spectateur à reconstituer la scène a posteriori, et ainsi en révéler une autre dimension (prêtez attention au fait que sur les trois personnages présents, jamais plus de deux à la fois sont montrés dans un même plan – à une exception essentielle près).
On peut aussi saluer bien bas le talent avec lequel le cinéaste construit son métrage, et plus encore ses vingt dernières minutes. En effet, entre développement substantiel et expérimentation formelle (parfois proche du clip mais jamais grossière), Boyle nous offre une expérience visuelle hors du commun, accompagnée d’une musique efficace et symbiotique signée John Murphy et le groupe Underworld. Enfin, il est important de souligner que la bonne gestion de tous ces éléments, leur dosage, et leur utilisation avec parcimonie sauvent l’œuvre du piège de la vaine SF intellectuello-contemplative dont le cinéma français nous a donné un triste exemple avec Dante 01.

Au premier abord, Sunshine peut passer pour un petit film de science-fiction sans conséquence, avec son synopsis pas franchement original, sa distribution d’acteurs honnête mais pas transcendante et l’idée pré-conçue qu’il s’agirait juste « du trip SF de Danny Boyle ». Grave erreur que d’ignorer cette introspection pertinente aux images sublimes et menée d’une main de maître, car Danny Boyle nous prouve, s’il était encore besoin, qu’il est un des meilleurs réalisateurs de sa génération tous genres confondus, et que la science-fiction intelligente n’est pas près de s’éteindre.
-Arkaron
2 commentaire
par Nouba
J’adore ce film. Excellente critique.