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Un Dimanche, Une Critique : Amer, de Hélène Cattet & Bruno Forzani

Selon la définition, un giallo est un film d’exploitation, souvent italien, à mi-chemin entre l’horreur, le fantastique, le policier et l’érotique et appartient à des cinéastes comme Dario Argento.
Un giallo français est sorti discrètement il y a quelques mois en salles et Arkaron a eu l’occasion de le voir tout récemment en salle à Dublin. Hasard complet du calendrier, il est également disponible depuis mercredi 27 octobre en DVD
En ce dimanche où on change d’heure, la critique du jour est donc consacrée à Amer.

Amer – Sortie le 3 mars 2010
Réalisé par Hélène Cattet et Bruno Forzani
Avec Cassandra Forêt, Charlotte Eugène-Guibbaud, Marie Bos
Ana affronte ses peurs et explore ses désirs à travers trois étapes importantes de sa vie: son enfance, son émancipation, et un retour aux origines…

Avant de commencer, je dois vous avouer plusieurs choses. Premièrement, je me permets d’utiliser la rubrique Un Dimanche, Une Critique pour rattraper un retard: en effet, Amer m’est passé sous le nez à plusieurs reprises lors de ses discrètes diffusions dans les salles françaises. Chance, le voilà programmé à Dublin, l’occasion d’avoir une réaction à chaud d’un public majoritairement anglo-saxon et amateur de films de genre sur une réalisation française (brisons le suspens: réception plutôt défavorable). Deuxièmement, je dois bien avouer que j’attendais de voir ce film avec une certaine impatience, d’abord parce que l’exercice est assez rare, ensuite parce que les critiques ont jusque là été très positives dans l’ensemble. Qu’en est-il donc selon moi?

Je comprends les critiques enthousiastes. Je comprends la faible capacité d’exploitation d’un tel film.

En entrant dans la salle, je m’attendais à voir un giallo comme à la bonne vieille époque. Quelle ne fut pas ma surprise! Car si le film répond bel et bien des principales caractéristiques du genre auquel il clame appartenir, son intention transcende de loin l’objet de frissons qu’incarnaient en premier lieu ses parents. Si une bonne partie de ces thrillers étaient de forme conventionnelle et ne dépassaient pas la dimension de satisfaction fainéante du spectateur, certains, au contraire, repoussaient certaines limites. C’est à vrai dire ce qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani se sont évertués à faire avec Amer.

Ainsi, les engrenages du giallo sont remaniés à plus ou moins grande ampleur: autrefois centre d’attention, le suspens est ici exploité dans un premier acte très efficace grâce à un découpage principalement suggestif, qui prend son temps pour installer l’atmosphère et n’hésite pas à faire quelques percées dans le fantastique. Par la suite, la tension passe au second plan, quoiqu’elle reste une composante indissociable du noyau expérimental du film: l’explosion de la sphère sensorielle.

Dès les premières scènes, les très nombreux plans resserrés sur les yeux, la bouche, ou les mains des personnages nous rappellent que les plus grands moments de Reazione a Catena ou de Suspiria envahissaient les sens du spectateur. Ici, il est évident que les cinéastes s’intéressent à l’essence même de leur moyen d’expression. Ainsi, l’univers se voit transformé, transfiguré même, en un lieu où les lois physiques doivent parfois se plier à la volonté des sens. Il devient alors légitime que les sensations de désir et de plaisir avant tout véhiculées par le film transcendent les limites du récit ordinaire, et que les personnages n’aient plus à se soucier ni de la logique topographique, ni même de la mort. Afin de renforcer l’efficacité de leur propos, les réalisateurs ont fourni un énorme travail sur les effets sonores, amplifiant les sons les plus sensitifs, et se débarrassant presque totalement de la parole (le voix n’étant pas un sens elle n’a pas sa place ici). Hélas, l’utilisation au début intéressante de la bande sonore devient vite répétitive, probablement parce que le procédé manque de variations. Concernant la musique, il y en tout et pour tout 5 morceaux de musique, souvent pour ouvrir ou conclure un acte, tous empruntés des années 1970.

À cette volonté référentielle, s’ajoute une maîtrise incontestable des lumières et de la mise en scène ; en effet Amer, comme tout bon giallo qui se respecte, recèle des compositions magnifiques. Compositions par ailleurs mises en évidence grâce à un montage impressionnant et maîtrisé, très axé sur les répétitions de plans à divers desseins: anxiété (premier acte), malêtre (2e), chaleur du corps (3e)… classement un peu grossier certes, car toutes ces sensations restent présentes en filigrane tout au long du métrage.

La manipulation de la grammaire cinématographique sert donc à mettre en évidence les caractéristiques du giallo, sans aucune autre considération que celle-ci: en résulte une puissance sensorielle absolument sans précédent, qui s’accumule de manière ininterrompue au sein d’un objet non-narratif. Soyons clairs sur ce point: Amer ne raconte rien, du moins rien d’abordable au premier niveau. Si les possibilités d’interprétations abondent à tout moment (dans las plans, la représentation des lieux, le découpage chronologique, ou même certains choix de montage), on ne peut s’empêcher de croire qu’au fond, toute tentative de reconstruction rationnelle du récit se révèlerait invariablement futile. En effet, en évitant d’entrer dans une trame narrative suivie, et en se faisant maîtres absolus de leur diégèse (la notion de réalisme est ignorée), les réalisateurs nous font comprendre qu’il n’est jamais question ici, de raconter une histoire, mais de la ressentir. Si ce choix de jouer avec les règles habituelles du récit se comprend, le résultat est également d’une logique inattaquable: un tiers de la salle s’en va, tandis qu’un autre s’ennuie ou se moque.

Amer est l’ultime objet d’expérimentation giallesque, le lieu où les sens phagocytent la notion impuissante qu’un film doit se comprendre, et fait renaître l’idée que l’émotion est la clé à la jouissance cinématographique. Est-ce votre façon de vivre le cinéma? Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir…

-Arkaron

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