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Un Dimanche, Une Critique : Red Dead Redemption

Quand Basile m’a rendu son papier pour la critique de ce dimanche, j’ai été pour le moins surpris à la première lecture. Mais après tout, ça permet de mettre le doigt sur ce qui devient une évidence : le cinéma et les jeux vidéo sont de plus en plus proches.

Pensez à L.A Noire qui utilise des techniques de motion-captures pour animer ses personnages, ou au réalisateur de The Prodigies qui vient de l’animation vidéo-ludique et se tourne désormais vers le 7e art. Prenez Heavy Rain qui tient plus du film interactif que du véritable jeu, prenez quelques acteurs de cinéma qui ont tourné dans le jeu vidéo (Mark Hamill notamment il y a bien longtemp ; ou encore les cut scenes de Jedi Knight, seules scènes de l’univers Star Wars tournée avec de véritables acteurs en dehors des films).
Souvenez-vous également de nombreuses cinématiques de jeux vidéo qui ont tout pompé sur le cinéma et où se dit que telle ou telle license pourrait faire un bon film.

Bref, le fossé est de moins en moins évident. Alors pourquoi pas, exceptionnellement, parler d’un jeu vidéo qui a des qualités narratives évidentes, des personnages attachants et de vrais dialogues de cinéma en consacrant ce Un Dimanche Une Critique à Red Dead Redemption.

Red Dead Redemption – Sortie le 21 mai 2010
Disponible sur Xbox et 360
Edité par Rockstar Games

 

Quoi ! Comment ? Un jeu vidéo, ici, en lieu et place du sacro-saint film du Dimanche ? Scandale, horreur ! Qu’on se rassure (?), cette intrusion sans précédent restera exceptionnelle. Et de fait, si le jeu d’aujourd’hui reçoit les honneurs (ahem…) d’être critiqué en ces lieux, c’est parce qu’il est lui-même exceptionnel. Son titre : Red Dead Redemption.

Développé par Rockstar San Diego et sorti sur Xbox 360 et PS3, Red Dead est un open world/jeu bac à sable/GTA-like qui se déroule dans un Ouest fictif au tout début du XXe siècle. L’expression de « western crépusculaire » n’est donc pas usurpée puisque la période dépeinte est bien celle des dernières heures de la conquête de l’ouest. L’univers du western n’est cependant pas un simple vernis posé sur la structure d’un GTA. Red Dead Redemption propose en en effet une expérience narrative encore plus poussée que les précédents titres de Rockstar.

Si les GTA et Red Dead ont un code génétique commun fait de références cinématographiques, le dernier né de Rockstar San Diego se démarque de ses grands frères en proposant enfin un personnage principal attachant. Tous les héros de GTA étaient des gangsters fadasses, de benêts sans trop de défauts gênants (jamais machos, jamais racistes, jamais psychos) qui permettaient au joueur une identification placide. Après tout, même si les qualités d’écriture des GTA ne sont plus à prouver, les jeux servaient surtout de terrain… de jeu justement, d’exutoire parfait pour donner libre cours à toutes nos pulsions de sales gosses les plus fofolles. Tout casser, piquer des caisses, affronter les flics, abattre les piétons sur un simple coup de tête, etc. Le charisme du héros n’était pas une donnée essentielle au plaisir de jeu, on suivait avec délice les dialogues over-the-top et on enchaînait les missions sans trop se soucier de l’arc narratif que vivait un Niko Bellic par exemple (GTA 4).

John Marston, le héros de Red Dead Redemption, semble sortir du même moule. Semble seulement, car si le début du jeu nous le présente comme un énième couillon qui cherche à se venger dans un bain de sang mais reste toujours poli avec les femmes (certes, certes c’est pas incompatible mais enfin on a un peu de mal à y croire), le constat est bien différent une fois avoir passé quelques heures dans sa peau. Et arrivé à la fin du jeu, on a tout simplement fait corps avec Marston.

Outre la qualité de l’intrigue générale, des dialogues ciselés comme jamais, des personnages hauts en couleurs (dont le formidable Dutch van der Linde, probablement le meilleur personnage du jeu, un salaud extraordinaire dont chaque apparition irradie l’écran de tension), ce qui fait le succès de cette identification au personnage phare, c’est l’ambiance. Car l’ambiance de Red Dead Redemption, c’est le joueur qui la construit.

Il est sans doute possible de finir le jeu à toute vitesse, en enchaînant les « missions », sans se préoccuper des à-côtés et en zappant même les cinématiques. Sans doute. Pour ma part, je ne connais personne qui a joué de cette façon. Les différentes interactions spontanées qui animent l’open world (la chasse d’animaux sauvages, l’aide aux victimes, les jeux d’argent, les défis d’adresse, etc.) permettent de créer autant d’ambiances pour composer « son » western. Car le jeu a intégré tellement de références du genre qu’il se permet de déployer une vaste palette allant du western zapatiste au classique fordien. La preuve la plus évidente étant la logique des trois zones de l’aire de jeu : plaines, mesas ou forêt enneigée. Le joueur amateur de westerns se trouve devant une formidable boîte de Legos dont chaque brique a été choisie avec soin par des concepteurs qui ont manifestement parfaitement intégré les fondamentaux et les spécificités du genre.

Le temps passé sur ses à-côtés (ou même à tout simplement flâner sur sa monture dans les vastes étendues) entre chaque mission renforce donc notre attachement à ce monde et insuffle un rythme organique à l’aventure puisque le joueur en est pleinement responsable. Ce qui tranche avec la logique filmique, où la durée est figée, donc incompressible et inextensible. Le choix de faire telle ou telle activité, de lui consacrer tant de temps, le choix donne l’impression (l’illusion ?) au joueur qu’il s’approprie le destin de John Marston, ce personnage qui peut être chasseur, pistolero, bandit, ivrogne, joueur de poker ou tout cela à la fois. Le joueur brode librement sur le canevas de missions qui constituent l’ossature du jeu et la nécessaire progression scénaristique.

Mais toute la narration ne repose pas sur des cinématiques, une partie de l’histoire est bien écrite par le joueur, à travers le gameplay. Et même lors de passages inévitables (la fameuse ossature scénaristique), la passivité n’est pas de mise. À l’image de cette fin, que l’on ne spoilera pas pour les bienheureux qui doivent encore la découvrir, qui place le joueur au cœur de l’histoire en le faisant agir, par opposition à la passivité engendrée par le visionnage d’une cinématique, aussi prenante soit-elle. Et cet épilogue implacable, puissant, qui se savoure d’autant plus qu’il faut venir le chercher car il est le fruit d’un choix, le mécanisme du jeu en open world permettant très bien de s’en passer.

Toute cette dimension de liberté contribue à créer une expérience narrative intense, qui sait se détacher de sa filiation assumée au cinéma. Une filiation saine car non servile, les références sont utilisées pour étayer une histoire qui n’est pas complètement écrite, et non pour faire des clins d’œil lourdauds et légitimer l’inclusion du jeu dans le genre western. Red Dead Redemption est une avancée majeure dans le médium du jeu vidéo, de celles qui donnent envie de voir ce qui nous attend dans les années à venir.

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