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Critique : American Sniper

Dès qu’on agite un drapeau étoilé et qu’on montre un soldat en armes, le public croit rapidement être face à une oeuvre de propagande militariste. En 1984, Bruce Springsteen chantait Born in the USA le poing levé et tout le monde croyait -sans écouter- que sa chanson relatant le retour au pays d’un vétéran de la guerre du Viêt Nam rejeté par ses concitoyens était un hymne en faveur de la guerre.

Aujourd’hui, Clint Eastwood réalise un film sur un soldat américain en Irak et tout le monde croit qu’il est pro-guerre. La méprise est la même et Alexis vous explique pourquoi le long métrage n’est pas ce qu’on pourrait croire.

Présenté dans une poignée de salles françaises ce dimanche, American Sniper sort dans les salles mercredi 18 février.

 

LA CRITIQUE

On en aura entendu des choses à propos d’American Sniper. Tout et son contraire, et bien souvent n’importe quoi. Nombreux ont été à trouver ce qu’ils étaient venus chercher dans le dernier film de Clint Eastwood, imposant à ce long-métrage une vision biaisée que son auteur s’est vu obliger de contester l’interprétation sous la pression de la foule et des médias, partis dans une toute autre direction. Foule impressionnante, puisque cette production Warner/Malpaso, sortie en décembre 2014 aux États-Unis, a atteint le top 3 de l’an dernier en terme de millions de dollars de recettes sur son territoire national.

Mais il faudrait déjà avoir une profonde méconnaissance de la filmographie de Clint Eastwood pour considérer d’office son American Sniper comme une œuvre pro-guerre, islamophobe, hyper patriotique… Du Maître de guerre à son brillant diptyque sur la bataille d’Iwo Jima, l’ancien acteur aura prouvé plus d’une fois son aversion pour la guerre, et notamment ce qu’elle engendre de plus terrible à l’échelle humaine.

Cette étiquette injuste que beaucoup essaient d’agrafer sur Eastwood tient du fait que ce dernier est plus familier de la politique républicaine aux États-Unis que démocrate (plus populaire parmi les artistes d’Hollywood). Ainsi, Clint serait devenu ce vieux réac’ acariâtre qui préfère tirer d’abord et parler ensuite. Donc, adapter l’histoire du soldat au tableau de chasse le plus impressionnant de toute l’histoire de l’armée américaine semblait couler de source pour développer son idéologie militariste sous couvert de la bannière étoilée. Bien, mais qu’en aurait-il été si Steven Spielberg l’avait mis en scène ? En effet, le réalisateur de Lincoln et du Soldat Ryan était le premier en lice pour se charger de porter sur le grand écran l’histoire de Chris Kyle. Faute de temps et d’argent, le projet sera passé de main en main à Clint Eastwood, pour le mieux, sans hésitation.

Ainsi, c’est un réalisateur de 84 ans qui signe le meilleur film de guerre de 2014 comme de 2015.

L’appel à la prière du muézine qui résonne dans les haut-parleurs, les chenilles d’un large tank qui se fraye un chemin à travers des ruines, le décor est planté en cinq secondes pour la première mission de Chris Kyle, perché sur un toit. S’ensuit sa vie antérieure qui le mènera à cet instant fatidique qui amorcera sa carrière d’assassin. Un parcours plongé dans une violence quotidienne, aussi bien dans la cruauté de la cour de récréation, qu’avec la confrontation à l’éducation d’un père autoritaire. Le Chris Kyle de Clint Eastwood est un texan comme un autre. Il boit de bières avec son frère, va au rodéo les week-ends, conduit des gros 4×4 et aime son pays. Le réalisateur est très attentionné envers ses personnages. Il ne dépeint pas un gros redneck stupide. Son Chris Kyle est quelqu’un de plutôt timide et de réservé et lorsqu’il affirme de but en blanc qu’il considère les États-Unis comme le plus grand pays du monde et qu’il fera tout pour le protéger, ce n’est pas par patriotisme exacerbé, la main sur le cœur devant le drapeau. C’est un humble bonhomme de l’Americana qui n’a pas encore voyagé de par le monde, mais qui croit néanmoins profondément dans ses valeurs.

La force d’American Sniper s’incarne alors avec un méconnaissable Bradley Cooper. L’image du dragueur beau gosse de Very Bad Trip ou des pubs Häagen-Dazs a disparue sous les kilos de muscle et de testostérone. D’une part, il faut applaudir la performance physique de l’acteur qui s’est littéralement transformé. Les quelques plans où ce dernier apparaît torse nu témoignent du travail accompli. Mais d’autre part, lui qui reposait sur la désinvolture pour interpréter ses précédents rôles se transcende également dans sa manière d’être ce héros de guerre. Ce personnage, à la mentalité assez simple au départ, va devenir de plus en plus retord au fil des tournées sur le front. S’engageant dans les Navy Seals après les attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salaam, Chris Kyle verra son parcours osciller entre la vie militaire et la vie civile.

Dans la première, les entraînements qui s’enchaînent laisseront la place aux prises de décision sur le terrain des opérations. Dans la seconde, sa relation compliquée avec sa famille qu’il essaiera de préserver coûte que coûte avec sa femme (Sienna Miller). Si ce film est tiré d’une histoire vraie, il ne cherchera pas à faire une hagiographie de ce personnage réel ni un récapitulatif minutieux de son impressionnant bodycount. Pour preuve, ses différentes missions ne sont pas datées ni situées. Les seules indications que nous laisse Eastwood à l’écran est la numérotation des tournées qu’il effectue en Irak. Face à l’Amérique, à son chez lui, c’est un monde lointain de la guerre que le réalisateur construit. Un monde urbain à moitié en ruines, où chaque ruelle se ressemble et les ennemis sont nombreux. Un monde qui finira happé par le désert dans l’ultime séquence de combat.

Cependant, la raison principale qui aura motivé Clint Eastwood d’adapter cette histoire n’est pas celle de faire un film sur la guerre en elle-même. Le choix de transposer le récit autobiographique de Chris Kyle avait de particulier que sa situation exceptionnelle était vantée par tous et partout. Or, cet homme très humble que nous propose Eastwood a dû mal à vivre avec cette subite notoriété. Pour lui, la guerre est son métier. Sa mission est de tuer les ennemis et de protéger ses frères d’arme. Rien de plus. Mais le malaise s’installe quand il devient malgré lui cette célébrité, où lorsqu’à chaque militaire qu’il croise il répondra « non, je ne suis pas une légende ». À croire que Clint aura mis un peu de cette humilité traditionnelle dans son personnage principal (encore une fois), n’étant pas cette figure charismatique du grand écran, mais un vieux monsieur qui continue de faire ce qu’il aime.

De Sarah Pailin à Michael Moore, l’immense majorité du public américain aura vu ce film pour de mauvaises raisons. Celles d’une œuvre louant les interventions militaires autour du monde, ultra patriotique, établissant un portrait au-dessus de tout soupçon d’un héros de guerre. Ce qui intéresse Clint Eastwood, c’est la transformation progressive de chien de berger en loup de cet homme, posée par le père de Chris Kyle dans le premier acte. Au fur et à mesure des tournées en Irak, sa psychologie est en vrac et se délite lentement. Eastwood aura parfaitement assimilé ce qu’expliquait Michael Cimino dans son Voyage au bout de l’enfer, avec une scène similaire à celle du retour de Robert De Niro du Vietnam. Après sa dernière tournée, Chris Kyle va se réfugier seul dans un bar alors que sa famille l’attend chez lui. Perdu, il ne trouve plus aucun endroit où partager sa solitude, ne pouvant plus vivre la guerre, mais non plus à la ville qui ne comprend pas ce qu’il traverse.

Si American Sniper est un film de propagande pour encourager les spectateurs à s’engager dans l’armée, sa mission est ratée. À ceux qui le condamnent sans l’avoir vu de délire patriotique, il faut les inviter à revoir Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima qui avaient cristallisé toutes les thématiques auxquelles Eastwood relie à sa vision de la guerre et de la destruction psychologique qu’elle engendre chez les vétérans. De plus, le seul drapeau véritablement mis en scène dans son dernier long-métrage n’est pas n’importe lequel et refroidit toute ambition belliciste. Le seul doute que l’on pourrait porter sur le projet serait de la bonne intention de la part de Clint Eastwood de raconter sa vision de la guerre à travers l’adaptation d’un personnage existant, plus flou et qui ne serait pas aussi blanc comme neige que l’on voudrait le croire.

 

American Sniper – Sortie le 18 février 2015
Réalisé par Clint Eastwood
Avec Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes
Tireur d’élite des Navy SEAL, Chris Kyle est envoyé en Irak dans un seul but : protéger ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve d’innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de « La Légende ». Cependant, sa réputation se propage au-delà des lignes ennemies, si bien que sa tête est mise à prix et qu’il devient une cible privilégiée des insurgés. Malgré le danger, et l’angoisse dans laquelle vit sa famille, Chris participe à quatre batailles décisives parmi les plus terribles de la guerre en Irak, s’imposant ainsi comme l’incarnation vivante de la devise des SEAL : « Pas de quartier ! » Mais en rentrant au pays, Chris prend conscience qu’il ne parvient pas à retrouver une vie normale.

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