Après Radiohead et les Beatles, Rian Johnson a choisi une chanson de U2 pour titrer le troisième opus de la saga “Knives Out”. Il s’agit de “Wake Up Dead Man” qui conclut “Pop”, album grandement sous-estimé du groupe irlandais et qu’on ne saurait que trop vous recommander (la team CloneWeb au complet est d’accord avec ça).
Après l’ambiance estivale et covidée de “Glass Onion”, Rian Johnson nous plonge avec “Wake Up Dead Man” dans une petite ville aux relents conservateurs perdue au milieu de nulle part.
C’est au coeur de ce décor superbe qu’un meurtre a lieu et pas n’importe où : dans une église !

Il suffit de lire les paroles de la chanson pour comprendre la thématique du film : on y parlera de religion, de questionnements sur la foi, la rédemption et même de remise en question des dogmes et de leurs textes sacrés. Marrant, ça nous rappelle un autre film de ce réalisateur…
Jesus
Jesus help me
I’m alone in this world
And a fucked up world it is too
Qui de mieux placé que Benoît Blanc pour enquêter sur ce “meurtre impossible” ? Le détective incarné ici avec plus d’usure et de fatigue que d’habitude par Daniel Craig est un athée convaincu de l’inutilité du christianisme entre misogynie, homophobie et corruption des esprits. Difficile de lui donner tort au regard de la mentalité dangereuse des suspects entre masculinisme, complotisme et repli sur soi…
“Wake Up Dead Man” rejoint la liste de ces films tristement prophétiques sur la deuxième ère Trump au même titre qu’un “Superman” et son ICE pour “aliens” ou encore “Une bataille après l’autre” – pour le racisme et la violence décomplexée de son groupuscule d’extrême-droite.
Esthétiquement et théoriquement parlant, Rian Johnson revient à une ambiance plus effrayante, plus gothique aussi, semblable à celle de “Knives Out”.
Le premier acte du film est d’une fluidité remarquable, porté par le point de vue de Jud, joué par Josh O’Connor. Son personnage de (hot) priest au sang chaud et à la foi immaculée est la plus belle idée du film.
Encore plus que Ana De Armas ou Janelle Monae, Jud est le personnage principal de “Wake Up Dead Man”, reléguant Benoit Blanc à un rôle secondaire, existant difficilement au sein de la communauté dévastée par le meurtre de leur prêtre.

C’est là le problème principal de “Wake Up Dead Man”, sans qu’on sache s’il est volontaire de la part de Johnson ou non. Contrairement aux autres films où Blanc restait tout de même le lien principal entre les personnages et l’audience, ici le détective n’a aucun arc propre, aucune interaction ou presque avec les suspects. Concrètement, et sauf pour quelques indices, Blanc aurait pu ne pas être dans le film que cela ne changerait grand-chose. Dommage de voir Johnson refermer la porte sur l’intimité du détective après les pans de sa vie privée dévoilés dans “Glass Onion”.
Surtout, même si le film reste très drôle, sa durée de 2h20 en fait un objet long et inutilement confus. Notamment dans sa deuxième partie qui, en dépit d’une réalisation élégante et de quelques moments de mise en scène très forts, accumule les twists sans queue ni tête sur plusieurs temporalités.
Au point de perdre quelques spectateurs au passage en tentant une approche surnaturelle – qu’on vous laissera découvrir et peut-être apprécier ?
Au bout du compte, “Wake Up Dead Man” nous emporte surtout, pour la foi immense que Rian Johnson a en Jud et surtout en la narration comme outil, comme religion.
Dieu est le narrateur suprême, la Bible est son roman ultime. Mais un auteur suprême n’est jamais aussi intéressant que quand il est remis en question.
Une idée creusée avec le personnage d’Andrew Scott, un auteur de SF (!) sur le déclin et qui tente de reconquérir son public avec une approche carrément alt-right de la narration.
On pense évidemment à CET autre film de Rian Johnson (toujours le même) qui parle d’un homme aux cheveux gris et longs qui est devenu un ermite, vivant dans un sanctuaire en compromettant ses idéaux.
Mais difficile de ne pas faire le parallèle entre Luke Skywalker et le prêtre Jefferson Wicks (joué par un Josh Brolin des grands jours). Ou encore entre Jud et Rey, deux apprentis en quête d’un mentor qui vont devoir passer outre pour tracer leur propre chemin. Ou encore entre la merveilleuse Glenn Close et… Yoda ?!
Bon, on pourrait continuer très loin dans le jeu des 7 ressemblances.
Mais il est passionnant de voir un réalisateur continuer à travailler la matière de son film le plus polémique dans un enrobage de murder mystery, quasiment 10 ans après sa sortie.
Alors que le monde, répétons-nous, devient un endroit de moins en moins bienveillant, où la religion / la Force sont utilisées à des fins purement personnelles plutôt que de servir la population à des fins humanistes et à l’élever spirituellement.
Une autre voie est possible, nous dit en substance le personnage de Jud, mais serions-nous prêts à l’entendre et surtout à l’accepter ?

Au fond, sommes-nous toujours enclins à écouter ce que nous dit Rian Johnson ? La réponse est oui. Malgré sa structure bancale et ses rebondissements prévisibles, le réalisateur termine joliment sa trilogie, même si son protagoniste principal est en retrait.
“Wake Up Dead Man” est censé être le dernier film du deal entre Netflix et le réalisateur.
On ne spoilera rien en disant que la fin est complètement ouverte, et que d’autres aventures de Benoit Blanc sont possibles.
Au cinéma ou sur Netflix, on ne serait pas contre revoir Rian Johnson continuer son Nouveau Testament des murder mysteries…
Jesus
I’m waiting here boss
I know you’re looking out for us
But maybe your hands aren’t free
Wake Up Dead Man : Une histoire à couteaux tirés, de Rian Johnson – Sortie le 12 décembre 2025