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Critique : La Comtesse

C’est sur les bons conseils d’Arkaron qui l’a vu à l’Etrange Festival que je suis allé voir La Comtesse de Julie Delpy. Excellente surprise que ce film racontant la vie de Erzsébet Báthory, comtesse hongroise du XVIIe siècle, un film historique (et sans anachronisme, pour une fois que les costumes sont bien d’époque) frôlant le surnaturel.
Voici la critique d’Arkaron.

Critique initialement publiée le 16 avril 2010
Film en salles ce 21 avril.

La Comtesse – Sortie le 21 avril
Écrit et réalisé par Julie Delpy
Avec Julie Delpy, Daniel Brühl, Anamaria Marinca, William Hurt
Erzsébet Báthory, la femme la plus puissante de la Hongrie du XVIIe siècle, sombre progressivement dans la folie suite à une rupture avec un jeune homme dont elle était éperdument amoureuse. Elle se persuade alors que le sang de vierges lui procurera jeunesse et beauté…


The Countess – Trailer
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Audacieux, le projet de Julie Delpy de retracer le parcours pour le moins atypique de la comtesse Erzsébet Báthory, entouré de légendes fortement ancrées dans la culture populaire hongroise. Pour ce faire, Delpy fait plusieurs choix. D’abord, elle choisit d’embrasser la légende de façon absolue, ensuite, elle se donne corps et âme à la production de son film: écriture, interprétation, réalisation, et composition. Résultat? Subjuguant. Un véritable tour de force qui laisse pantois face à une telle rigueur, un tel talent.

La première chose qui interpelle, c’est le parti pris narratif de la réalisatrice: le récit est rapide, concis, sans pourtant manquer de précision. Ainsi, le premier quart du film installe un décor, prépare solidement les fondations qui serviront plus tard à atteindre un degré de tension extrême. Toutefois, Delpy a pris garde de laisser assez d’élasticité à son monde pour se permettre de revenir sur des bases stables à tout moment. C’est ainsi que le crescendo du milieu du film peut sans danger retomber pour mieux préparer le climax. Le mouvement de la narration suit en cela le mouvement du personnage: d’un départ solide auquel ne manque rien sur la forme vient s’ajouter l’émotion et l’ascension de la Comtesse commence. Lorsque cette énergie lui est retirée, le récit s’apaise, et lorsque la folie l’envahie, celui-là repart. Avec sa caméra, Julie Delpy met superbement en valeur ses paysages et ses décors médiévaux. En résulte une esthétique sans faille, sobre, pertinente. Cette efficacité se retrouve dans la façon dont les acteurs sont filmés lors des scènes de romance. S’en dégage alors une beauté presque innocente qui n’a rien a envier aux images d’un Minghella, où l’acte d’amour est rendu pur comme très rarement sur un support aussi factice que l’écran de cinéma.

Si au commencement, le scénario se révèle somme toute classique (l’histoire d’amour impossible à cause d’une tierce personne), Delpy change brutalement de direction dans sa deuxième partie et plonge son personnage dans une folie furieuse et totalement irrationnelle entraînant par là même le spectateur désarmé avec elle. Impuissant, immergé, presque noyé, il est obligé de se rendre face à un enchantement de tous les sens et de tous les instants. Par le plaisir des yeux posés sur la nature, de l’ouïe à être pénétrée d’atmosphères baroques entêtantes, du toucher à éveiller la mémoire de la passion charnelle, et même du goût et de l’odorat dans son rapport presque symbiotique avec le sang, force vitale de l’être humain, la Comtesse Bathory devient le monstre que nous sommes tous.

La dimension narcissique du personnage s’étend jusqu’à la diégèse de l’œuvre. Chaque rôle secondaire est ainsi la personnification d’une force de pression qui s’exerce, avec plus ou moins d’influence, sur Erzsébet: son amant, Eros incarné mais impotent, est écrasé par la perversion du comte Vizakna, malgré les efforts d’Anna, l’amie et amante de toujours. La question qui reste en suspens pendant la majeure partie du film, cependant, est si la folie de la Comtesse est innée ou acquise. Et soudain, on se rappelle que la petite fille qui allait devenir la plus puissante femme du royaume d’Hongrie avait conclu le premier acte par une phrase que l’innocence ne peut pas connaître:  »Je lèverai une armée pour vaincre la mort. »

Dans son récit, Delpy insère des points de tension qu’elle porte à la limite de la rupture. Le saignement de la première vierge, le meurtre de l’enfant et, au dessus de tout, la satisfaction perverse du visage de la Comtesse contemplant l’œuvre de sa machine créatrice de vie et de mort. Même en faisant franchir les limites à son personnage, la réalisatrice ne relâche jamais l’empathie, en témoigne une magnifique conclusion, où le sang coule une ultime fois pour expier la folie, où l’ombre d’Erzsébet est l’unique chose qu’il restera d’elle quand l’Histoire se sera emparée de son histoire.

Si The Countess n’est peut-être pas parfait (on peut s’interroger sur la qualité de la représentation de la Hongrie du 17ème siècle), il est impossible de ne pas reconnaître la dévotion toute entière de Julie Delpy, qui résulte en un film enivrant, qui envahit les sens et qui séduit immédiatement. Qui n’a jamais rêvé de défier la mort?

– Arkaron

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