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Critique : Inferno

Souvenez-vous : en 2003, Dan Brown publiait le Da Vinci Code. Le monde se fascinait alors pour ses écrits, les symboles et énigmes décryptés par Robert Langdon et finissait même par croire que le Saint Graal était enterré sous la pyramide du Louvre.

Treize ans plus tard, la nouvelle -et probablement dernière aventure du professeur d’Harvard débarque au cinéma, toujours avec Tom Hanks dans le rôle principal et Ron Howard derrière la caméra.

 

LA CRITIQUE

Ron Howard continue, entre des documentaires épars engageants (et engagés ?), de mettre en boîte des productions plus calibrées, dont le troisième volet de la trilogie Robert Langdon, inspirée des livres de Dan Brown, fait partie. Alors après avoir découvert la descendance de Jésus et enquêté sur un complot papal, que reste-t-il bien à faire pour Tom Hanks ? Sauver le monde, bien entendu. Ou au moins la moitié du monde.

Le point de départ d’Inferno est assez intrigant : un génie milliardaire américain appelé Bertrand Zobrist s’inquiète tant de la surpopulation mondiale, qu’il tient pour responsable de la disparition annoncée de l’humanité, qu’il crée un agent viral qui, si relâché, fera périr la moitié des individus sur la planète afin que les survivants puissent rebâtir sereinement. Pourchassé par plusieurs organisations, il perd la vie avant de pouvoir lui-même mettre son plan à exécution, mais laisse derrière lui une menace apocalyptique sur le point de devenir réalité, ainsi qu’une série d’indices alambiqués qui permettra à Langdon et aux autres personnages dont on se fiche pas mal de se lancer dans une course contre la montre.

Ainsi défini comme un penseur se situant quelque part entre le mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité (trop radicalement misanthrope) et le courant malthusianiste (pas assez pragmatique), Zobrist s’impose comme l’un des antagonistes les plus immédiatement fascinants de la récente vague de grosses productions ayant émergé des États-Unis. Évidemment mieux dépeint par le romancier, le milliardaire du film dont les adversaires veulent à tous prix enrayer le plan est constamment jugé et condamné au travers de dialogues répétitifs, et passe par conséquent pour un tyran sanguinaire.

C’est là que le premier bât blesse : pour réellement fonctionner, le personnage aurait impérativement dû être décrit comme une figure beaucoup plus ambivalente, comme c’est le cas dans les pages du livre. Ainsi, notre bon héros propre sur lui (incarné par un Tom Hanks honnête mais fort peu inspiré cependant) n’émet jamais le moindre doute quant à sa mission « humaniste », et la conclusion du film, qu’on ne révèlera pas, ôte à l’histoire d’origine toute sa portée, sinon subversive, au moins audacieuse. Un minimum d’honnêteté intellectuelle aurait été fort appréciable compte tenu de l’urgence bien réelle de la question abordée par la fiction. Le long-métrage propose ainsi une déviation d’écriture inexcusable, motivée par une volonté sous-jacente de rassurer un public manifestement considéré comme incapable d’appréhender un schéma qui ne séparerait pas de façon clairement manichéenne le bien du mal. Ou lorsque la vérité intellectuelle est volontairement confondue avec la morale institutionnelle.

Péché suffisant que ce paternalisme pour condamner l’adaptation de Ron Howard à un ratage ; à celui-ci s’ajoute une caractérisation pauvre des autres personnages – des agents gouvernementaux aux assassins sans scrupules, en passant par les agents doubles que l’on voit venir dès le premier acte – qui semblent tous servir une fonction désincarnée et jouent un rôle réduit à celui de boulon dans cette immense machinerie que représente la chasse aux trésors menée par Langdon. Certes, le modèle itinérant passant d’un monument historique à l’autre en Italie peut demeurer agréable aux passionnés d’histoire, mais cette incessante course-poursuite de deux heures ne laisse ni le temps d’explorer les secrets des lieux, ni l’opportunité pour le spectateur de participer à la résolution du puzzle. L’érudition extrême des personnages recalant le public au rang de spectateur passif qui assiste à un cours parfois erroné d’histoire, il est impossible de se trouver impliqué dans cette intrigue qui pourrait en outre sembler n’être rien d’autre qu’une nouvelle itération de celles précédemment servies dans The Da Vinci Code et Angels & Demons.

L’écriture de David Koepp se révèle généralement assez faible et mécanique, enchâssant les dialogues peu naturels aux explications généralistes. Surtout, l’implication des œuvres de Dante est réduite ici à un MacGuffin périphérique et, à la rigueur, métaphorique puisque l’intrigue se porterait tout aussi bien (ou tout aussi mal) de leur absence, alors que celles de Léonard de Vinci représentaient réellement le moteur justifiant l’histoire du premier film. Ajoutons à cela des décisions scénaristiques qui mettent drastiquement à mal la suspension d’incrédulité vis-à-vis de l’univers jusque-là développé (prenons par exemple le PDG d’une organisation de placements secrète, en fait un assassin surentraîné dézinguant des inconnus en costard trois pièces), et le film s’effondre vite dans un maelström complètement incohérent. Mais bon, on a cette fois droit à une Organisation mondiale de la santé quasi-militarisée, à mi-chemin entre l’agence d’espionnage et l’entité d’intervention armée. Que demande le peuple ?

Pour accompagner ses déductions tantôt amusantes tantôt grotesques, Ron Howard fait preuve d’une faiblesse de mise en scène déprimante, alignant d’interminables scènes de téléfilm sans ambition ni portée, sans parler des rares affrontements (assassins et terroristes obligent) décadrés et très peu lisibles. Le final, prenant place dans une structure labyrinthique sous-terraine, est à ce titre d’une platitude effrayante, perdant complètement le public faute de spatialisation claire alors qu’il y avait là la possibilité de servir une mise en scène ludique et stimulante. Cela est d’autant plus dommage qu’Howard fait preuve d’un minimum d’imagination et de force iconographique en début de film lors des hallucinations de Langdon, qui voit des scènes de fin du monde traumatisantes. De son côté, Hans Zimmer fait le minimum nécessaire en proposant des variations sur son thème de Da Vinci Code, ponctuant le reste du métrage de sonorités passant inaperçues afin d’octroyer de faux airs d’excitation à un montage en accéléré qui s’essouffle à courir vers le néant substantiel.

Certains trouveront à Inferno des qualités qui manquaient aux autres volets, et force est de constater que le réalisateur a effectivement augmenté son rythme narratif pour faire meilleure illusion. S’agit-il là du meilleur épisode de la trilogie ? Peut-être. Ça n’en fait pas moins un mauvais film. Au final, le plus gros problème vient tout simplement d’un cruel manque d’hardiesse dans l’entreprise d’adaptation, et le peu de scènes qui ne semblent pas constituer des répétitions transpirent souvent la fainéantise : les devinettes sur fond de monuments touristiques ont comme un air de déjà vu et la problématique du film transforme une proposition littéraire un brin osée en tract idéologique refoulant quelque peu la propagande consensuelle. À éviter.

Inferno, de Ron Howard – Sortie le 2 novembre 2016

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