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Critique : Free Guy

Pendant longtemps, le cinéma a traité le jeu vidéo comme un vivier de licences potentielles sans vraiment s’en soucier, avec le résultat qu’on connaît pour un tas d’adaptations généralement foireuses et montrant globalement une vraie condescendance pour le médium, d’autant que le milieu vidéoludique piochait plus dans le 7ème art que l’inverse.
Sauf que : aujourd’hui les revenus générés par le jeu vidéo sont devenus bien supérieurs au cinéma, et étant devenu le premier support de divertissement au monde, il est une manne financière encore plus grande, dont la noblesse commence enfin à être reconnue comme l’a prouvé Spielberg récemment avec Ready Player One, où il semblait passer le flambeau de l’imaginaire aux joueurs du monde entier.

C’est dans ce contexte que sort Free Guy, qui partage avec Steven le scénariste Zak Penn, et qui souhaite plonger les spectateurs dans la vie d’un PNJ, ces personnages non-joueurs gérés par les jeux pour donner de la vie à leurs univers…

En plaçant son héros dans une ville qui semble tout droit sortie d’un GTA Online, Free Guy s’amuse sur le principe des jeux open-world où les gens sont libres de faire surtout n’importe quoi, tentant les cascades les plus improbables, détruisant tout sur leurs passages, pillant, tuant et violant à peu près tout ce qu’ils peuvent vu que ça n’a aucune conséquence.
Ces défouloirs, maintes fois pointés du doigt par les autorités et autres associations de parents inquiets de la violence dans les jeux vidéo, sont précisément des exutoires qui permettent de donner libre cours à sa connerie la plus pure, et le film part donc de ce postulat simple : à quoi ressemble la vie des personnages qui subissent toutes ces âneries en continu ?
Le personnage de Guy est donc un employé d’une banque braquée tous les jours, et dès qu’il se promène en ville, c’est le chaos le plus total, avec des hélicoptères qui se crashent en arrière-plan, des tanks qui écrasent les voitures garées sur le bord de la route, des courses-poursuites qui défilent toutes les 30 secondes, etc.
Ressort comique utilisé tout le long du film et qui réussit à se renouveler, cette idée pertinente marche d’autant plus que pour les fameux PNJ du jeu, tout ça est normal et ils continuent leur existence comme si de rien n’était vu que c’est précisément leur quotidien.
Cette routine va trouver un terme quand le personnage principal va décider de prendre part aux festivités…

Distinguant les non-joueurs des joueurs en faisant porter à ces derniers des lunettes qui leur permettent d’accéder à l’interface du jeu, le héros va donc découvrir les possibilités offertes par son monde et s’émanciper de son rôle prédéfini. En cela, le film rappelle quelque peu The Truman Show, ou plus récemment The Lego Movie, sur ce concept d’un être enclavé qui tente soudain de sortir de son rôle et d’outrepasser les frontières, d’autant que Free Guy a l’intelligence d’en faire un enjeu, puisque les autres personnages sont des joueurs « réels » qui essaient de comprendre comment cette entité programmée pour suivre un chemin tout tracé fini par en sortir.
Il faut d’ailleurs souligner à quel point le film a été pensé manifestement par des joueurs qui connaissent les univers qu’ils abordent et les codes qui les régissent, aussi bien sur les questions d’interface, d’inventaire, des fonctionnalités offertes dans ces open-worlds tout comme leurs limitations, etc. Bien sûr, le film ne répond pas à une logique ultra stricte de jeu vidéo compte tenu de la vie qu’il présente dans sa ville imaginaire, mais il fait suffisamment référence aux cycles de programmation et à l’aspect factice de l’ensemble pour qu’on y croit un minimum.

Le long-métrage s’adresse à vrai dire en premier lieu aux joueurs tant tout repose sur ce médium, avec un soin du détail plaisant en la matière, comme des points de dégâts qui apparaissent à l’écran sur des impacts de balle, des personnages qui répètent systématiquement les mêmes phrases quand on les croise, les possibilités d’inventaire qui permettent aux joueurs de dégainer n’importe quoi suivant les situations et évidemment quelques easter-eggs posés çà et là, qui sont pour la plupart assez discrets, ou encore un clin d’œil appuyé à la culture du streaming.
Tout le scénario traite du monde du jeu vidéo en ce sens que le méchant du film, joué par Taika Waititi, est un patron d’entreprise qui ne pense qu’au profit et à la franchisation à l’extrême de ses produits, même quand cela va à l’encontre de l’intérêt des joueurs.
Une logique très similaire à Ready Player One, dont l’ombre plane perpétuellement sur Free Guy, même si ici le but est avant tout comique, et cela marche plutôt bien. Évidemment, il faut être client de Ryan Reynolds qui semble comme toujours en représentation, tel un one man show qui continue d’un film à un autre, mais cela permet d’ouvrir un peu le champ de cette comédie grand public dans laquelle se sont glissés plusieurs vannes salaces assez rigolotes, et carrément un « fuck », rendez-vous compte ! L’esprit reste léger globalement, et il ne faut pas s’attendre à voir des effusions de sang grandiloquentes malgré la violence inhérente à l’univers, le film s’amusant à rendre la chose cartoon sur les chocs et impacts, comme pour bien montrer l’absurdité d’un tel monde où rien n’a de poids.

Avec Shawn Levy à la réalisation, déjà responsable de la saga « Une Nuit au Musée » ou plus récemment de Real Steel, il ne fallait pas s’attendre à des miracles de mise en scène, et il faut avouer que globalement il s’est posé les bonnes questions sur la mise en image d’un monde virtuel et le champ inédit des possibles qu’il offre, en essayant de dynamiser sa caméra au maximum, d’accompagner l’action par des mouvements d’appareils rapides et de mettre à profit tout le bazar de Free City, la ville du film, à l’écran de la façon la plus naturelle possible quand il accompagne son drôle de héros. Cela étant, le tout se confronte à un problème au bout d’un moment sur une pure question esthétique, puisque l’intérieur du jeu est d’abord montré de façon réaliste, ce qui est normal puisqu’on suit un personnage pour qui c’est sa réalité, et à mesure que le film avance et qu’on passe du temps avec les protagonistes du monde réel, on voit un peu plus leur poids de vue, et l’aspect graphique un peu cartoon qu’ils ont sur leurs écrans. Cette alternance entre 2 styles visuels pour un même univers affecte quelque peu le spectaculaire qui s’y déroule, même si l’on reste majoritairement sur un style photo-réaliste, et l’on peut regretter que Levy ne se soit pas tenu à un style particulier tout du long pour montrer tel ou tel monde.
Ça n’affecte pas tant que ça le film, mais ça appuie l’aspect artificiel de son décor, et amenuise quelque peu son potentiel de spectacle au fil de son déroulement.

Coutumier jusque là de machines hollywoodiennes pleines de bons sentiments, Levy ne manque pas à ses habitudes et fait tomber progressivement Free Guy dans une mécanique ultra classique avec quelques scènes à l’eau de rose un peu ridicules, même si globalement le tout reste une comédie feel good pleine d’énergie, qui a le mérite de traiter son sujet avec déférence, de réussir à l’injecter d’enjeux viables et d’avoir aussi un message humain sur le dépassement de soi un peu banal certes mais qui a le mérite de donner un peu de fond au film.

Le vrai regret, finalement, c’est de voir que le film se contredit quelque peu entre le mantra de son antagoniste, qui réfute la libre création et l’exploration d’un univers pour mieux en faire une machine à fric, et sa fabrication, le film ayant subit de plein fouet le rachat de la Fox par Disney. L’apparition en début de film du logo du studio chamboulé, où « Fox » est devenu « Studios » sur la mythique fanfare de la 20th Century, est évidemment un rappel de cela, mais la firme de Mickey ne manque pas de rappeler sa présence et ses acquisitions notamment au détour d’un gag ultra appuyé qui ruine complètement la subtilité du film jusque-là sur ses citations. Un moment gratuit et gênant qui tombe dans le pire de ce que la culture pop meta est devenu aujourd’hui, surtout quand on va voir un film censé être un minimum original. Difficile d’en dire plus sans spoiler, et on ne doute pas une seconde que vous comprendrez une fois devant la scène, qui n’a pas manqué ceci dit de faire rire la salle aux éclats lors de la projection même si le public n’avait pas l’air de réaliser à quel point elle mettait le film en porte-à-faux sur le propos qu’il est supposé porter.

Cet accroc, qui peut paraître peu de chose sur toute la durée du film, prouve une fois encore la mainmise de Disney sur les productions Fox, et on aurait été bien curieux de savoir le contenu initial de la scène. Cette contradiction fièrement revendiquée, qui renvoi directement à la mise en garde maline et assez incomprise de Ready Player One, ainsi qu’une baisse de régime en fin de parcours, font que Free Guy se tire un peu une balle dans le pied par moment, et aurait sans doute mérité d’être plus concis sur sa fin, et surtout d’aller au bout de son discours.

Il n’en reste pas moins un divertissement rigolo, qui a le mérite de remplir sa promesse de joyeux bordel, d’offrir quelques passages plutôt funs et d’avoir un casting qui semble réellement se marrer dans tout ça, ce qui le rend évidemment sympathique.

Free Guy, de Shawn Levy – Sortie le 11 août 2021

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