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Critique : Curiosa
Pour son premier long métrage à sortir en salles, la réalisatrice Lou Jeunet a choisi de s’intéresser à l’auteur Pierre Louÿs, rôle qu’elle confie à Niels Schneider.
Face à lui : Noémie Merlant, Benjamin Lavernhe ou encore Amira Casar et Camelia Jordana, qui ajoute ici une nouvelle corde à son arc.
LA CRITIQUE
Définition : Curiosa (nom masculin) : Terme de collectionneur. Un livre, une œuvre d’art ou une photographie est nommé curiosa lorsqu’il présente un caractère érotique, léger, grivois.
« Je n’ai pu être ton mari, je serai donc ton amant. Je vais t’apprendre tous les vices, Madame de Régnier, même ceux dont tu n’as pas idée. » Ainsi est formulée l’ardente promesse. Pierre Louÿs et Marie de Régnier se verront, dans un petit appartement, et ensemble joueront. À s’aimer et à se photographier. Car Marie, de naissance, de Héredia, se voit dans l’obligation d’épouser Henri de Régnier, poète reconnu et grand ami de Pierre. De cette union, elle ne fera rien. De sa passion pour Pierre, une œuvre photographique érotique d’une indécence folle, d’un amusement charmant.
Curiosa est un récit d’initiation au sexe, à l’écoute de ses désirs, à leur réalisation. Ainsi qu’à sa propre réalisation, en tant que femme, alors brimée en cette fin du XIXème siècle.
« Ne dites pas : « j’ai envie de baiser », dites : « je suis nerveuse. » » Ici l’humeur est badine, joueuse, et sensuelle. Seulement, n’oublions pas qu’elle est aussi passionnelle, notre histoire. Et les personnages souffrent de n’être aimés comme ils le voudraient. Entièrement, uniquement, et alors, chacun paiera en irrépressible mouvement d’humeur, les grandes émotions de leur union.
« — Tu joues avec moi ?
— Je ne joue pas avec toi, je veux juste jouer. » S’inquiète docilement Marie, alors sous l’emprise de l’amour, d’un Pierre taquin.
« C’est moi que tu aimes, n’est-ce pas ? » s’enquiert à son tour notre homme. Pourtant homme de plusieurs femmes, aux maîtresses nombreuses, tant qu’il les consigne dans un carnet, passionné par leur image, il les photographie toutes.
S’opère ensuite un ravissement, les rôles s’inversent. Ainsi la mignonne, timide énamourée, tendre naïve, devient maîtresse de son corps et de ses amants. Elle a appris, comme promis, les vices, les siens, et sait en user, abuser. Travaillant son corps, l’élève dépasse allégrement son maître, puisant jusqu’à la moindre ressource de plaisir, aussi moralement répréhensible soit-elle.
Un changement dû à Zohra Ben Brahim (Camélia Jordana) souvenir de voyage de Pierre, est l’élue, ce sera avec elle que notre poète se montrera, à la plus grande douleur de Marie. Charmeuse, libre, elle est celle qui révélera les pouvoirs de son corps à Marie. L’incandescente cristallise les sentiments odieux que sont la jalousie et la liberté – aussi physique que morale. Elle est le point de non retour, c’est elle qui permet la jouissance, c’est après leur rencontre que Marie changera, grandira. Et se rebellera.
La bande-originale est composée par Arnaud Rebotini (120 Battements Par Minute), figure de l’électro française. Ce mélange de musique électronique et d’images d’hommes et de femmes du XIXème est à tomber de beauté, de sensualité, et d’amusement. Cette musique rend nos personnages scandaleusement charmants. Rappelant comme aujourd’hui et ses rythmes, pulsions, savent eux aussi être badins. Cette confrontation d’un XIXème siècle fiévreux et d’un XXIème ne restant en marge de la frivolité, suscite chez qui regarde, ce quelque chose de l’euphorie.
Le film est beau. Visuellement beau, Lou Jeunet maîtrise l’esthétique, certains instants sont d’un tel souffle, qu’on se sent faillir de grâce. Et notons que, si les personnages sont réels, si les papiers peints, les photos sont reproduits à l’identique, le tout est une fiction, scénarisée, orchestrée par la réalisatrice Lou Jeunet, et Raphaëlle Desplechin (au scénario).
Les mots manquent pour décrire l’effet produit, cette révélation vécue dans une salle de projection. Un envoûtement certain, dû aux charmes, et des acteurs, et du texte. Cette histoire est vécue telle une enquête sentimentale, un récit sur l’état des émotions, leurs rôles dans nos vies, et c’est aussi en ceci qu’il est érotique. Il n’est pas seulement un récit d’initiation au sexe, qui n’est ici finalement, que l’attribut qui permet la connaissance de soi et de ses envies.
Curiosa raconte la prise de conscience d’une femme. Son élan vers la vie, à l’écoute d’elle-même. Il dit aussi, comme une passion peut dévaster, comme le désir peut être meurtrier. Insolent, indécent, il va au bout de sa proposition. Lou Jeunet signe un curiosa digne de sa définition.
Curiosa, de Lou Jeunet – Sortie le 03 avril 2019
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