C’est en passe de devenir une tradition : tous les 7 ans, le clippeur fou Joseph Kahn lâche son rythme de travail acharné avec Taylor Swift, Mariah Carey ou Lenny Kravitz et utilise l’argent économisé pour produire un long-métrage en indépendance totale.
Une pratique qui lui a permis de nous offrir les excellents Detention et Bodied (après avoir tenté l’aventure Hollywoodienne il y a 20 ans déjà avec le délirant Torque), et qu’il réutilise aujourd’hui avec Ick, comédie horrifique fleurant bon les années 2000, dans une mise en scène qui s’annonce toujours aussi méta et énergique.

Après un passage remarqué à Toronto et à Sitges, le PIFFF n’allait pas rater une occasion pareille et Kahn est venu en personne présenter le film, à un public qui semblait déjà acquis à sa cause…

Joseph Kahn est responsable de certaines des images les plus iconiques de la pop culture des années 2000, entre le clip de Toxic de Britney Spears ou celui de Without Me d’Eminem.
Dès lors, il n’y a rien de surprenant à voir Ick démarrer en 2004, avec un Brandon Routh rajeuni numériquement tout comme Mena Suvari, dont la tête vous ramènera directement à l’époque vu qu’elle y était à son pic de célébrité pour ses rôles dans American Beauty ou American Pie.
On suit en accéléré la vie débridée du sportif le plus populaire du lycée, quarterback prometteur dans son équipe de football américain et dont le parcours semble tout tracé avec à son bras la pom-pom girl de ses rêves. Sauf que manque de bol, une blessure en plein match et l’alcoolisme de son père vont tout faire vriller pour le retrouver prof de sciences boiteux dans la même ville vingt ans plus tard, célibataire endurci qui plus est, avec comme élève la fille de son amour de jeunesse. Et tout ce beau monde va voir son existence voler en éclats une bonne fois pour toute à cause de l’Ick : une matière étrange qui se manifestait sous forme de racines sombres un peu partout dans la ville depuis des années, et qui semblait être une plante inoffensive jusqu’au jour où la chose se réveille et se manifeste violemment partout, tel un mélange entre The Blob et le symbiote de Venom, prenant possession de ses victimes pour mieux distiller la terreur…

Sur un canevas de film d’horreur a priori classique, on pouvait se douter que Kahn allait tordre un peu les conventions et dès l’introduction, c’est chose faite avec son rythme hyper soutenu, ses cadrages fous et son style pop, nous laissant croire à une variation de Detention.
Sauf qu’aussitôt, il y a quelque chose qui cloche, et qui va perdurer tout le film : ça va trop vite !
Alors on pourrait croire suite à une déclaration pareille que ça y est, on est dépassé par les évènements, qu’on est devenus des indécrottables boomers…
Ou que Kahn a pété une ultime durite, et la réponse est plutôt à chercher dans ce dernier point tant le cinéaste fonce tête baissée sans jamais se poser une seule seconde, quitte à brouiller son script au passage.
Ce syndrome est particulièrement visible lors d’une scène de soirée dans une maison sans parents, le genre de séquences inhérentes au teen movie US avec les fameux gobelets rouges et des ados absolument partout. Le Ick va se manifester lors de cette fameuse soirée et provoquer un carnage, en prenant possession d’au moins la moitié des participants, quand les autres sont déchiquetés dans tous les sens et explosés à tout bout de champ.
Un évènement dramatique en bonne et due forme qui va se solder par l’intervention de l’armée, ce qui laisse à penser que le film va passer dans une autre dimension, maintenant que l’Ick est devenue une menace ultra violente.
Sauf que, séquence suivante : tout le monde fait comme si de rien n’était, la vie reprend son cours et carpe diem !

Ce décalage curieux va être d’autant plus surprenant qu’on a l’impression que personne n’est mort, et que les personnages sont complètement à côté de leurs pompes avec des symptômes aggravés d’Alzheimer concernant leurs camarades zombifiés qui portent encore les stigmates de l’infestation.

Le film ayant de fortes correspondances avec la période Covid, on pourrait presque penser que c’est un commentaire sur la capacité qu’a eu l’humanité à tourner la page et revenir comme en 40 en moins de temps qu’il ne faut pour le dire après tous les grands discours sur les changements à venir sur Terre.
Mais Kahn certifie que son film a été écrit avant, et qu’il traite plus des différences d’opinion et de croyances dans la société que d’une maladie à proprement parler.
Au-delà des lectures qu’on pourrait y apposer, il y a tout du long un vrai schisme entre les intrigues personnelles et la menace de fond, que Kahn semble agiter comme bon lui semble quand ça l’arrange, et quand il en a besoin pour créer certaines situations permettant de joindre tel personnage à tel autre.
En témoigne une scène où Brandon Routh est coincé en voiture avec la fille de son amour de jeunesse, et où les deux dialoguent longuement sur leur parcours de vie alors que le véhicule est malmené dans tous les sens par l’Ick, qui n’en finit plus de se propager sur les fenêtres et de menacer de les écraser.
Et eux ? Ils continuent de tailler leur bavette, l’air de rien !

Ce décalage étrange entre dramaturgie, scénographie et règles de son univers finit par rendre le film quelque peu stérile, comme si finalement rien n’avait de poids et d’importance dedans, comme si ses objectifs de réalité fantasmée et d’hyperpop finissaient par nous en détacher complètement, un problème qu’il n’avait pourtant pas sur Detention. La faute à un script et à un montage trop foutraques, qui auraient mérités de se poser un minimum et de laisser certaines séquences s’ancrer dans la durée, surtout que Ick n’est pas dépourvu de velléités narratives, à commencer par le destin touchant de ce loser, dont l’adolescence dorée a explosé en vol pour laisser place à une vie de remords et de regrets.
Kahn questionne le passage à l’âge adulte et la fin de nos rêves dans une société écrasante, tout comme il prend un malin plaisir à torpiller l’Amérique contemporaine à tout va, entre un beau gosse insupportable qui ressort tous les slogans progressistes à tour de bras alors qu’il se comporte comme un véritable connard misogyne et hypocrite, arrivant à ses fins par ses seules contradictions entre ses discours et son comportement, ou encore un paquet de petits personnages secondaires complotistes, hargneux et pour qui la liberté consiste juste à contester quelques règles de base ou à contredire toute vérité par principe. Un énième parallèle assez énorme avec la période Covid, sur laquelle Kahn avait décidément une longueur d’avance, et avec les problématiques de post-vérités et de novlangues, qu’il avait déjà traité en long, en large et en travers dans Bodied.

Alors est-ce que Ick est un mauvais film pour autant ?

Son énergie folle par moment, sa générosité dans sa fabrication avec des effets spéciaux assez stupéfiants pour une production aussi modeste et son caractère de sale gosse qui tire à tout va lui confèrent un caractère somme tout assez unique et propre à son réalisateur, d’autant que le parcours de son loser de héros avance quelques questionnements communs à tous, le tout baignant à l’excès dans une bande son pop-rock années 2000 qui n’est pas pour nous déplaire.
C’est donc bel et bien un film de Joseph Kahn, qui porte sa patte sans détour, mais qui trouve aussi ses limites, dans une course effrénée en avant qui détruit tout sur son passage, y compris son propre drama, et dont on peine en plus à sortir une scène marquante dans ce fourre-tout bien bordélique.

On est pas sûr que ça aide sa carrière cinéma à décoller, mais la chose a le mérite de rester sans compromis, et on reste aux aguets d’ici sept ans pour la prochaine fournée !

Ick, de Joseph Kahn – Sortie prochaine

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