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Un Dimanche, Une Critique : La Soif du Mal

En mars dernier, Arkaron choisissait d’évoquer les héros de films d’actions à travers le temps grâce à une série de critiques.

Ca a commencé avec le Voleur de Bagdad sorti en 1924 puis on a remonté le temps tranquillement jusqu’en 1933 avec le Scarface original.

Ce dimanche on avance jusque 1958 pour vous parler d’héroïsme avec Orson Welles et La Soif du Mal.

 

La guerre entraîne le héros d’action dans les tourments des champs de bataille, desquels il ne reviendra pas totalement. Encore aujourd’hui, le genre est assez vivace, et ce grâce à quelques chef d’œuvres inattendus venus s’emparer des années 2000. Cependant, au sortir du combat, le héros se sent bien las. Il paraît donc inévitable d’observer une forte hausse de popularité du genre noir, déjà présent depuis quelques décennies, mais dont l’apogée se situe plus dans les années 1940-1950.

À sa tête, un héros plus enclin à mener des enquêtes cérébrales qu’à en découdre à mains nues avec une pègre qui commence à montrer d’inquiétants signes de nuance. Les histoires sont complexes, les personnages torturés par un négativisme latent et les héros ont gardé un peu de ce côté mauvais garçon hérité des années trente. La plus puissante caractéristique réside néanmoins dans la forme, qui offre parmi les plus belles compositions de plan ayant jamais existé au cinéma.

La fin des années 1950 approche, et le genre du film noir a presque fait son temps. D’autres héros, plus proactifs, plus positifs, envahissent abondamment les média. Il fallait bien un génie pour peindre l’oraison funèbre d’un genre à la personnalité sans égale.

Orson Welles, qui a déjà inscrit son nom au panthéon des plus grands, accepte de travailler une nouvelle fois pour Hollywood et de réaliser Touch of Evil. Ce sera sa dernière production hollywoodienne. Et quelle production !

Le plan séquence d’ouverture demeure l’une des plus estomaquante introduction cinématographique de tous les temps. Imaginez plutôt : une ombre se projette sur un mur, confirmant la présence d’un premier personnage, espionnant un couple se dirigeant vers leur voiture (point de vue 1). La caméra s’élève d’un mouvement de grue, l’homme dépose un paquet dans le coffre et disparaît dans la nuit. Le couple se met en route, inconscient du danger, et commence à se diriger vers leur destination (point de vue 2). La voiture passe particulièrement près d’un second couple marchant sur le trottoir, sur lequel la caméra se focalise. Elle le suit un temps (point de vue 3) jusqu’à ce que les quatre personnages se retrouvent au même endroit, forcés de s’arrêter pour un contrôle d’identité à la frontière américano-mexicaine. Le guichetier (point de vue 4) s’empare de la présence à l’écran, avant de la rendre au second couple, qui s’éloigne de la voiture piégée. Explosion, changement de plan.

Voilà qu’en une séquence simplissime sur le papier (probablement moins dans les faits), Welles annonce au spectateur l’un des mécanismes de son récit. Les points de vue n’auront de cesse de changer, et chacun des deux personnages principaux présentera une ambivalence prône à remettre en cause les certitudes du public. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir l’histoire débuter sur une frontière : on parlera en effet de frontières, entre bien et mal, ou entre vie et mort.

L’enquête suivant l’explosion voit Vargas, un représentant du gouvernement mexicain et Quinlan, un policier américain, s’allier à contrecœur pour résoudre le mystère. Ce début d’enquête, en réalité exposition des personnages, dépeint Quinlan et Vargas comme les hommes les plus imposants de leur univers. En effet, ils sont tous deux filmés en contre-plongée la majeure partie du temps, et ne sont jamais représentés comme étant plus petit que les personnes qui les entourent. La différence, cependant, réside dans la présentation que l’on fait du personnage mexicain de Charlton Heston, que la lumière scinde toujours en deux faces, l’une illuminée, l’autre plongée dans les ténèbres. Quinlan (Welles) lui, n’a pas à se soucier des ombres, qui n’atteignent que très rarement son visage.

Cette exposition simultanée des protagonistes et de l’intrigue permet à Welles d’établir la dichotomie entre ses pions : en non américain, Vargas est inévitablement sujet à l’œil scrutateur du policier américain, présenté comme une légende vivante. Nous savons dès lors que le film opposera ces deux hommes, maîtres absolus de leur monde, et que les sous-intrigues satellites seront d’importance secondaire.

L’enquête lancée, Welles est enfin libre de ses mouvements et peut raconter plusieurs histoires en parallèle, changeant de lieux fréquemment pour rendre sa diégèse dense. Dense en quantité mais surtout en qualité, l’environnement conquérant l’écran étant par moments mystifié, rendu presque surnaturel grâce à de puissants jeux d’ombre mis en valeur par quelques rares plans désaxés et dont la magnifique composition n’a rien à envier aux classiques de Fritz Lang. Ces fulgurances esthétiques viennent briser l’harmonie d’une symétrie globalement omniprésente dans les décors, ajoutant à l’impression que la remise en jeu des oppositions correspond au cœur du récit.

Tout au long du film, Welles s’ingénie donc à renverser les attentes, opérant par ailleurs de nombreux changements de points de vue jusqu’à s’arrêter sur Vargas, qui deviendra bien malgré lui le héros d’action contraint de défaire l’enquêteur ténébreux ayant depuis longtemps sombré dans une folie que seuls les films noirs auraient pu engendrer. La conclusion est des plus évidentes : Quinlan, relique de l’âge d’or du noir, est tombé en chute libre après de trop longues années passées au bord du gouffre de la démence et de la dépression et la justice prend désormais la forme qu’il entend.

Les soudaines plongées de la caméra sur l’homme entérinent sa fin, illustrée en apothéose lors d’une scène finale cathartique, libérant le héros déchu de sa mission et passant le flambeau à une nouvelle génération. En comprenant et exposant les engrenages du film noir classique, Orson Welles a ironiquement donné vie au dernier sursaut grandiose du genre, qui ne survivra pas la Soif du Mal.

 

La Soif du Mal (Touch of Evil) – sorti le 8 juin 1958
Réalisé par Orson Welles
Avec Charlton Heston, Ordon Welles, Janet Leigh
Une bombe ayant explosé à la frontière américano-mexicaine, et qui risque de faire monter la tension entre les deux pays, attire l’attention d’un jeune représentant mexicain nommé Vargas. Il offre de prêter assistance aux enquêteurs américains dans l’affaire, non sans rencontrer quelques réticences…

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