Au moment de la sortie de Tron Legacy, beaucoup d’espoirs tournaient sur l’idée d’une suite avec la même équipe, le tout allant jusqu’à une confirmation du film en 2015, avant que Disney annule purement et simplement le projet la même année en raison du bide de Tomorrowland.
Et nous revoilà 10 ans plus tard…
Joseph Kosinski est parti filmé Tom Cruise et Brad Pitt, les Daft Punk ont mis fin à leur groupe et Tron revient donc avec une toute nouvelle équipe, pour une suite qui souhaite à son tour s’approprier cet univers digital et emmener la franchise dans une direction inédite, ce qui avait déjà fait la réussite de son prédécesseur.
L’occasion de repartir pour un tour dans la fameuse grille…
Sauf que ce coup-çi, c’est elle qui vient à vous.
Pour ceux qui ont la mémoire courte, Tron Legacy se terminait avec le personnage de Sam Flynn réussissant à revenir dans le monde réel en compagnie de Quorra, une intelligence artificielle qui prenait vie en toute indépendance. Par conséquent, le pitch de ce Tron Ares n’a donc rien de surprenant, avec le clan Dillinger qui se met à vendre un arsenal tout droit sorti de la grille via des imprimantes lasers, promettant des troupes dociles et surpuissantes reproductibles à l’infini. Sauf que le cobaye de cette opération, un super soldat appelé Ares, va commencer à douter de sa mission lors de son arrivée dans le réel, surtout en réalisant qu’il n’est qu’un pion jeté ça et là au gré des besoins de son créateur…

La saga suit donc sa logique, surtout quand on se souvient que Steven Lisberger prenait de la distance dès le premier film et filmait les grandes cités américaines depuis le ciel pour les voir réduites à des grilles d’éclairages et de points dans la nuit, comparables dès lors à des circuits informatiques. À une époque où les grands discours et les avancées technologiques majeures sur l’IA sont devenues monnaie courante, le retour de Tron tombe sous le sens, et il est plaisant de voir le film prendre comme antagoniste un énième rejeton frappadingue de la Silicon Valley qui opère au-dessus des lois sans la moindre considération humaine, en se prenant pour un dieu vivant alors qu’il manie une bombe à retardement qui pourrait se retourner contre lui d’un moment à l’autre.
Les parallèles avec Elon Musk et autres consorts tombent sous le sens, et même si tout ça commence sérieusement à ressembler à Terminator ou Matrix à la sauce néon, le film a le mérite de pointer à son tour les dérives de l’industrie de la tech.
D’autant que le personnage de Ares, joué par Jared Leto, rejoue une partition passionnante sur le papier, celle de l’entité numérique qui prend conscience de son existence, entamant une quête personnelle pour transcender sa condition et se libérer de ses chaînes.
Et ce clash entre deux mondes se matérialise évidemment par l’arrivée de néons dans tous les sens, notamment lorsque 2 cyber-soldats font irruption dans le réel sur la fameuse moto “Light cycle” pour pourchasser un humain, n’hésitant pas à allumer leur traînée laser pour fendre une voiture de police en deux ou créer des rampes dans les virages sur lesquels les automobilistes perdus ont tôt fait d’envoyer leur voiture dans le décor.
Une course-poursuite vendue dès le teaser et qui constitue peut-être le meilleur passage du film, la vélocité extrême des motos et leur design ultra racé fendant la nuit à pleine vitesse avec une agilité surréaliste soulignée par une mise en scène efficace, qui embarque les spectateurs pieds au plancher.
Bon. Vous le sentez, hein ?
On reste timides jusqu’ici, essayant de souligner les qualités de ce nouveau film mais cessons de tourner autour du pot et allons-y franchement : malgré son héritage esthétique encore efficace et un univers qu’on affectionne tout particulièrement, il est difficile de s’enthousiasmer pour ce Tron Ares.
On s’en doutait un peu sur le papier, mais les responsables du film n’avaient pas franchement un pedigree spectaculaire par rapport à leurs prédécesseurs, et cela se ressent assez vite, notamment pour le réalisateur Joachim Rønning, mercenaire pour Disney depuis plusieurs années, qui a mis en scène Pirates des Caraïbes 5, Maléfique 2 ou encore Young Woman and the Sea, sorti directement sur Disney+.
Une filmographie pas franchement excitante, même s’il avait précédemment réalisé le film d’aventures Kon-Tiki qui a bien meilleure réputation.
Alors le bougre s’est certes entouré du directeur de la photographie Jeff Cronenweth, celui-là même qui a mis en images Fight Club, The Social Network, Millenium ou Gone Girl pour David Fincher ! Et pour succéder à Daft Punk, il a choisi Trent Reznor & Atticus Ross, qui ont accepté de signer une bande-son pour la première fois sous le nom de leur groupe mythique Nine Inch Nails. Mais malgré ces éléments ultra aguicheurs, et parfois payants, Rønning reste un exécutant qui semble un peu débarqué là comme n’importe quel autre.

Dès son introduction et l’apparition du titre, on comprend vite que ce Tron Ares sera nettement moins enlevé dans sa mise en scène, moins élégiaque et élégant que ses modèles. Il faut bien comprendre que la saga Tron restait jusqu’ici une véritable anomalie dans le paysage Hollywoodien, le premier film étant une expérience géante menée par une belle bande de nerds passionnés d’informatique à laquelle Disney ne comprenait pas grand chose, espérant juste surfer sur la vague de Star Wars pour accoucher d’un film étrange qui fût un échec à sa sortie. Et sa suite reste encore aujourd’hui le premier long-métrage le plus cher de l’histoire pour un jeune réalisateur, Joseph Kosinski étant à l’époque recruté par le producteur Sean Bailey, proche du créateur de la saga Steven Lisberger, ce petit monde s’entourant de scénariste fans du premier film pour en réinventer totalement l’esthétique avec un jeune prodige derrière la caméra, Kosinski s’impliquant corps et âme en mettant notamment sa formation d’architecte à l’oeuvre dans la conception des décors et son expertise des images de synthèse pour offrir une expérience Tron remise au goût du jour, sous l’influence de son mentor David Fincher.
Forcément, Rønning n’a pas un tel background esthétique et passe d’un projet à l’autre en bon exécutant pour la firme aux oreilles.
Et malheureusement : ça se voit. Que ce soit dans une scène d’intro où l’on voit l’entraînement au combat en accéléré de Ares, ou dans sa peinture globale de l’univers, le cinéaste livre là une copie propre sans grande personnalité, dépourvu de la gravitas étrange de la saga, de sa mélancolie et de sa poésie, s’écartant de son atmosphère épurée et parfois contemplative.
Là où Kosinski mettait en valeur l’univers de la grille dans de longs plans amples soulignés par l’IMAX (ce qui est toujours présent sur le blu-ray du film, alleluia), Rønning met en place un découpage beaucoup plus rapide et haché, et ne s’intéresse que peu à la grille, réduite quasiment à la simple base de Ares.
Il y a bien la fameuse scène des motos dans la ville, plutôt soignée et où le bougre se permet un hommage à Akira déjà vu ailleurs, mais rien ici ne donne l’impression de replonger dans ce délire à part.
On a même l’impression qu’il ne comprend pas trop ce qu’il filme parfois, comme quand il fait un mouvement de caméra qui rentre dans un écran d’ordinateur pour amorcer une transition qui mène vers le QG de Dillinger dans le monde réel… Dans un film où l’on est censé réellement « rentrer » dans les ordinateurs !
On passe donc à un style bien plus bourrin, qui omet l’étrange beauté de cet univers bardé de lumières criardes tranchant dans le noir pour se traîner un scénario assez galère, qui recycle des thèmes déjà vus ailleurs sans réussir à les incarner réellement.
Il y a plusieurs raisons à cela, la première étant évidemment cet énorme éléphant dans la pièce qu’est Jared Leto, dont l’annonce du casting avait calmé bien des ardeurs sur le projet.
Sans même parler des nombreuses casseroles que traîne l’acteur, le bougre était en service minimum à l’écran depuis un moment, notamment dans les affligeants Morbius ou House of Gucci.
Ici, il nous ressert la partition de l’être désincarné au calme glacial, sauf que l’étincelle qui naît en lui a tôt fait de rompre ce concept en 2 minutes, l’acteur s’affichant avec sa barbe de rockeur qui semble ne rien avoir à faire là, et jouant sans la moindre once de charisme ou de nuance.
C’est frustrant de voir que le concept était passionnant, avec un simili T-1000 qui soudain s’ouvrait au monde et le découvrait de zéro, dans une candeur digitale chamboulée.
On aurait pu imaginer un être androgyne à la carrure inquiétante, qui rappellerait les grandes heures de Blade Runner ou autres, mais Leto a l’air engoncé dans son costume sans franchement trop y croire, et réduit à néant un rôle qui aurait pu être réellement bizarre et fascinant.

Il faut dire que le bougre se traîne un scénario par moment ultra lourd, ce qui doit sûrement être de son fait vu qu’il est producteur du film et semble être à l’origine de la distanciation avec les personnages de Legacy. Ainsi, si la première moitié du film montre un peu les ordres reçus par Leto dans son univers informatique, il va arriver un moment où il va se familiariser avec le réel. Et là, les scénariste semblent s’être dit qu’il était de bon ton de ressortir l’humour de Thor / Wonder Woman, dans le registre du “fish out of water” comme disent les Américains (le poisson sorti de son bocal), à savoir un être qui découvre le monde à coup de vannes un peu potaches.
Préparez-vous donc à ce que soudainement le film vous envoie des blagues sur Depeche Mode ou une voiture de tuning (!) avec la finesse d’un adolescent lourdingue, et qu’il se mette à les enchaîner frénétiquement, jurant complètement avec l’aura menaçante qu’il cherchait à créer depuis le début !
Et si ce changement de ton complètement hors sujet et mal venu ne dure qu’un temps, il y a bien plus dommageable dans la construction même du scénario, qui repose sur une facilité narrative majeure, pour ne pas dire une incohérence en bonne et due forme avec la saga.
Pour creuser cette idée en détails, on va d’ailleurs passer un bout de la critique en mode spoilers, que vous pouvez ouvrir en cliquant en dessous.
Si vous voulez garder la surprise, vous pouvez passer direct à la suite !
Spoilers
L’enjeu principal du film repose sur l’idée que les entités digitales n’ont qu’une durée de vie limitée une fois matérialisées dans notre monde, 29 minutes précisément, après quoi elles se désintègrent pour revenir dans la grille.
Les deux patrons des entreprises concurrentes Encom / Dillinger Systems vont donc passer le film à courir après le code informatique de la “permanence” qui permettrait de contourner cette limite pour laisser les éléments arrivés dans le monde durer indéfiniment.
Sauf que : Tron Legacy se terminait avec la matérialisation de Quorra (Olivia Wilde) sous forme humaine. Un élément qui ne serait pas un problème si Tron Ares ne le prenait pas en compte, semblant avoir ajouté finalement cette règle pour justifier son intrigue.
Or, vous le voyez venir, le film fait plusieurs fois référence à Quorra, laissant entendre que Sam Flynn et elles mènent leur vie depuis tout ce temps loin des projecteurs, avec Ares qui semble même se mettre à leur recherche à la fin du film. Donc Quorra a pu se matérialiser sans limite de temps il y a plus de 10 ans, mais la technologie semble avoir régressé depuis pour justifier le long métrage…
La considération en question pourrait sembler quelque peu pour dérisoire, si tant est que l’intrigue de Tron Ares soit suffisamment solide pour faire passer la pilule.
Mais au-delà de son intégration dans la saga au global, elle reste un enjeu un peu prétexte et maigre pour meubler tout un film qui ne semble finalement ne pas avoir grand chose à dire de nouveau sur la lutte entre réel et virtuel, rien que ses modèles n’aient déjà fait avant, l’idée de la militarisation de la grille étant déjà évoquée dans Legacy !
Et si on a parlé de la chute en matière de mise en scène par rapport à ses prédécesseurs, il faut aussi souligner à quel point Ares peine à tirer son épingle du jeu sur ses propositions visuelles et sa direction artistique. Quoi que l’on pense de Tron Legacy, c’était un film qui ré-imaginait complètement l’esthétique de Tron pour la remettre au goût du jour dans un style ultra épuré et design. Ares reprend les grandes lignes de cette D.A et n’y apporte rien à part l’idée de passer tout dans un rouge pétant qui n’est que l’accentuation du orange déjà vu dans Legacy. Il n’y a ici pas de nouvel élément vraiment marquant, et le film peine tellement à apporter sa pierre à l’édifice qu’il va jusqu’à reprendre le style du premier film dans une séquence “hommage” qui semble tenir plus du fan service gratuit qu’autre chose.
Quel est en effet l’intérêt de recréer la scène des lightcycles faisant des virages à 90 degrés en 2025 si c’est pour faire littéralement la même chose ?
Et bien c’est pourtant ce que propose le film, qui semble déjà à court d’idées à ce moment-là, tout en offrant une autre incohérence assez costaude avec la saga au passage, elle aussi résumée dans un bloc spoilers pour les plus curieux d’entre vous, ou ceux qui ont déjà vu le film.
Spoilers
Tout ce passage “années 80” (littéralement dit dans le texte par Ares !) se déroule lorsque le soldat va se digitaliser dans l’ordinateur d’origine de Kevin Flynn pour chercher le fameux code de permanence. Soit un vieil ordinateur posé au milieu d’un open space d’Encom, qui projette Ares dans la grille old school où il va retrouver le personnage joué par Jeff Bridges, toujours heureux de jouer les gourous 2.0.
Et c’est bel et bien le Kevin Flynn des 2 précédents films. Il donne le code de permanence à Ares, confirmant que toute la quête autour du globe de la programmeuse Eve Kim (Greta Lee) ne servait à rien vu qu’elle avait littéralement le code dans un ordi au beau milieu de ses bureaux.
Et si le doute persistait sur l’origine de cet ordinateur et l’idée éventuelle que ce soit une sauvegarde ancienne de la grille pour justifier le volteface visuel, Ares ressort par le laser du bureau de la Flynn Arcade, d’où rentrait et sortait Sam dans Legacy… Donc Kevin Flynn aurait semble-t-il décidé que le monde digital tel qu’il l’avait ré-imaginé dans Legacy méritait donc un retour en arrière esthétique juste pour le plaisir, et totalement dépourvu des nombreux êtres qui peuplaient la grille, alors même que son personnage a toujours voulu pousser la technologie en avant… Un beau bordel.

Pour finir de ternir le tableau, Joachim Rønning n’exploite pas les possibilités offertes par la rencontre des deux mondes. On peut voir durant un affrontement une combattante qui utilise les lasers tracés par les armes de ses compagnons comme rampe pour glisser ou appui pour sauter plus haut, utilisant donc ces fameuses traînées lasers pour aménager le terrain à son avantage. Une idée maline, qui pouvait être utilisée à bon escient pour proposer des chorégraphies inventives où les personnages modulent l’environnement en direct, un concept aujourd’hui bien connu des joueurs de jeu vidéo.
Et bien manque de pot, c’est la seule fois où on la verra faire de la sorte, et durant l’affrontement final avec les mêmes armes, les traînées ne sont plus infinies sans raison et on se retrouve donc avec un combat corps à corps ultra basique, un problème qui de toute façon caractérise tout le long-métrage, où la machine de guerre qu’est censée être Ares se bat comme n’importe quel être humain pas très dégourdi sur Terre, là où on aurait pu imaginer l’utilisation d’arts martiaux aux capacités surdimensionnées tel Neo dans Matrix ou un super-héros, avec un découpage de toute façon trop rapide durant les dites scènes pour vraiment profiter du spectacle.
Vous l’avez compris, Tron Ares repose donc sur l’imagerie iconique de la saga et ses thèmes sans réussir à s’approprier ce matériau ou à l’emmener ailleurs, lui laissant donc comme seule originalité la musique composée par Nine Inch Nails.
Exit l’électronique hybride avec un orchestre des Daft Punk, Reznor et Ross ont décidé ici de faire cracher les synthés dans un score ultra agressif, où les beats surpuissants et les ambiances menaçantes se croisent à longueur de long métrage, lui donnant par moment des airs de grande messe cyberpunk.
Le résultat fait plaisir aux oreilles et vous risquez de taper du pied à plusieurs reprises tant les pulsations sous-tendent le film et contribuent massivement à son identité, même si on regrette que celui-çi soit rarement à la hauteur, encore moins à mesure qu’il tombe dans les facilités narratives.
Et ce constat est d’autant plus amer qu’il faut aussi saluer le travail des équipes des effets spéciaux, ayant ici livré une copie assez irréprochable pour un film qui repose lourdement sur leur travail. Pas d’incrustation foireuse à l’horizon ou de doubles numériques baveux, Tron Ares semble avoir bénéficié du temps de production dont il avait besoin pour être nickel en termes de rendu, et faire honneur à l’apport majeur de la saga dans le domaine, d’autant que la photo de Jeff Cronenweth est par moment fort agréable pour vos mirettes.
Ca peut paraître bête dit comme ça mais on voit bien qu’on est face à un blockbuster à 200 millions de dollars, dont les images sont convaincantes de bout en bout, ce qui n’est pas toujours le cas par les temps qui courent à Hollywood… (Qui a dit Fantastic Four ?)
On l’attendait avec un peu de crainte et malheureusement, Tron Ares délaisse l’aura digitalo-mystique de ces prédécesseurs pour se fondre dans un divertissement bien plus bas du front et terre-à-terre.
Le choc avec le réel et le peu de temps passé dans l’univers digital oblitèrent tout projet de cyber-opera planant, oubliant les voyages hallucinés à laquelle nous avait habitués la franchise pour revenir sur une intrigue assez banale dans le genre, que l’on a déjà vu ailleurs en bien mieux, et menée par un acteur superstar définitivement à côté de ses pompes.
Il y a bien ça et là quelques passages qui sauvent le tout de la médiocrité, tout comme la musique de Nine Inch Nails vous suivra après le film, mais il faut bien avouer que l’aura de cette saga résolument insolite vient d’en prendre un sacré coup, pour un résultat tristement banal.
Tron Ares, de Joachim Rønning – Sortie en salles le 8 octobre 2025