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Critique : Millenium, Ce qui ne me tue pas

C’est ce qu’on appelle un « soft reboot », une relance de la franchise qui n’en est pas vraiment une, où on change des éléments pour capter à nouveau le spectateur tout en laissant l’intrigue se déroulant dans le même univers. Doctor Who, avec son casting changeant presque chaque année y compris pour le rôle titre, en est le meilleur exemple.

Après le film de David Fincher sorti en 2007, Sony Pictures « soft reboote » Millenium en confiant les manettes à Fede Alvarez et le rôle iconique de Lisbeth Salander à Claire Foy.

 

LA CRITIQUE

Avec son gros budget de 90 millions, le Millénium de David Fincher était un projet casse gueule, à mi-chemin entre les blockbusters et des productions plus modestes, dans un autre deux de plus en plus rare qui peine à exister aujourd’hui. Forcément, rentabiliser une telle somme pour un film Rated R, avec son ambiance poisseuse et ses histoires de meurtres et de viol, c’est un peu plus compliqué que pour une œuvre tous publics, et les résultats étaient suffisants pour rentabiliser la production mais pas non plus satisfaisants, en tout cas pas pour que Sony rempile direct. Résultat des courses : toute l’équipe a pris le large, et il fallait déjà rebooter la franchise avec un nouveau casting.
Lourde tâche pour Fede Alvarez donc, un réalisateur dont le précédent Don’t Breathe s’approchait déjà de Fincher stylistiquement parlant. Mais comment faire pour passer après un tel maître ?

Devant faire suffisamment le lien avec le précédent film pour ne pas totalement perdre les spectateurs, ce Girl in the Spider’s Web devait quelque part s’en démarquer aussi, afin de pouvoir exister pour lui-même et justifier son existence. Alors oui, Millénium a déjà un univers graphique tout trouvé avec ses contrées enneigées menaçantes et son atmosphère étouffante, glaciale, sur le fil du rasoir. Visuellement, Alvarez sait qu’il ne peut pas passer du tout au tout et tente de s’inscrire dans une continuité esthétique, avec une photographie dans l’esprit du premier opus, même si le tout est moins travaillé suivant les scènes, l’abondance de dialogues semblant par moment emmerder le réalisateur qui a parfois tendance à passer en mode automatique, en illustrant le script sans se compliquer la tâche. Il reste quelques séquences avec des tentatives visuelles plus prononcées, dans le manoir qui sert l’intro par exemple, mais on voit bien les moments qui parlent à Alvarez, et ceux qui sont plus mécaniques au récit et l’intéressent moins.

Pourtant, le réalisateur uruguayen ne démord pas à l’idée de poser un climat lugubre sur son film et de le tenir tout du long, sans pour autant totalement singer son prédécesseur. Cela vient d’abord du scénario, adapté du quatrième livre de la saga, le premier écrit par un autre auteur que le créateur Stieg Larsson, mort avant la publication de sa trilogie. Non sans polémique, c’est David Lagercrantz qui a repris le flambeau il y a quelques années, et Ce qui ne me tue pas est d’ailleurs souvent décrié par les fans pour la baisse qualitative qu’il a engendrée. Les scénaristes sont bien partis sur la base du livre, avec un hacking à l’échelle internationale, la NSA impliquée dans l’histoire et des thématiques de surveillance mondiale. Sauf qu’ils ont aussi décidé de s’en écarter en gonflant les enjeux pour leur donner une toute autre ampleur. Ainsi, la surprise tombe rapidement quand on se rend compte que ce nouveau Millénium possède les attraits d’un James Bond au féminin !

Quasiment toutes les caractéristiques d’un Bond sont présentes dans ce nouveau film, remixé à la sauce Lisbeth Salander. La hackeuse enquête donc sur une étrange corporation à mi-chemin entre des criminels et des terroristes, portée par une antagoniste au look ultra soigné, ainsi qu’un homme de main tout aussi iconisé et inquiétant, comme si Requin avait été suédois !
L’intrigue, bien que riche en rebondissements, possède son lot de scènes d’actions musclées, avec des courses poursuites, des fusillades et des combats à mains nues, tout comme les gadgets de l’espion british sont ici remplacés par les talents en piratage de l’héroïne, aidée par un collègue un rien farfelu qu’on pourrait très bien remplacé par Q. La comparaison avec 007 persiste dans la tonalité du film, qui s’écarte totalement du précédent par sa musique. Bien loin des sonorités électroniques et étouffantes de Trent Reznor & Atticus Ross, le compositeur Roque Banos, partenaire de Fede Alvarez depuis son premier film, a opté pour un score orchestral aux accents très bondiens. Le tout reste sombre, encore heureux, et pioche aussi dans la saga Jason Bourne ou dans des sons lourds tels qu’on peut en entendre dans le sillage de Hans Zimmer, mais toujours avec des harmonies à cordes typique de l’agent britannique. Le Fincher avait marqué les esprits par son générique ultra stylisé et torturé, faisant penser là encore à James Bond, mais dans une version cauchemardesque. L’idée est reprise encore ici, mais dans une optique numérique et 2.0, pour un résultat convaincant bien que plus timoré.

Étrangement, ce changement de paradigme passant d’un fait divers criminel morbide à un thriller d’espionnage mondial parvient à faire son effet durant un temps tant oui, on a l’impression de redécouvrir Millenium. Le début du film, assez nerveux, renoue avec la colère d’une Lisbeth Salander se posant comme un ange vengeur pour toutes les femmes abusées par la gente masculine, et il y a comme chez Fincher le plaisir de voir un gros film hollywoodien qui va dans des terrains inconfortables, pour parler de violence crue et d’esprits malades.
Au fur et à mesure que le scénario monte en galons, cette virulence se perd dans un schéma plus dramatique et sensationnel qui impose une certaine distance avec le public tant on tombe dans un schéma grandiloquent auquel il est plus difficile de s’identifier.

Ce n’est jamais la faute de Claire Foy, qui rempile haut la main après Rooney Mara et campe à merveille cette femme aussi fragile que furieuse, dont le caractère en ébullition n’en cache pas moins des fêlures et une douleur intérieure que rien ne saura tarir. Assurément trop long pour ce qu’il a concrètement à raconter, ce nouveau Millénium tente de renouer avec la profondeur émotionnelle de son personnage principal en creusant son passé, et cette partie, intimement liée à ses enjeux gargantuesques, sonne trop artificielle pour vraiment convaincre, semblant posée au milieu du désordre global un peu par hasard. Les scénaristes ont eu les yeux plus gros que le ventre, en témoigne de nombreuses péripéties qui étirent le film inutilement, tout comme le personnage de Mikael Blomkvist est à l’inverse de Lisbeth Salander, en étant pour le coup totalement raté. Campé par un Sverrir Gudnason sans charisme et au minois de beau gosse opposé à l’aspect rude de Daniel Craig, le bougre fait peine à voir à chacune de ses scènes, et a l’air de sortir d’un téléfilm à l’eau de rose totalement hors sujet.

Cette attache coûte que coûte à l’univers de Millenium, et ici à son journal, paraît presque contradictoire avec l’échelle visée et l’idée de dévisser la franchise pour l’amener sur un terrain de jeu plus gros. Le résultat est forcément étrange, comme tiraillé entre ses démons du passé, la radicalité qui allait de soi, et l’envie d’en faire un gros divertissement adulte qui en jette, quelque part entre Hitchcock et James Bond chez les fous. Et aussi bancal soit le résultat, trop gourmand et mal équilibré, à coup sûr bien loin du précédent, il est pourtant difficile de totalement renier son plaisir tant le personnage iconique qui porte la saga a le droit à une nouvelle incarnation réussie. Peut-être parce qu’il ne cède pas totalement aux alertes du grand spectacle aseptisé et garde toujours des aspérités ténébreuses, ce nouveau Millénium est un hybride étrange, très souvent frustrant mais qui garde en lui un goût pour la noirceur et l’amertume lui permettant d’être un peu plus incarné que n’importe quelle machine hollywoodienne.

À l’image de son héroïne, voilà une œuvre malade, parfois séduisante, parfois repoussante, mais belle et bien insaisissable.

Millenium : Ce qui ne me tue pas, de Fede Alvarez – Sortie le 14 novembre 2018

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