Si le nom de Wicked n’est pas très connu chez nous, c’est un véritable phénomène dans les pays anglophones et pour cause : cette comédie musicale est un succès colossal depuis sa première en 2003 à Broadway, au point de devenir la 2ème plus rentable de l’histoire derrière Le Roi Lion.
Et le schéma s’est répété avec son arrivée à Londres en 2006 : dans les deux villes, la pièce joue depuis tout ce temps dans son théâtre d’origine, et continue d’enchanter les spectateurs qui viennent toujours aussi nombreux.
L’une des raisons de son triomphe est le roman sur lequel elle s’appuie, à savoir une réécriture du mythique Magicien d’Oz de Frank Baum, l’une des œuvres d’enfance les plus populaires en langue anglaise.
Dès lors, son adaptation sur grand écran était une évidence, et il aura fallu attendre 20 ans pour voir la chose se concrétiser.
Mais est-ce que le résultat est à la hauteur de son gigantesque modèle ?
On peut dire qu’Universal a mis les petits plats dans les grands pour cette version cinéma de Wicked : tout d’abord en allant chercher Winnie Holzman, responsable du livret de la pièce, ici aidée par la scénariste Dana Fox pour adapter les aventures de Glinda et d’Elphaba.
L’autre tête pensante du projet original, le compositeur et parolier Stephen Schwartz, est également de la partie, accompagné par le génial John Powell à la musique pour les ajouts non-chantés, et histoire d’enfoncer le clou, ce film est en réalité l’adaptation du premier acte de Wicked, le 2ème étant attendu l’année prochaine dans une seconde partie.
Sachant que ce premier long métrage fait déjà 2h30, soit la durée complète de la pièce !
Avec le star power d’Ariana Grande dans le rôle de Glinda, et le réalisateur Jon M. Chu qui a déjà adapté en amont la comédie musicale In The Heights au cinéma pour se faire la main sur le genre, le tout promettait une superproduction luxueuse et de ce côté là, Wicked ne ment pas sur la marchandise.
Dès son introduction (qui reprend là où s’arrête le Magicien d’Oz), le film déploie une large palette de couleurs, des plans amples et des décors conséquents.
Même si la promotion a paradoxalement caché la dimension musicale du film (ce qui est complètement aberrant vu la popularité de la pièce), le résultat assume sa nature d’entrée de jeu, et il y a quelque chose de réjouissant à voir une production à 150 millions de dollars y aller aussi franco dans le genre, en jouant la filiation directe avec le récit mythique du monde d’Oz et des passages chantés avec des figurants dans tous les sens. Et tant pis pour ceux qui n’aiment pas les comédies musicales…
Certains disent qu’ils n’ont pas d’âme, et c’est sûrement scientifiquement prouvable.
Wicked reprend donc à la fin du Magicien d’Oz, une fois que la sorcière de l’ouest a été battue par Dorothée, et on voit la magicienne Glinda débarquer dans le village des Munchkins, pour se lancer dans le récit de son amitié de jeunesse avec la fameuse sorcière, qui n’était peut-être pas si méchante que ça…
En montrant les coulisses de ce récit mythique, Wicked s’impose comme sa déconstruction, et consiste à montrer l’histoire depuis le point de vue opposé, cette dernière n’étant peut-être pas aussi manichéenne que prévue, et le beau monde d’Oz recélant bien des secrets.
Hyper fidèle à la trame de la pièce, le film en reprend donc les scènes point par point, avec cette histoire d’amitié farfelue, Glinda étant la parfaite élève populaire que tout le monde envie, avant qu’elle ne se retrouve en colocation forcée avec Elphaba, dont la peau verte est une source de discrimination depuis sa plus tendre enfance. Ce duo pour le moins étrange, reposant visuellement sur la confrontation entre le rose bonbon et le vert/noir, va donc se tirer la bourre puis se lier d’amitié, alors que des machinations se mettent en marche dans leur université de Shiz, où les professeurs animaux sont de moins en moins nombreux à mesure que de nouvelles lois les oppriment, ce qui ne sera évidemment pas du goût d’Elphaba.
Récit sur la montée du fascisme et du racisme dans un monde où les apparences priment, Wicked semble trouver une résonance particulière en revenant ainsi aujourd’hui, à l’heure où Donald Trump revient à la Maison Blanche et où les populismes d’extrême droite gagnent du terrain dans le monde.
Il est vrai que le scénario ne fait jamais preuve d’une grande subtilité dans sa démonstration, les chansons étant en plus centrées sur la relation entre les 2 héroïnes, laissant donc les dialogues plus classiques et fonctionnels faire avancer l’intrigue globalement.
Mais le tout est fait avec soin, et leur approche du problème dépend aussi de leur statut social d’origine, montrant comment on peut ostraciser toute contestation en détournant l’attention.
Et ce récit est scrupuleusement respecté, et donc conté, avec un amour dégoulinant pour le matériau de base.
Malgré sa production luxueuse, avec des décors construits en dur et des costumes somptueux, Wicked porte malheureusement quelques stigmates en passant sur grand écran.
En premier lieu, Jon M. Chu n’a jamais été un réalisateur particulièrement remarquable et cela se sent à multiples reprises, particulièrement sur les fameuses scènes musicales, qu’il a tendance à trop découper.
Même si la production a largement insisté durant la promo sur le fait que les actrices ont chanté en live sur le plateau de tournage pour que leurs performances soient authentiques, Chu a du mal à laisser vivre ses plans pour que le casting puisse clairement s’approprier l’espace, et ce qui peut marcher sur certains passages ne le fait pas tout du long. Il y a d’ailleurs un choc lorsque l’acteur Jonathan Bailey arrive à l’écran, avec un traitement différent de ses performances, lui ayant justement des plans plus longs, larges et amples pour s’exprimer, et offrir un rendu plus proche de Broadway que de la séquence clippée.
D’autant qu’en étirant à plus du double la durée initiale du premier acte de la pièce, Wicked fait parfois sentir ses extensions, que ce soit par quelques ajouts narratifs pas franchement utiles, comme l’enfance d’Elphaba pour le moins forcée, ou les chansons qui s’en trouvent rallongées, parfois en marquant plusieurs pauses ! Ces problèmes culminent dans le climax du film, à savoir le moment de la GÉ-NIA-LE chanson “Defying Gravity”, véritable tube de la pièce, qui est devenue par la suite le modèle de “Let It Go” dans La Reine des Neiges, pour laquelle Disney a été d’ailleurs chercher Idina Menzel, qui a été la première Elphaba de Wicked à Broadway !
Grand moment d’émancipation revendiqué dans une montée en puissance parfaitement orchestrée, la chanson a en plus le bénéfice d’un effet scénique saisissant lorsque l’interprète d’Elphaba se met littéralement à planer très haut au-dessus de la scène.
Au cinéma, la chanson démarre déjà de façon un peu anti-climatique, mais surtout Chu joue les pauses à multiples reprises, cassant un peu la montée dramatique de la chanson.
Et surtout, ce qui est impressionnant en vrai se transforme ici en une comédienne qui tourne sur un fond vert visible et perfectible, ce qui casse quelque peu l’effet waouh de l’instant, ici empêtré dans des images de synthèse loin d’être parfaites…
C’est d’autant plus regrettable que Cynthia Erivo est pour ainsi dire bluffante dans le rôle d’Elphaba. L’idée de prendre une comédienne noire pour jouer un personnage de couleur subissant du racisme tombait sous le sens, et elle apporte autant de gravité à son rôle que de résilience dans le regard, semblant ouverte aux autres tout en étant jamais dupe face aux discriminations.
On ne pourra malheureusement pas en dire autant d’Ariana Grande, qui certes joue sa partition avec soin, et en étant impeccable au chant, mais le rôle de Glinda porte une étincelle de folie dans le regard et dans l’attitude, ici absente chez la chanteuse, qui feint la chose de bout en bout.
Peut-être est-il difficile de dépasser son statut de superstar, ou peut-être plus simplement est-elle trop sage pour incarner ce petit pète au casque, qu’on imagine plus sur une Reese Witherspoon dans la Revanche d’une Blonde, ou chez Margot Robbie en Barbie ou en Harley Quinn.
Pour quiconque a déjà vu Wicked sur scène, difficile de retrouver ce même mélange de candeur, d’hypocrisie et de folie douce dans l’interprétation de Grande, qui semble en représentation permanente face à une Cynthia Erivo en pleine possession de ses moyens, ou même à un Jonathan Bailey génial de bout en bout.
Que tout ça ne vous empêche pas d’aller voir Wicked, car il faut bien avouer que le contrat est largement rempli : les excellentes chansons de la pièce sont toujours aussi entêtantes, son récit reste malheureusement d’actualité, voir même plus pertinent que jamais, et nous avons à faire à un blockbuster intelligemment produit, qui essuie certes les plâtres sur certains effets spéciaux, mais sait aussi offrir de grands décors et des tableaux enchanteurs.
Il faudra voir avec sa deuxième partie si le pari est réussi de bout en bout, et sans doute la production a été un peu trop gourmande sur la durée, mais voir une comédie musicale aussi chouette dans un tel écrin reste un vrai plaisir de spectateur, et on espère que son succès colossal au box-office américain relancera le genre pour de bon.
Wicked, de Jon M. Chu – Sortie en salles le 5 décembre 2024




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