Un générique d’ouverture rythmé par des notes de jazz, le nom des acteurs du film qui apparaît dans l’ordre alphabétique… Bienvenue dans le nouveau film de Woody All- ah ? Non ? On se serait trompés ?

Non, “After the Hunt” n’est pas un film de Woody Allen. Mais pour son nouveau long-métrage, Luca Guadagnino met les pieds dans le plat d’entrée, en faisant directement référence à l’un des réalisateurs dont l’héritage compte parmi les plus compliqués pour les cinéphiles. Parce que Allen est une incarnation de la question épineuse “Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?”, et qu’encore aujourd’hui, le réalisateur continue, même après les révélations de sa belle-fille Dylan Farrow, à réaliser des films.

Présenté à Venise et au LFF en hors-compétition, “After the Hunt” a reçu un accueil froid, même hostile. Normal, au vu de son synopsis et de ses premières images qui promettent un film “inconfortable”, “déplaisant”, et ce en dépit du grand retour de Julia Roberts dans un film prestigieux après quelques années un peu maigres en rôles consistants.

L’actrice incarne Alma, une professeur de philosophie de l’Ivy League. Elle doit gérer le témoignage d’une étudiante, Maggie (Ayo Edebiri) qui accuse l’un de ses supérieurs, Hank (Andrew Garfield) de violences sexuelles. Lequel se défend bien sûr de ces accusations en mettant tout sur le dos de la cancel culture, la fameuse. Entre accusations de tricherie et accusations de viol, Alma essaye de démêler le vrai du faux tout en préservant les apparences auprès de son mari (Michael Stulhbarg).

“After the Hunt” est le premier scénario écrit par Nora Garrett, et ça se voit. 
En voulant brasser une multitude de sujets – le harcèlement sexuel en général et dans les institutions universitaires, un portrait de femme qui cache un lourd secret, et même un vague triangle amoureux, l’ensemble n’arrive pas à dissimuler longtemps un équilibre précaire qui se vautre une fois passé son premier tiers.

Même si son titre est factuellement vrai (on passe plus de temps à suivre les personnages après les conséquences des accusations de Maggie), “After The Hunt” est moins un film sur la chasse contre Hank que sur la lente descente aux enfers d’Alma. 

C’est pour ça qu’il est dommage que son premier tiers, centré sur Hank, soit le plus solide, même si le film se révèle bien plus intéressant qu’une enquête sur la culpabilité du personnage (spoiler : inutile d’avoir bac +10 pour comprendre que Maggie dit la vérité). Hank est le personnage principal de la vie d’Alma, qu’elle le veuille ou non : il est l’incarnation de ce qu’elle ne peut pas avoir, et peut-être de ce qu’elle a déjà eu ?

Quand il disparaît au bout de 40 minutes, Julia Roberts peut enfin porter le film sur ses épaules avec une intensité remarquable qu’on ne lui connaissait plus. 

Mais son affrontement poli avec Ayo Edebiri tombe rapidement à plat parce qu’aucune de leurs interactions ne fonctionne. Les deux personnages qui devraient fonctionner en miroir ne se reflètent pas même si Maggie aimerait justement bien ressembler à Alma, y compris dans ses costumes – un vrai point fort du film, qui en dit énormément sur leurs caractères ; là où Hank incarne une bonhomie virile avec sa barbe, ses jeans et ses chemises de bûcheron, les matières plus luxueuses et neutres d’Alma illustrent l’écart social et intellectuel qu’elle a avec lui, et que Maggie espérait acquérir aussi.

Si on apprécie de voir Guadagnino continue à donner des rôles complexes et intéressants à des actrices noires comme Taylor Russell ou Zendaya, ici, le gender swap du personnage de Maggie, qui était blanche dans le script originel de Nora Garrett, ne fonctionne pas car il n’a pas les armes pour appréhender cette discrimination supplémentaire. 

Le script se révèle donc stérile, malgré la satire pertinente du milieu universitaire où l’on préfère s’écouter parler pendant des heures qu’écouter les autres parler – un comble, pour de la philosophie ! 

Même la mise en scène de Luca Guadagnino – plus que jamais focalisée sur les visages de ses protagonistes, et ses couleurs froides, n’arrive pas à réveiller le film qui se réveille heureusement sur ses vingt dernières minutes où explose la vérité – là encore, l’exécution est très différente du script original, et cette fois pour le meilleur. C’est aussi, sous ses couches de cynisme assumées, l’une des fins les plus tristes du cinéma de Guadagnino qui en compte pourtant beaucoup.

Spoilers

Non, Alma et Hank n’avaient pas de liaison ; mais Hank tente de la violer.

Accablée par une douleur au ventre qui était lancinante depuis le début de l’histoire, elle est admise d’urgence dans un hôpital où elle avoue à son mari qu’elle a vécu une “histoire d’amour” avec un ami de son père alors qu’elle était encore mineure.

Avec l’horreur de la situation, Alma devient enfin un personnage humain, palpable. Son refus d’être considérée comme une victime et son sens de la culpabilité montrent l’inéluctabilité d’un cycle d’abus sans fin, que personne ne peut arrêter. 

Il y a 15 ans, un film parlait, en filigrane, de harcèlement sexuel à l’université, du traitement des étudiantes, de l’écart vertigineux entre les hommes et les femmes dans ce milieu.

Un certain Andrew Garfield y jouait un étudiant qui aidait son meilleur ami à créer un algorithme pour mettre en compétition les étudiantes de leur campus en fonction de leur beauté.

Il est donc d’autant très intéressant de le voir avec “After the Hunt” dans un rôle à la fois opposé – d’étudiant, il passe professeur – et pourtant si proche dans la manière qu’ont Eduardo Saverin et Hank d’appréhender les femmes autour d’eux. 

Guadagnino arrive très, très efficacement à exploiter la sympathie naturelle que l’on a pour Garfield. Ce dernier joue un homme bien de notre époque : prêt à tout pour être écouté, utilisant son physique et son aisance orale pour obtenir ce qu’il veut. 
Un fait que l’acteur, pendant la promotion houleuse du film, avait l’air de comprendre. 

Julia Roberts insistait sur le fait qu’on l’était dans une époque où l’on refuse de s’écouter. Ce serait une bonne thèse sur ce que tente d’exprimer, même maladroitement, “After the Hunt”. Un film où personne ne s’écoute, refermé sur soi-même, et un film qui, paradoxalement, ne va probablement pas être écouté par son public. 
Le film rappelle doucement que la responsabilité d’écouter est plus importante que celle de parler. Mais les personnages – et le public, à nouveau, ont-ils vraiment envie de voir ça ? 
On ne peut pas s’étonner du flop du film qui arrive en France directement sur Prime Video. Mais on est tristes aussi qu’un message aussi important se noie dans un script qui n’a pas les fondations nécessaires pour exprimer pleinement son potentiel. 

“After the Hunt” mérite d’être vu avant d’être jugé, mais on ne sait pas s’il mérite d’être défendu.

After the Hunt, de Luca Guadagnino – Disponible sur Prime Video

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