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Un Dimanche Une Critique : Un Justicier dans la Ville

On continue d’avancer dans le temps pour évoquer le héros du film d’action à travers les âges.

Après 1924, 1933 et 1958, nous voici donc en 1974 et le héros des seventies n’est pas le même que celui de vingt ans plus tôt.

Le héros de cette époque, c’est Charles Bronson, le Justicier dans la Ville.

 

 

 

Le pessimisme jouant sur la hantise du passé qu’avaient développé les films noirs a fini par changer. Le temps passant, le héros a cessé de regarder vers le passé, que ce soit en tant que fantaisie utopiste ou comme source de mystères et de souffrances enfouies. Il a cessé de le regarder mais ne l’a pas oublié. Ce qui lui importe dès lors, c’est le présent. La réalité, la vérité rêche du monde physique qui l’engendre et grâce auquel il existe.

Les années 1970 aux États-Unis sont sans doute l’une des décennies les plus tumultueuses. Les mutations sociales accaparent l’intérêt public. Les minorités commencent à se faire entendre, la révolution sexuelle envahit les esprits, le mouvement pour la paix connaît son plus grand combat face à un conflit Vietnamien qui déchire le pays de l’intérieur. Pour ne rien arranger, les crises internes se multiplient, Watergate en tête. Il s’agit d’une époque où rien n’est sûr, rien n’est acquis. L’instabilité constitue alors l’une des craintes les plus prononcées de la société. Les dirigeants commettent de graves erreurs et mentent, tandis que les soldats, autrefois vus comme un symbole de puissance, reviennent vaincus du bout du monde.

Pris dans cette tourmente incessante, les héros n’ont d’autre choix que l’investir. Si le cadre de leurs actions reste la ville, celle-ci n’est plus esthétisée. Les influences expressionnistes ont disparu au profit d’un naturalisme instauré par des films comme French Connection ou Dirty Harry. La réalité vient de frapper le cinéma policier de plein fouet. Les malfrats pullulent sans superstructure apparente comme c’était le cas avant la Seconde Guerre Mondiale. Les policiers, désarmés face à l’incompatibilité de la loi avec les temps modernes, s’octroient des pouvoirs qui ne leur appartiennent pas. Tous les coups sont permis dans un monde qui a perdu sa dualité. Les nuances se multiplient, posant de nombreuses questions sans réponses.

Au beau milieu des ripoux et des anti-héros, une autre variation de héros va prendre son essor. Si ses méthodes sont semblables à celles du flic qui a mal tourné, sa motivation est toute autre. Elle est plus douloureuse, moins abstraite. Né d’un violent traumatisme, un besoin de vengeance va animer le protagoniste, qui va agir presque malgré lui, d’abord pour tenter de retrouver un certain équilibre, ensuite parce que les plaies ainsi ouvertes ne peuvent pas véritablement se refermer. Les raisons de ses actes sont apportées par la société elle-même, et c’est en cela qu’il représente la problématique de l’époque.

Seul, isolé, celui qui deviendra le porteur de justice expéditive cherche d’abord sa place, et se demande comment déterminer le rôle qu’il doit jouer. Les événements l’y contraignant, il décide de passer à l’acte. Cette action emmagasine à elle seule de multiples problèmes. La violence légitime est vue comme incompétente, incapable d’exécuter sa fonction. Obsolète donc, si l’on considère que son existence se justifie par son objectif. Mais dire de la police qu’elle est dépassée dans un monde de crimes incessants, c’est aussi revenir en arrière, vers une époque sans fondements, sans règles de cohésion sociale.

Le justicier est donc un agent anarchiste, revendiquant un droit archaïque à l’utilisation d’une violence servant d’abord sa satisfaction personnelle. Impossible de parler de légitime défense, puisque Paul Kersey, notre protagoniste, poursuit les criminels en déroute avec la ferme intention de leur ôter la vie, comme sa femme se vit ôter la sienne de manière gratuite. Ce type de héros se caractérise par une forte propension à la passivité. Ses actions sont unilatérales, peu réfléchies, presque toujours guidées par un fatalisme inévitable.

Ceci étant, il est toujours possible de repérer des éléments hérités du film noir sur cette nouvelle forme de violence. Les personnages, par exemple, sont très peu souvent libérés d’un cadre oppressant. L’environnement est resserré, minimaliste malgré son appartenance à la ville (un seul plan d’ensemble de New-York est présent dans Death Wish). Dans les plans larges, les figures des acteurs se perdent dans une architecture terne et morose qui ne fait nullement ressortir ces silhouettes à la froideur similaire.

Le scénario simple et habille du film permet d’aborder de nombreux thèmes. Ainsi, la toile de fond politique des implications de la justice expéditive sur la conscience collective est mise en relief. L’injection soudaine d’une solution simple aux problèmes compliqués n’a bien sûr aucun mal à gagner l’opinion publique. Son efficacité est illustrée par la peur engendrée sur les délinquants, tandis que son danger latent est magnifiquement suggéré par le dernier plan du film, ô combien troublant.

La meilleure idée d’écriture est probablement qu’aucun parti n’est pris. Le film observe la transformation d’un citoyen lambda en homme d’action assoiffé de vengeance, et qui répand la mort parmi les criminels. Jamais, cependant, ses actions ne sont louées par la narration, qui conserve une distance de sécurité et laisse le spectateur seul maître de la réponse à la problématique. Ironie du sort, sans doute, Paul Kersey ne rencontrera jamais les meurtriers de sa femme et violeurs de sa fille, immunisés, inconscients même, face à la rage autodestructrice du personnage qui, on le comprend, ne vivra plus que pour servir la fonction qu’il s’est attribué. En un sens, Paul Kersey s’est effacé pour incarner cette instabilité sociale et psychologique rongeant son univers.

Si les films mettant en scènes des vigilantes étaient alors populaires, les années 1980 et 1990 se sont globalement passées d’eux (à l’exception des quelques perles de Steven Seagal), jusqu’à leur petit retour inattendu au milieu des années 2000, par l’intermédiaire de succès comme Taken, Death Sentence, Edge of Darkness ou encore Seeking Justice. Si l’idée est toujours vivace donc, on note une chute d’intelligence sans précédent dans ces nouveaux films, le génial et anachronique James Wan mis à part, qui semblent expulser tout propos existentialiste ou socio-culturel au profit d’inepties cinématographiques remplies d’action sans conséquence. Bien loin d’un Charles Bronson au stoïcisme glaçant, dissimulant à peine un chaos intérieur incontrôlable posant la pierre angulaire du cinéma d’action américain des années 1970.

 

Un Justicier dans la Ville (Death Wish) – sorti le 4 septembre 1974
Réalisé par Michael Winner
Avec Charles Bronson, Hope Lange, Vincent Gardenia
Paul Kersey est architecte, mari d’une femme qu’il aime et père d’une fille déjà mariée. Son monde s’écroule le jour où une bande de malfrats pénètrent chez lui pour violer sa fille et assassiner son épouse. Changeant de vue sur le monde qui l’entoure, Kersey prend vite les armes et décide d’instaurer une justice à sa manière…

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