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Un Dimanche, Une Critique : Things to Come
En ce dimanche, nous vous proposons une (re)découverte datant d’il y a quelques années.
On va en effet faire un bond dans le passé avec un film sorti en 1936 et récemment passé à la Cinémathèque Française à Paris dans le cadre d’un cycle sur les villes futuristes.
Things to Come (ou La Vie Future puisque c’est le titre français) est une adaptation d’un roman de H.G Wells (L’Homme Invisible, La Guerre des Mondes, l’Ile du Docteur Moreau, La Machine à Explorer le Temps et j’en passe) par … lui-même. C’est à lui qu’est consacré ce nouveau numéro de Un Dimanche, Une Critique.
Le film étant tombé dans le domaine public, il est intégralement visible avant sa critique.
Things to Come (La vie future) – date de sortie inconnue en France
Réalisé par William Cameron Menzies
Avec Raymond Massey, Ralph Richardson, Margaretta Scott
En 1940, une guerre mondiale éclate, laissant l’humanité exsangue. Deux siècles plus tard, alors qu’une épidémie à ravagé la population et que le chaos s’est instauré, un étranger venant d’un lointain pays technologiquement avancé fait son apparition et menace l’ordre établi…
Film intégral
En 1933, Herbert George Wells publie une œuvre de science-fiction qu’il considère comme l’un de ses plus grands travaux : The Shape of Things to Come. Jamais traduit en français, ce livre propose une vision désenchantée des systèmes politiques et de leur évolution. Parcourant plus d’un siècle, Wells met en scène différentes révolutions, guerres, victoires et désillusions.
Très vite, les droits du livre intéressent un certain Alexander Korda, alors à la tête de la maison de production London Films. Wells accepte d’écrire l’adaptation de son propre roman et insiste pour avoir un certain contrôle créatif sur l’œuvre. Alors qu’une grande partie de la production britannique de l’époque se voit diluée dans un torrent de long-métrages peu chers, vite tournés et tout aussi vite oubliés, Korda accorde un budget plus conséquent à ses productions, et Things to Come ne déroge pas à la règle.
Après plusieurs versions du script, Wells donne son feu vert pour la production du film. Très vite, le réalisateur W.C Menzies, dont c’est le premier film, se voit écrasé par les exigences de l’auteur britannique, qui n’arrive pourtant pas à donner une idée précise de l’univers visuel de son œuvre au reste de l’équipe. Au final, 130 minutes sont tournées et, après plusieurs projections tests, le film se retrouve inexplicablement réduit à 92 minutes.
Œuvre tronquée, trop ambitieuse peut-être, Things to Come sort en 1936 après une production mouvementée et est bien trop vite passée sous silence.

Pourtant, Things to Come est un film unique (pléonasme me direz-vous (quoique…)). Sa grandeur démesurée à peine raisonnable pour l’époque, l’inaccessibilité de sa forme originelle, et son côté prophétique en font un film sans pareil.
Les premières scènes, construites autour la représentation de la ville d’Everytown à la veille à la fois de Noël et d’une supposée deuxième guerre mondiale jouent sur une imagerie glissant sans cesse d’un extrême à l’autre, passant sans transition de la joie des fêtes à la peur du conflit, comme si toutes deux formaient à elles seules le cœur de la société. Le film gardera cette construction d’aller-retours incessants, comme si le monde reposait sur l’idée qu’aucune stabilité n’est éternelle.
L’approche minimaliste de Menzies, probablement due à l’insuffisance des décors réduisant une ville toute entière à une place, une avenue principale et quelques rues, créé une scène idéale pour la tragédie épique de Wells. Dès lors, la destruction totale de la ville par les bombardements au commencement de la guerre n’en est que plus traumatique, notre seul point de référence dans la diégèse ayant été détruit.
Cette imagerie puissante, presque accablante, se retrouve hélas amenuie par la maladresse narrative de Menzies, qui se contente d’un diaporama de scénettes qui perdent de leur impact quand prises dans l’optique plus grand du récit. Les années passent donc au rythme de batailles aériennes techniquement impressionnantes mais qui impliquent bien peu le spectateur. Plus de vingt ans de guerres sont suivies d’une épidémie d’origine inconnue réduisant de moitié la population mondiale, et menant les survivants à suivre la première figure charismatique émergeant d’un chaos sans égal dans l’histoire de l’humanité. Ainsi se conclue un premier tiers d’une noirceur rarement vue au cinéma.
Ayant entraîné la société dans une destruction telle qu’elle est proche du point de non-retour, Wells peut alors introduire son personnage-clé : Cabal. Étranger effrayant au yeux des survivants d’Everytown, Cabal révèle venir d’un pays où l’aviation est renée de ses cendres, d’un pays où la science a permis une nouvelle forme de Lumières. Sous leurs airs simples de bouleversements politiques, les deux derniers tiers du film se révèlent être une occasion en or pour l’auteur de donner forme à ses idéaux technocratiques. En effet, de la chute d’une aristocratie barbare aux mains de Cabal à la reconstruction du monde dans une longue succession de séquences marquée par la conquête de la machinerie scientifique sur le désordre de l’après-guerre, en passant par une mise en images de la course au progrès au nom du progrès lui-même, tout est pensé pour présenter une alternative aux politiques contemporaines.

Pourtant, Wells n’oublie pas son pessimisme de départ et offre une conclusion qui, bien que lorgnant vers la grandiloquence, a le mérite d’être inattendue.
Si Menzies s’en sort tout juste honnêtement dans la construction de son récit, le directeur de la photographie George Périnal et le superviseur des effets visuels Ned Mann délivrent un travail plastique absolument grandiose. L’immensité et la perfection des décors futuristes, ainsi que leurs incroyables aéronefs font de Things to Come une curiosité indispensable aux amateurs de science-fiction. Curiosité d’autant plus intéressante que la volonté de s’éloigner autant que possible de la vision de Fritz Lang et de son Metropolis se fait ressentir tout au long du film.
On ne manque pas également de remarquer que le romancier considérait la musique primordiale à toute œuvre cinématographique, et avait ainsi demandé au compositeur Arthur Bliss de produire une bande originale avant même que le tournage commence. Cette dernière se révèle par ailleurs être une réussite magistrale qui, même si elle penche dans l’extravagance de l’époque, se distingue par ses dissonances irrégulières qui viennent accompagner l’idée de va-et-vient permanent.
On ne peut bien sûr que regretter que 40 minutes sont désormais perdues corps et bien, cependant, la faiblesse et le manque d’engouement avec lesquels Wells dépeint ses personnages laisse songeur quand au résultat initial.
Au final, Things to Come, dans tout son statut d’œuvre malade et incomplète, se révèle bien plus fascinante que nombre d’adaptations d’H.G Wells. Bien qu’inégal, le film possède une force évocatrice rarement égalée à cette période du cinéma, et gagne à être redécouvert aujourd’hui.