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Un Dimanche, Une Critique : Shaolin Contre Ninja

Quoi de mieux qu’un long weekend grisâtre et pluvieux pour découvrir des films ?

On continue notre découverte du très beau catalogue de WildSide, l’éditeur de DVD et distributeur de films qui a bien voulu nous l’ouvrir de manière à ce qu’on fête nos dix années respectives d’existence.
Après un film fantastique espagnol et l’un des Kurosawa les plus célèbre, il nous semblait normal de nous attaquer à l’une des collections phare du distributeur au chat qui miaule : la Shaw Brothers.

Un Dimanche Une Critique est donc consacré à Shaolin Contre Ninja dont le DVD est disponible ici.

Shaolin Contre Ninja (中華丈夫) – Produit en 1978
Réalisé par Liu Chia-liang
Avec Gordon Liu, Yasuaki Kurata, Yuko Mizuno
Suite à un accord passé entre leurs parents des années auparavant, le jeune chinois Ah To se voit épouser une japonaise, Kung Zi. Très vite, il découvre que sa nouvelle femme est versée dans les arts martiaux de son pays natal. Le choc des cultures prend graduellement une ampleur dépassant leur vie privée, et un groupe d’artistes martiaux japonais se rend en Chine afin d’imposer à Ah To une série de défis impitoyables…

Plus besoin de présenter la société Shaw Brothers, boîte de production hongkongaise particulièrement influente lors de la vague des films d’action des années 1970 et 1980. Si leur catalogue regorge de films mineurs à n’en plus finir, quelques dizaines d’œuvres d’exception sortent sans mal du lot et ont su maintenir leur influence sur le cinéma d’action moderne (oriental comme occidental).

L’appartenance du film de Liu Chia-liang ici concerné (hélas affublé d’un titre français peu convaincant) à la liste des pièces maîtresses à retenir est due à une multitude de facteurs. La plupart des productions de la Shaw Brothers mettaient en scène la discipline du kung-fu, qui se voyait sans cesse, et de manière tout à fait légitime, valorisée et défendue comme pratique suprême des arts martiaux. Cette approche reste acceptable du moment que chaque film se maintient dans un système unidisciplinaire visant à démontrer les vertus de son objet d’étude. Ceci se vérifie par exemple dans le sublime La 36e Chambre de Shaolin, un monument indétrônable dans le syncrétisme des valeurs du kung-fu et de la naissance du héros d’action au sens noble (réalisé par le même cinéaste).

Cependant, la mise en perspective de la culture chinoise avec ses voisins requiert une approche plus subtile au risque de se révéler insultante, ou au contraire démagogique. Ce Heroes of the East (titre anglais tout de même plus intéressant) possède ainsi la particularité d’opposer deux cultures. S’il n’est pas le premier à le faire, il se révèle plus progressiste dans son traitement que d’autres films à la volonté similaire (La Fureur du Dragon, par exemple). En outre, il accorde une place importante aux arts de combat japonais et permet même à son héros chinois de commettre des erreurs de jugement.

Bien entendu, le film reste avant tout une production de Hong Kong, et donne donc la part belle au kung-fu tout en mettant en valeur son héros. Il est important de noter que cette démonstration ne se fait toutefois pas au détriment de la culture nippone, qui jouit d’une introduction et d’un développement relativement neutres, sinon positifs. En effet, la première moitié du métrage, qui se concentre sur la naissance de la rivalité idéologique opposant les deux époux, met en exergue des différences culturelles pertinentes. Il est donc à demi surprenant de découvrir un mariage et un réveil post-nuptial vidés de toute énergie sexuelle, mais pas d’énergie martiale. On y retrouve de fait une partie des confrontations des pensées confucianiste et shintoïste ; celle-là ne considérant pas le sexe de la même manière que celle-ci. La place plus affirmée de la femme japonaise est donc partiellement exprimée au travers de l’affrontement physique des nouveaux mariés.

Il est par ailleurs fascinant de remarquer l’évolution de la compréhension du héros vis-à-vis de ses adversaires, alors même que la longue exposition présentait son seul personnage japonais comme étant particulièrement violent. Cette violence, toujours canalisée et maîtrisée par les japonais, se manifeste de façon inhabituelle et disgracieuse chez le héros chinois dès lors qu’il en a besoin (la technique du poing ivre). Ce contraste est d’autant plus remarquable qu’Ah To n’a de cesse de rappeler la fluidité et la beauté du geste chinois.

Cette volonté progressiste se retrouve également dans le titre de l’œuvre. Il a précédemment été fait mention d’un titre français peu reluisant : il se trouve qu’une rapide observation des différents noms accordés au film révèle des contextes culturels et des visions radicalement différents. Le titre Heroes of the East du marché anglophone promeut un semi mensonge d’épopée à grande échelle tout en restant très vague quant à la teneur du produit, tandis que le ridicule Shaolin Contre Ninja, choisi pour le marché français, tente de racoler un public que l’on pense amateur de séries Z. Or, ce petit bijou n’est rien de tout ça : en effet, le titre originel, 中華丈夫, exprime l’idée du « mari chinois ». Appellation ambivalente si elle en est, puisqu’elle peut aussi bien se rapporter à Kung Zi, qui différencie son mari des autres hommes qu’elle connaît par son origine, qu’à Ah To, qui fait preuve au départ d’une autorité patriarcale visant à imposer les coutumes de son pays. Un jeu sur les points du vue annoncé donc, qui se perd totalement dès lors que le long métrage est exporté.

Tout ceci, cependant, aurait bien peu d’impact et ne retiendrait pas l’intérêt si la fabrication du film ne suivait pas. Fort heureusement, Liu Chia-liang fait preuve d’une direction d’acteurs épatante, permettant alors de créer une certaine empathie avec les deux partis. Certes, les enjeux personnels sont vite rattrapés par une lutte des cultures qui finit elle aussi par être légèrement diluée en fin de métrage suite à l’enchaînement rapide d’une demi douzaine de duels, mais le travail d’écriture parvient à maintenir assez longtemps un équilibre entre humour et gravité pour que l’essoufflement ne se fasse sentir qu’à la toute fin de l’histoire.

Parmi les défauts formels presque inhérents aux productions Shaw Brothers, le film n’échappe pas à des coupures pour le moins inélégantes, nous privant à plusieurs reprises de la fin de cascades paraissant quelque peu dangereuses. On s’interrogera sur la présence de certains plans en opposition frontale avec la mise en scène générale de l’action, ainsi que sur de rares incohérences de spatialisation. Les bruitages outranciers, quant à eux, ne font que s’ajouter au charme de l’œuvre. Néanmoins, ces petites coquilles n’empêchent pas les scènes de combat de jouir d’une bonne lisibilité, la grande majorité étant filmées en courtes focales et bénéficiant d’un découpage agréable.

Le parti pris de mise en scène (mais pas de chorégraphie) ouvertement naturaliste de Liu Chia-liang réduit tout souci stylistique de réalisation à son expression la plus simple, donnant au métrage un aspect sobre et réaliste duquel il ne s’évade jamais, même lorsqu’il fait s’affronter deux univers distincts. Il en résulte un film parfaitement adapté aux démonstrations d’art martial qu’il propose, gardant toujours son objectif de mise en parallèle au centre du récit.

En plus d’être d’un intérêt diamétralement opposé à celui que présente son titre français, Shaolin Contre Ninja bénéficie, avec l’édition Wild Side, d’une splendide restauration et d’un sous-titrage de qualité. Un incontournable pour les amateurs du genre, un indispensable pour tout cinéphile qui se respecte.

-Arkaron

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