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A la fin des années 60, pour faire face à une augmentation de la population, la ville de Tokyo doit s’agrandir. Un nouveau « quartier » (quasiment une petite ville) voit alors le jour à la place de la colline de Tama. Mais pour ce faire, des défrichages massifs dévastent la zone naturelle jusque là préservée et chassent les animaux qui ne trouvent plus de quoi se nourrir… Une espèce va pourtant se révolter et décider de passer à l’offensive contre les humains : les tanukis*.
*Les tanukis (ou chiens viverrins) sont des canidés de taille moyenne que l’on trouve au Japon et dans les taïgas sibériennes. Ils sont omnivores et ressemblent de loin à un mélange entre blaireau et raton laveur.
Alors, je vous le dis tout de suite, ce film est un gros morceau. Déjà, c’est un film des studios Ghibli il bénéficie donc à ce titre d’une réalisation technique très soignée et ici elle est au service d’une histoire qui permet à son auteur de laisser transparaître une certaine exubérance, chose qui est moins visible dans ses autres films.
Pompoko est un film d’un genre particulier : c’est une synthèse. Une synthèse entre passé et présent, entre tradition et modernité. Là je parle du fond du film (et j’y reviendrai plus tard) mais sur la forme aussi, on trouve cette idée de synthèse.
Bien qu’il s’agisse d’un dessin animé, le film commence comme un documentaire animalier : le trait est réaliste et le commentaire en off est explicatif. Et puis soudain, on bascule : les animaux à quatre pattes se redressent sur leurs pattes postérieures, adoptent un faciès anthropomorphe et se conduisent comme des humains (ils parlent, portent des vêtements, rient, se battent, etc.). Et le commentaire se change en narration : ce n’est plus un documentaire mais une histoire qu’on va nous raconter. Et une histoire qui va chercher bien loin ses racines.
En effet, vous vous en doutez bien, dans un pays animiste (c’est-à-dire qui croit aux forces de la nature), les tanukis font partie du folklore : on leur prête des dons de métamorphose (tout comme les renards et parfois les chats) et ils sont considérés comme d’incorrigibles gourmands faisant l’objet de beaucoup d’histoires pour enfants car souvent comiques.
Ici, le don des tanukis est exploité au maximum : il sert le récit en montrant comment les tanukis se fondent parmi les populations humaines ou comment ils s’amusent à les effrayer mais il est aussi acteur du récit en montrant les émotions des animaux. Ces derniers sont en effet représentés de quatre façons différentes : réaliste, anthropomorphique, simplifiée et très simplifiée. Ceci permet alors de faire varier le ton du récit, d’osciller entre réalisme, émotion et humour.
Et puis il y a une troisième utilisation du pouvoir des tanukis : il permet de passer en revue une bonne partie du bestiaire et du panthéon des mythologies shintoïstes et bouddhistes, notamment lors d’une séquence culte, celle de la « parade des yôkai ».
Ceci est un exemple du travail de Takahata qui essaie au travers de beaucoup de ses films (et surtout ceux faits chez Ghibli) de faire connaître la culture de son pays, que ce soit grâce à son Histoire (Le tombeau des lucioles) ou grâce aux habitudes de la vie quotidienne (Kié la petite peste, Mes voisins les Yamada, Omohide Poroporo).
Dans Pompoko, Takahata montre les deux : les traditions séculaires (figures mythologiques, rites bouddhiques) en parallèle avec la vie quotidienne des années 70 (les tanukis s’infiltrent parmi les humains pour les espionner amis aussi parce qu’ils adorent leur nourriture et la télévision), d’où cette idée de synthèse que j’avais évoquée plus haut (cette fois-ci sur le fond du film).
Mais Takahata ne fait pas ce travail au détriment de son patrimoine ou plus simplement en n’édulcorant pas son propos.
Je m’explique : les tanukis sont les personnages de beaucoup d’histoires folkloriques rigolotes certes, mais ce n’est pas seulement pour leur gourmandise, ou du moins… pas que pour la gourmandise de l’estomac, si vous voyez ce que je veux dire…
Disons simplement que les tanukis sont les symboles de l’hédonisme, qu’ils aiment tous les plaisirs et ce, avec une certaine insouciance. Takahata traite donc sans détour de cet aspect en parlant de libido (afin de mieux travailler leur métamorphose, les animaux ne doivent pas se reproduire durant une saison, dur, dur) et surtout en montrant ouvertement l’utilisation plus que surprenante de leurs…. hum… « roubignoles » (c’est le terme technique employé dans le film, hein, pas de vulgarité sur cloneweb, s’il vous plaît).
Cet exemple peut surprendre le spectateur occidental (et j’imagine la tête des pontes de Disney, distributeur du film, en voyant cela) mais il n’a rien de choquant, c’est drôle et cela renvoie à de vieux mythes européens, tels Bacchus ou Gargantua, qui savaient retranscrire la nature humaine dans son ensemble, sans fausse pudeur.
Takahata nous livre donc un film riche, sensible et intelligent. Beaucoup y voient un prolongement au Totoro de Miyazaki, ou disons, une version plus mature, plus réaliste. C’est vrai mais cela ne doit pas occulter le foisonnement et l’esprit de transmission qui parcourent ce film et ceci sur le ton de la comédie, sans pathos ni morale bien pensante.
Pompoko (Heisei tanuki gassen pompoko), d’Isao Takahata – Sortie au Japon le 16 juillet 1994
1 commentaire
par Kameyoko
C’est avec ce genre de film qu’on voit à quel point Ghibli est un studio à part et partage des valeurs bien définies.
Bien que ce film ne soit pas de Miyazaki, on y ressent sa patte, son coté écologique, rêveur, mélancolique, poétique et fantastique.
Ce n’est pas mon Ghibli préféré, mais c’est clairement magnifique. Je trouve que ce film est souvent sous-estimé et peu connu. Pourtant il vaut les détours. Rares sont les films d’animation à atteindre un tel degré technique mais surtout une telle maestria sur le fond. Y a que Ghibli pour faire ça.