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Souvenez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps, à la fin du mois d’août 2010, une fichue mauvaise nouvelle qui nous avait pas mal secoués : le décès prématuré de Satoshi Kon.
Aujourd’hui, pour lui rendre un petit hommage de plus, la critique du dimanche s’attardera sur le moins connu de ses films (sans doute parce qu’il a été très mal distribué) : Millenium Actress.
LA CRITIQUE
Bon alors, je vous le dis tout de suite, Satoshi Kon est un maître. Un sacré bondieu de réalisateur. Et je risque sûrement de zapper plein d’aspects culturels et stylistiques de son film car je ne suis pas un spécialiste mais simplement un admirateur de son travail, alors je vais juste essayer d’éveiller un peu votre intérêt pour ce film.
Un auteur.
Satoshi Kon a deux marques de fabrique : le première c’est le mélange réel/imaginaire et la seconde c’est l’occupation complète d’un univers.
Le mélange réel/imaginaire, c’est ce qui a le plus frappé les spectateurs lorsqu’ils ont vu son premier film, Perfect Blue, véritable récit labyrinthique qui semble se perdre maintes fois pour toujours retomber sur ses pieds et créer la surprise (voir la critique du dimanche qui lui y est consacrée pour plus de détails). Et bien entendu, le fait que monsieur Kon utilise l’animation et non la prise de vue réelles est d’autant plus trompeur et manipulateur puisque le présupposé « réel » n’existe même pas (oui, je sais, dans le cinéma traditionnel non plus, ce qu’il y a sur l’écran n’est pas le « réel » mais ce que je veux dire c’est que des acteurs humains, ça fait plus réaliste que des dessins qui bougent, quoi). Cette marque de fabrique, on la retrouve dans tous ses films et série télé (Perfect Blue, Millenium actress, Tokyo Godfathers, Paprika et Paranoïa Agent).
Quelle forme prend-elle ici ? Une forme double.
D’abord, on suit les souvenirs de Chiyoko : souvenirs personnels et professionnels. Et petit à petit, les deux se mélangent si bien qu’on ne sait plus si la scène que l’on voit est le flashback d’un souvenir réel ou un extrait de film qu’elle a tourné. Ceci va crescendo, jusqu’au moment où le spectateur se dit : « Oh et puis après tout… qu’est-ce que ça peut faire ? Ce que je veux, c’est savoir ce qu’elle devient ! »
Le deuxième mélange réel imaginaire, c’est que lors des « flashbacks », l’intervieweur et le caméraman sont là, présents dans le décor, commentant les actions en temps réel, jusqu’au moment où eux aussi prendrons part aux actions des souvenirs ! (du moins l’intervieweur)
Oui je sais, ça ne paraît pas très clair ce que je dis là, on dirait du sous Inception direz-vous, mais je vous conseille de voir le film, vous comprendrez mieux et vous serez aussi embarqués dans ce récit tourbillonnant.
Passons à la deuxième Satoshi’s touch : l’occupation d’un univers.
Je reconnais que ce n’est pas clair comme expression, je veux simplement parler du fait que lorsque Satoshi Kon choisit de planter son décor dans un lieu ou une sphère sociale particulière, il en visite tous les recoins. Dans Perfect blue, c’était le monde des Idols japonaises, dans Tokyo Godfathers celui de la nuit et des laissés pour compte, dans Paranoia agent celui des petites gens et de leurs névroses, ici, c’est l’univers du cinéma qui est passé à la loupe et à travers lui, mille ans d’histoire du Japon (d’où le titre du film d’ailleurs).
Explication : la carrière de Chiyoko débute dans les années 30 et va durer jusque dans les années 60/70 ce qui correspond à l’âge d’or des studios mais aussi en parallèle, à la partie la plus évènementielle du vingtième siècle. Elle commence par des films de propagande (va même tourner en Mandchourie, alors occupée), viennent ensuite les films populaires (guerre, romance, chambara, monstres) et on termine avec les films de science fiction. Quarante ans de rôles au travers desquels elle visite toutes les ères de l’Histoire nippone et quarante ans durant lesquels elle va évoluer, trouver sa véritable place dans le monde, sans doute à l’image des femmes durant la même période.
Mais au-delà de ça, c’est bien de la nostalgie que l’on ressent à la vue de tous ces décors, costumes, scénarios, personnages… Satoshi Kon laisse entrevoir son amour du cinéma japonais de la grande époque
Le maître nous donne une leçon sur la façon de raconter des histoires mais en même temps, il montre à quel point ces histoires l’ont fasciné et façonné.
Et sinon, c’est joli ?
Évidemment ma bonne dame, puisqu’on est chez monsieur Kon !
Encore une fois, je n’entrerai pas dans les détails, mais globalement, l’animation et le montage sont excellents (notamment lors d’une scène de course d’anthologie) et on reconnaît rapidement l’élégance de son héroïne, une autre des caractéristiques du maître.
Les décors sont magnifiques et très variés (normal puisqu’on voyage dans l’espace et le temps) on pourra peut être regretter une mise en valeur (par la lumière) en dessous de ce que l’on aurait pu attendre (par faute de moyens), idem pour le transfert sur dvd qui est de bonne qualité mais sans plus (mais ne vous arrêtez pas à ça !).
Clap de fin.
Un film de cinéma sur le cinéma, une femme/actrice ou une actrice/femme, des situations vécues/des émotions jouées et des émotions vécues/des situations jouées, voilà ce qui compose ce film puzzle, à plusieurs strates tout en racontant une quête initiatique (et vous savez bien comment finit ce genre d’histoire…) On suit l’histoire, on se perd on se retrouve, on se reperd, on s’abandonne… bref, on vit quelque chose d’inhabituel.
Merci monsieur Kon. Merci pour ce film, merci pour tous les autres, merci pour votre talent et votre exigence, car même si elle fut brève, vous avez su constituer ce que l’on appelle « une œuvre ».
Merci.
Millennium Actress – Sortie japonaise le 14 septembre 2002
Réalisé par Satoshi Kon
Avec les voix japonaises de Mami Koyama, Fumiko Orikasa, Shozo Iizuka
Vivant recluse depuis une trentaine d’années, Chiyoko Fujiwara, est passée du statut d’actrice populaire à celui de légende oubliée. Pourtant, un petit producteur de documentaire, Genya Tachibana ne l’a pas oublié, lui, et il a même réussi à obtenir un rendez-vous avec elle afin de réaliser un entretien filmé. Il se rend à sa demeure avec son caméraman. Mais avant de commencer l’interview, il a un petit cadeau pour son actrice : une clé, attachée à un ruban… qui va ouvrir l’écrin des souvenirs de la vieille dame et révéler aussi des secrets enfouis…