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Le Film Culte : Les Griffes de la Nuit
Après une critique consacrée à Kathryn Bigelow, on continue dans l’opportunisme. En effet, la rubrique Un Dimanche, Une Critique de ce 21 mars 2010 est consacrée à la première apparition de Freddy au cinéma : A Nightmare on Elm Street version de Wes Craven, sortie en 1985.
Article réactualisé suite au décès de Wes Craven le 31 août 2015.
LA CRITIQUE
1984. L’âge d’or du film d’horreur? Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que les années 1970 furent le départ d’une période de résurrection, voire de renouveau pour le genre. Avec l’assouplissement relatif de la censure aux États-Unis, de nouveaux réalisateurs se lancent dans l’aventure, et nombre de salles obscures s’emplissent d’une atmosphère délicieusement anxiogène (que n’aurais-je donné pour vivre cette époque? Allons, ne nous plaignons pas, nous on a REC et Paranormal Activity… hein?). Dans ce torrent de cris et d’angoisse, deux vagues majeures se partagent le massacre des pauvres victimes: l’horreur réaliste (The Texas Chainsaw Massacre et Halloween en tête), et l’horreur fantastique (The Exorcist et Alien sont les premiers qui viennent à l’esprit). Certes, cette distinction reste un peu grossière et hâtive, cependant, elle nous servira ici à mettre en avant une dimension spécifique des Griffes de la Nuit, parce que c’est justement sur la ligne séparatrice des deux univers que Wes Craven choisit d’installer la terreur.
Si en 1980, Kubrick joue de sa propre approche du film d’angoisse dans The Shining, il va peut-être trop loin dans son traitement narratif et surtout psychologique pour que l’on considère toujours l’histoire de Jack Torrance comme de l’horreur dans son aspect brut. Ce sont les personnages qui, victimes d’une situation et d’eux-mêmes, créent une tension palpable. C’est donc sur un autre aspect que Craven décide de travailler: laissons les personnages plus ou moins ce qu’ils sont dans les Slashers, intéressons-nous plutôt à l’univers du genre.

Pour ce faire, le réalisateur prend le parti d’articuler son scénario autour du principe onirique: quelle est la part de rêve, quelle est la part de réalité? Parti risqué quand on sait que le concept même est piégeur et qu’il est aisé de tomber dans la facilité « tout n’était qu’un rêve », qui permet en général de ne prendre aucun risque avec l’intrigue et les personnages. Tout porte à croire qu’ici, Craven est bel et bien conscient de l’ambiguïté de la chose, en témoigne un épilogue qui conclut un mouvement de va et vient circulaire et perpétuel dans le film. Le rêve pénètre la réalité et inversement -jouant de fait sur le spectateur réceptif au genre, le cinéma étant une forme d’échappatoire du monde réel-, brouillant les pistes et réorganisant constamment les repères des personnages, en particulier de Nancy. L’intérêt d’un tel parti pris réside également dans le fait qu’un doute plane toujours quant aux évènements qui nous sont présentés, car si le film peut parfois sembler embrasser le fantastique sans retenue (la mort de Glenn), la structure d’ensemble s’articule autour du flou à la frontière du réel (chaque transition de la réalité à l’onirique et vice-versa). Mal à l’aise, le spectateur n’a plus qu’à se dire qu’il sera toujours en sécurité dans la réalité, ce que le scénariste se fait un plaisir de contre-dire immédiatement.

L’approche qu’a Craven de son intrigue est efficace et malsaine, mais évite de tomber dans la complaisance sadique. La peur basée sur un évènement universel et naturel que l’humain ne peut contrôler ni même éviter, combinée à l’implication sinistre du monde des enfants dans une histoire de meurtre en série créée un piège inextricable autour du spectateur qui se laisse embarquer, volontairement ou pas, dans ce cauchemar unique. Côté réalisation, le créateur de Freddy Krueger manipule la topographie diégétique pour déstabiliser ses personnages et ses spectateurs d’une part, et pour construire sa narration en boucle d’autre part. Ayant déjà fait ses armes sur The Last House On The Left ou encore The Hills Have Eyes, l’américain nous sert plusieurs scènes marquantes, dont une introduction toute en frisson, une première scène de meurtre à l’intensité rarement égalée, et un final palpitant où il inverse intelligemment la relation proie-prédateur. Il est secondé par une équipe d’acteur plutôt convaincants, dont Johnny Depp dans son premier rôle notable, et à l’exception malheureuse de Heather Langenkamp qui si elle n’avait pas fini aux oubliettes, aurait très bien pu prendre la tête d’affiche de Plus Belle La Vie. La musique évite, la plupart du temps, les sonorités électroniques trop typées années 1980 et rappelle parfois les ambiances de L’Exorciste ou de Suspiria.

On pourrait croire que Wes Craven est un type qui se prend mortellement au sérieux, à vouloir redessiner les contours d’un registre dont il est fan et dont il devient, à l’époque, un des piliers fondateurs pour une nouvelle génération. Ce serait sans compter les résolutions qu’il donne au développement de son scénario (exercice de style pertinent qui reste toujours fidèle aux codes du genre), amenées de sorte à bien rappeler qu’un film d’horreur, c’est fait avant tout pour s’amuser. Craven s’amuse ainsi à parcourir allègrement et éhontément la corde tendue qui délimite les univers: il fait de l’échiquier du genre le sien en déplaçant à sa guise les pions, tout ça, bien sûr, pour servir un seul idéal: offrir au spectateur un slasher haletant et effrayant comme, hélas, nous n’en voyons plus souvent.
On me dit dans l’oreillette qu’un remake sort dans quelques semaines… oserions-nous rêver d’un bon cauchemar?
A Nightmare On Elm Street (Les Griffes de la Nuit) – Sorti le 6 mars 1985
Écrit et réalisé par Wes Craven, avec Heather Langenkamp, John Saxon, Robert Englund
Une bande de quatre lycéens se retrouve en proie à un cauchemar récurrent qui met en scène un homme brûlé, armé de longues griffes et coiffé d’un chapeau. Alors qu’ils croient à une coïncidence, une série d’évènements sanglants et inexplicables va très vite dissoudre le groupe et bouleverser leurs vies à jamais…